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épuisement, que ce général demanda un armistice qui fut consenti par Jourdan.

Que penser des intentions de Pichegru dans cette campagne, quand d'un côté on en considère le mauvais succès, et de l'autre les conférences qui avaient lieu un mois avant son ouverture, entre lui et les intermédiaires qui négociaient avec le prince de Condé? Qu'en penser quand on voit, dans le récit de Montgaillard à d'Antraigues, que Pichegru avait fait proposer à Condé de faire passer le Rhin par les braves gens de l'armée française ; là, de les aider par une grande démarche, de proclamer le Roi, d'arborer le drapeau blanc, et de repasser ensuite en France avec l'armée de Condé et l'armée de l'Empereur?... Quand on a négocié sur de telles bases en thermidor avec l'ennemi de son pays, et que la négociation a été suspendue par le Gouvernement dont on a résolu la ruine, c'està-dire, par l'ordre de marcher contre cet ennemi en fructidor, il est au moins difficile d'être dans des dispositions assez énergiques pour battre et triompher.

L'armistice ranima l'intrigue : il s'établit à Offembourg un bureau de correspondance pour la communication de Pichegru et de ses affidés avec le prince de Condé et le commissaire anglais, Wickham. Ce sont les cartons de ce bureau même

qui en ont appris l'existence; ce sont ces cartons livrés par Moreau.

Ce bureau se tenait chez une baronne de Reich, nièce du général Klinglin (1). Les agens étaient le libraire Fauche-Borel (2), Montgaillard et Courant. L'homme chargé de la confiance de Pichegru était Demougé, avocat de Strasbourg, connu du prince de Condé (3), et qui se fit quelquefois remplacer par un jeune homme de Strasbourg, nommé Olery. Il faut ajouter à ces noms celui du baron Wittersback, alsacien émigré, dont il est question dans une lettre du général Moreau (4) ; il correspondait d'un côté avec le général Klinglin et le prince de Condé; de l'autre, avec des particuliers de Besançon et Colmar. Ce Wittersback avait sous ses ordres un nommé Chambé, jadis huissier seigneurial en Alsace, depuis élu, comme Pichegru, et dans le même tems, au Corps législatif. Ses appointemens comme espion de Wittersback étaient de 36 liv. par mois.

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frimaire an 4, Fauche-Borel fut arrêté à Strasbourg comme espion. Pichegru le fit relâcher après cinq jours de détention.

(1) Voyez tom. I des pièces trouvées à Offembourg, p. 211. (2) Ibid. p. 36 et 353.

(3) Ibid. p. 53.

(4) Ibid. p. 97.

Pichegru permettait que les paquets des conjurés passassent sur la rive gauche sous son adresse en toutes lettres (1).

Dès le 19 janvier (nivôse an 4), Demougé annonce qu'on place dans l'armée, des meneurs qui travaillent de leur mieux (2). Pichegru s'occupe à royaliser les volontaires (3), et pendant que des agens affidés mettent en feu les départemens du haut et bas Rhin, la baronne de Reich fait distribuer aux avant-postes de l'armée républicaine une immense quantité d'exemplaires d'une adresse rédigée par le comte de Montgaillard, et qui lui est envoyée par le prince de Condé (4). Elle fait extraire du Journal intitulé le Véridique, par Husson, une épître pseudonyme à Charette, la fait imprimer par le prince de Condé, et circuler dans l'armée (5). Pichegru, le général en chef de l'armée française, descendant au métier de pamphlétaire, corrige luimême une Adresse aux soldats, que Demougé lui soumet; il en recommande l'impression, il indique le sens d'autres écrits qui doivent concourir aux mêmes

(1) Voyez tom. I des pièces trouvées à Offembourg, p. 85. (2) Ibid. p. 69.

(3) Ibid. p. 53. (4) Ibid. p. 79.

(5) Ibid. p. 85.

fins (1); et pendant qu'il cherche à dépraver l'esprit du soldat par des écrits, il tente de le conduire à l'exaspération par le mal-aise, le besoin, et en lui inspirant des espérances qu'il sait devoir être déçues.

Dans la correspondance de janvier on trouve les premieres bases et les premiers développemens d'un nouveau projet concerté entre le prince de Condé et Pichegru.

Le prince de Condé avait changé son plan; il avait abandonné ses vues sur Huningue, mais pour les jeter sur Strasbourg. Il sollicitait Pichegru de lui en faciliter la surprise.

Demougé assure, à cette occasion, que Pichegru était parfaitement disposé et bien dévoué (2). Cependant Pichegru refusait de livrer Strasbourg, comme il avait refusé de livrer Huningue, et par la même raison, c'est-à-dire, parce qu'il était opposé à toute opération partielle. Il faisait assurer Wurmser de tout son attachement (3). Il faisait dire au prince de Condé, que le Roi lui était aussi cher qu'à lui (4); mais il persistait à demander qu'on lui laissât les moyens de diriger son armée vers son but.

(1) Voyez tom. I des pièces trouvées à Offembourg, P. 95. (2) Ibid. p. 19.

(3) Ibid. p. 54.

(4) Ibid. p. 56.

Il veut, disait son interprète Demougé, amener les choses à se déployer en grand; à ce que Condé, non - seulement recouvre d'un seul jet le royaume, mais le recouvre sans perdre la Lorraine. Nous en sommes au point, disait Pichegru, que le moindre incident peut développer les plus grands événemens ; celui, par exemple, de ma démission, me ferait beau jeu, et ferait tomber toute mon armée dans ma main : un peu de patience; la crise fatale est plus avancée qu'on ne pense; qu'on s'en remette à moi, et que le brave Wurmser nous donne protection quand l'heure que j'attends sonnera (1).

Wurmser ne se payait pas de ces vagues promesses, et dès-lors aussi il avait demandé que Pichegru lui donnât connaissance de son plan de conduite : il paraît que ce plan n'était pas définitivement arrêté. Pichegru en fait l'aveu dans la trenteunième pièce. Il avoue que tout dépend des circonstances qu'il guette et qu'il saisira avec empressement.

La correspondance de février roula à peu près sur les mêmes objets que celle de janvier (nivôse an 4).

M. de Condé montre du découragement, de

(1) Voyez tome I des pièces trouvées à Offembourg, pag. 56 et 57.

l'impatience

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