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quel point un homme adroit peut fasciner les yeux des simples, peut étonner même les gens éclairés; chercher de quelle espèce doit être un prodige, et quelle authenticité il doit avoir, non-seulement pour être cru, mais pour qu'on soit punissable d'en douter; comparer les preuves des vrais et des faux prodiges, et trouver les règles sûres pour les discerner; dire enfin pourquoi Dieu choisit, pour attester sa parole, des moyens qui ont eux-mêmes si grand besoin d'attestation, comme s'il se jouoit de la crédulité des hommes, et qu'il évitât à dessein les vrais moyens de les persuader.

Supposons que la majesté divine daigne s'abaisser assez pour rendre un homme l'organe de ses volontés sacrées; est-il raisonnable, est-il juste d'exiger que tout le genre humain obéisse à la voix de ce ministre sans le lui faire connoître pour tel? Y a-t-il de l'équité à ne lui donner, pour toutes lettres de créance, que quelques signes particuliers faits devant peu de gens obscurs, et dont tout le reste des hommes ne saura jamais rien que par ouï-dire? Par tous les pays du monde, si l'on tenoit pour vrais tous les prodiges que le peuple et les simples disent avoir vus, chaque secte seroit la bonne ; il y auroit plus de prodiges que d'événemens naturels ; et le plus grand de tous les miracles seroit que, là où il y a des fanatiques persécutés, il n'y eût point de miracles. C'est l'ordre inaltérable de la nature qui montre le mieux la sage main qui la régit; s'il arrivoit beaucoup d'excep

tions, je ne saurois plus qu'en penser; et pour moi, je crois trop en Dieu pour croire à tant de miracles si peu dignes de lui.

Qu'un homme vienne nous tenir ce langage: Mortels, je vous annonce la volonté du Très-Haut; reconnoissez à ma voix celui qui m'envoie ; j'ordonne au soleil de changer sa course, aux étoiles de former un autre arrangement, aux montagnes de s'aplanir, aux flots de s'élever, à la terre de prendre un autre aspect. A ces merveilles, qui ne reconnoîtra pas à l'instant le maître de la nature? Elle n'obéit point aux imposteurs; leurs miracles se font dans des carrefours, dans des déserts, dans des chambres; et c'est là qu'ils ont bon marché d'un petit nombre de spectateurs déjà disposés à tout croire. Qui est-ce qui m'osera dire combien il faut de témoins oculaires pour rendre un prodige digne de foi? Si vos miracles, faits pour prouver votre doctrine, ont euxmêmes besoin d'être prouvés, de quoi servent-ils? autant valoit n'en point faire.

Reste enfin l'examen le plus important dans la doctrine annoncée; car, puisque ceux qui disent que Dieu fait ici-bas des miracles prétendent que le diable les imite quelquefois, avec les prodiges les mieux attestés, nous ne sommes pas plus avancés qu'auparavant; et, puisque les magiciens de Pharaon osoient, en présence même de Moïse, faire les mêmes signes qu'il faisoit par l'ordre exprès de Dieu, pourquoi, dans son absence, n'eussent-ils pas, aux

par

mêmes titres, prétendu la même autorité? Ainsi donc, après avoir prouvé la doctrine le miracle, il faut prouver le miracle par la doctrine (1), de peur de prendre l'œuvre du démon pour l'œuvre de Dieu. Que pensez-vous de ce dialèle? (*)

Cette doctrine, venant de Dieu, doit porter le

:

(1) Cela est formel en mille endroits de l'Écriture, et entre autres dans le Deuteronome, chapitre x111, où il est dit que si un prophète annonçant des dieux étrangers confirme ses discours par des prodiges, et que ce qu'il prédit arrive, loin d'y avoir aucun égard on doit mettre ce prophète à mort. Quand donc les païens mettoient à mort les apôtres leur annonçant un Dieu étranger et prouvant leur mission par des prédictions et des miracles, je ne vois pas ce qu'on avoit à leur objecter de solide, qu'ils ne pussent à l'instant rétorquer contre nous. Or, que faire en pareil cas? Une seule chose revenir au raisonnement, et laisser là les miracles. Mieux eût valu n'y pas recourir. C'est là du bon sens le plus simple, qu'on n'obscurcit qu'à force de distinctions tout au moins très-subtiles. Des subtilités dans le christianisme! Mais Jésus-Christ a donc eu tort de promettre le royaume des cieux aux simples: il a donc eu tort de commencer le plus beau de ses discours par féliciter les pauvres d'esprit, s'il faut tant d'esprit pour entendre sa doctrine et pour apprendre à croire en lui. Quand vous m'aurez prouvé que je dois me soumettre, tout ira fort bien : mais pour me prouver cela mettez-vous à ma portée; mesurez vos raisonnemens à la capacité d'un pauvre d'esprit, ou je ne reconnois plus en vous le vrai disciple de votre maître, et ce n'est pas sa doctrine que vous m'annoncez.

(*) On appelle ainsi en logique l'argument par lequel on fait voir le cercle vicieux résultant d'un raisonnement qui se réduit à prouver une chose incertaine et obscure par une autre entachée des mêmes défauts, puis cette seconde par la première. Le dialèle est l'argument favori des sceptiques ou pyrrhoniens, et le plus formidable, dit Bayle, de tous ceux qu'ils emploient contre les dogmatiques.

sacré caractère de la Divinité; non-seulement elle doit nous éclaircir les idées confuses que le raisonnement en trace dans notre esprit, mais elle doit aussi nous proposer un culte, une morale, et des maximes convenables aux attributs par lesquels seuls nous concevons son essence. Si donc elle ne nous apprenoit que des choses absurdes et sans raison, si elle ne nous inspiroit que des sentimens d'aversion pour nos semblables et de frayeur pour nous-mêmes, si elle ne nous peignoit qu'un Dieu colère, jaloux, vengeur, partial, haïssant les hommes, un Dieu de la

guerre et des combats, toujours prêt à détruire et foudroyer, toujours parlant de tourmens, de peines, et se vantant de punir même les innocens, mon cœur ne seroit point attiré vers ce Dieu terrible, et je me garderois de quitter la religion naturelle pour embrasser celle-là; car vous voyez bien qu'il faudroit nécessairement opter. Votre Dieu n'est pas le nôtre, dirois-je à ses sectateurs. Celui qui commence par se choisir un seul peuple et proscrire le reste du genre humain n'est pas le père commun des hommes; celui qui destine au supplice éternel le plus grand nombre de ses créatures n'est pas le Dieu clément et bon que ma raison m'a montré.

A l'égard des dogmes, elle me dit qu'ils doivent être clairs, lumineux, frappans par leur évidence. Si la religion naturelle est insuffisante, c'est par l'obscurité qu'elle laisse dans les grandes vérités qu'elle nous enseigne : c'est à la révélation de nous ensei

gner ces vérités d'une manière sensible à l'esprit de l'homme, de les mettre à sa portée, de les lui faire concevoir, afin qu'il les croie. La foi s'assure et s'affermit par l'entendement; la meilleure de toutes les religions est infailliblement la plus claire : celui qui charge de mystères, de contradictions, le culte qu'il me prêche, m'apprend par cela même à m'en défier. Le Dieu que j'adore n'est point un Dieu de ténèbres, il ne m'a point doué d'un entendement pour m'en interdire l'usage me dire de soumettre ma raison, c'est outrager son auteur. Le ministre de la vérité ne tyrannise point ma raison, il l'éclaire.

Nous avons mis à part toute autorité humaine; et, sans elle, je ne saurois voir comment un homme en peut convaincre un autre en lui prêchant une doctrine déraisonnable. Mettons un moment ces deux hommes aux prises, et cherchons ce qu'ils pourront se dire dans cette âpreté de langage ordinaire aux deux partis.

L'INSPIRÉ.

La raison vous apprend que le tout est plus grand que sa partie; mais moi je vous apprends, de la part de Dieu, que c'est la partie qui est plus grande que le tout.

LE RAISONNEUR.

Et qui êtes-vous pour m'oser dire que Dieu se contredit? et à qui croirai-je par préférence, de lui qui m'apprend par la raison les vérités éternelles, ou de vous qui m'annoncez de sa part une absurdité?

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