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sant, il le protége et le recommande; de pauvres jeunes gens se recherchent, il aide à les marier; une bonne femme a perdu son enfant chéri, il va la voir, il la console, il ne sort point aussitôt qu'il est entré: il ne dédaigne point les indigens, il n'est point pressé de quitter les malheureux ; il prend souvent son repas chez les paysans qu'il assiste, il l'accepte aussi chez ceux qui n'ont pas besoin de lui: en devenant le bienfaiteur des uns et l'ami des autres, il ne cesse point d'être leur égal. Enfin, il fait toujours de sa personne autant de bien que de son argent.

Quelquefois il dirige ses tournées du côté de l'heureux séjour : il pourroit espérer d'apercevoir Sophie à la dérobée, de la voir à la promenade sans en être vu. Mais Émile est toujours sans détour dans sa conduite, il ne sait et ne veut rien éluder. Il a cette aimable délicatesse qui flatte et nourrit l'amour-propre du bon témoignage de soi. Il garde à la rigueur son ban, et n'approche jamais assez pour tenir du hasard ce qu'il ne veut devoir qu'à Sophie. En revanche il erre avec plaisir dans les environs, recherchant les

riture meilleure et plus abondante. Jeûnez, vous autres, quand vous avez la fièvre; mais quand vos paysans l'ont, donnez-leur de la viande et du vin; presque toutes leurs maladies viennent de misère et d'épuisement : leur meilleure tisane est dans votre cave, leur seul apothicaire doit être votre boucher. (*)

(*) Cette note est la paraphrase de ce vieux distique :

Mittere persona vis convenientia cuique:
Mitte cibos miseris, divitibusque famem.

traces des pas de sa maîtresse, s'attendrissant sur les peines qu'elle a prises et sur les courses qu'elle a bien voulu faire par complaisance pour lui. La veille des jours qu'il doit la voir, il ira dans quelque ferme voisine ordonner une collation pour le lendemain. La promenade se dirige de ce côté sans qu'il y paroisse; on entre comme par hasard; on trouve des fruits, des gâteaux, de la crême. La friande Sophie n'est pas insensible à ces attentions, et fait volontiers honneur à notre prévoyance; car j'ai toujours ma part au compliment, n'en eussé-je aucune au soin qui l'attire; c'est un détour de petite fille pour être moins embarrassée en remerciant. Le père et moi mangeons des gâteaux et buvons du vin : mais Émile est de l'écot des femmes, toujours au guet pour voler quelque assiette de crême où la cuiller de Sophie ait trempé.

A propos de gâteaux, je parle à Émile de ses anciennes courses. On veut savoir ce que c'est que ces courses je l'explique, on en rit; on lui demande s'il sait courir encore. Mieux que jamais, répond-il; je serois bien fâché de l'avoir oublié. Quelqu'un de la compagnie auroit grande envie de le voir courir, et n'ose le dire; quelque autre se charge de la proposition; il accepte: on fait rassembler deux ou trois jeunes gens des environs; on décerne un prix, et, pour mieux imiter les anciens jeux, on met un gâteau sur le but. Chacun se tient prêt; le papa donne le signal en frappant des mains. L'agile Émile fend

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