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d'eau; c'est le don de Dieu qui passe sans profit et sans beauté; tandis qu'une académie, c'est la prairie, c'est la forêt, c'est le champ de blé, c'est le ruisseau, c'est le charme joint à l'utile.

Le savant isolé, dit l'industrie, c'est l'unité faible, vouée à l'impuissance; tandis qu'une académie, c'est l'association qui donne la force et la fécondité.

Enfin, le savant isolé, dit l'histoire, c'est une merveille aussi rare que l'homme sauvage; l'un et l'autre, en effet, se sentent trop petits et trop pauvres pour vivre seuls; aussi, les académies sont-elles vieilles comme l'humanité, et quand les Athéniens les appelèrent du nom qu'elles portent, elles étaient nées et vivaient depuis longtemps avec les philosophes de l'Inde, les mages de la Perse et les prêtres de l'Egypte. Oui, toujours les âmes studieuses se sont rapprochées; c'est en se groupant dans les écoles, dans les monastères, qu'elles ont amassé les trésors de science que nous possédons, et c'est en vous unissant, vous aussi, que, fidèles à votre devise: Servare et augere, vous savez conserver et accroître ces richesses incomparables qui seules font la grandeur et la prospérité des nations.

Quatre siècles seulement se distinguent entre tous les autres siècles qu'ils dépassent de la tête ce sont les siècles de Périclès, d'Auguste, de Léon X et de Louis XIV. Sont-ils élevés sur un piedestal donné par la guerre, par l'industrie ou par les lettres? Au siècle de Périclès, les Athéniens, heureux et vainqueurs dans les

guerres de Chersonèse, d'Eubée et de Samos, furent vaincus et malheureux dans la guerre du Péloponèse. La défaite des légions de Varus fit oublier à Auguste le succès de ses armées dans les Gaules et dans la Germanie. Léon X, avant de devenir pape, avait assisté comme légat à la bataille de Ravenne; il y fut fait prisonnier. Louis XIV, que la fortune a tant favorisé, ne fut pas non plus toujours victorieux, et il connut assez les revers pour désavouer à son lit de mort son amour passionné des combats. Non, ce n'est pas la guerre qui fait et qui nomme les grands siècles; elle illustre les vaillants capitaines; elle ruine, elle désole les nations. Nous savons le prix et la valeur de la gloire qu'on achète avec le sang généreux des soldats; hélas! que cette gloire coûte cher et qu'elle passe vite! La victoire et la défaite ne s'arrêtent jamais, sans cesse elles se poursuivent et bientôt elles se joignent et se supplan. tent. O guerre! sans doute, tu deviens quelquefois nécessaire; mais, même commandée par l'honneur et couronnée par le triomphe, tu n'en es et tu n'en demeures pas moins un fléau.

L'industrie dans le monde, c'est le bras qui travaille et assure à l'humanité son pain de chaque jour; elle est indispensable aux sociétés; sans son tribut, nous ne pourrions pas vivre. Rendez, en effet, les boeufs aux pâturages, brisez leurs jougs, abandonnez à la rouille le fer des charrues, la terre deviendra stérile et ne servira plus la pure farine qu'elle donnait au laboureur en échange de sa peine. Arrêtez les

mouvements des machines intelligentes qui changent en fils les toisons de nos brebis et qui tissent les étoffes que nous portons, vous ferez taire le bruit qui annonçait la production et vous amènerez le silence de la mort et du néant. Sans le travail matériel, pas de pain, pas de vêtements; mais l'industrie, qui a la mission de faire vivre les peuples, a-t-elle aussi par ellemême la puissance de les élever et de les ennoblir? Non, Messieurs; avec l'or, la seule récompense du travail de l'ouvrier sur la matière, on étend son domaine, on embellit sa demeure, on double son usine, mais on n'achète ni la vérité, ni le dévouement, ni les vertus d'ordre et de soumission qui sont la récompense exclusive du travail de l'homme sur son esprit, sur son cœur et sur sa volonté; or, c'est cette richesse intellectuelle et morale qui donne aux sociétés comme aux individus la véritable grandeur.

Un homme peut être opulent : s'il manque de savoir, de bonté ou de sagesse, il est petit; il peut au contraire être pauvre: s'il est instruit, s'il est bon, s'il est sage, il est grand. Pareillement, les peuples ne se sont jamais élevés plus haut qu'à l'heure où. protégés et encouragés par leurs chefs, ils ont cultivé avec plus d'ardeur et de succès les lettres, les sciences et les arts. Témoin la Grèce au siècle de Périclès, Rome au siècle d'Auguste, l'Italie sous Léon X, la France sous Louis XIV.

Mais non-seulement les hommes studieux honorent leur temps et leur pays; ils se donnent aussi à eux-mêmes les plus sûres et les meil

leures jouissances. J'ai interrogé les serviteurs de la Fortune, les serviteurs encore en faveur et les serviteurs disgraciés: ni les uns ni les autres ne parlent en bien de leur maîtresse. Elle est parcimonieuse, dit celui-ci : toujours les dons qu'elle faits sont surpassés par les désirs qu'elle crée. Elle est capricieuse, dit celui-là : elle ne réserve pas ses préférences aux plus dignes, on peut travailler pour elle toute sa vie et mourir pauvre. Elle est infidèle, dit un autre ; elle se retire aussi facilement qu'elle se donne.

La science rend plus heureux ceux qui la servent, et elle est surtout plus juste et plus constante; elle s'attache à quiconque la recherche sérieusement et plus jamais elle ne le quitte; elle traverse avec lui les bons et les mauvais jours, elle le suit partout, mème dans la prison et jusque sur la terre d'exil.

Qui pourrait célébrer dignement le charme. des études et dire assez la salutaire influence qu'elles exercent sur les esprits et sur les cours? Partout sur la terre, la division, hélas ! règne en souveraine; ici, la passion aveugle, élève un mur de haine entre des hommes qui se jugent, qui se condamnent sans s'être jamais vus, sans s'être jamais entendus; là, c'est le vil intérêt qui vient à bout de rompre les liens sacrés de la parenté et de l'amitié. Qui a la vertu de faire tomber ce mur et de renouer ces liens? La science. Dans ses sanctuaires, en effet, les adversaires du jour deviennent les amis du soir; ils cessent d'être des rivaux pour devenir des émules Pourquoi? Ah! parce que les champs

de la science sont immenses comme le ciel, inépuisables comme Dieu lui-même, et que, dès lors, nous pouvons tous les cultiver sans nous heurter, les exploiter sans nous nuire. En d'autres termes, il en est de la vérité comme de la lumière, nous en jouissons sans nous jalouser, parce que nous en usons à discrétion sans la diminuer. Nous nous disputons, au contraire, les richesses et les honneurs, parce qu'il n'y a autour de nous ni assez de titres, ni assez de places pour contenter toutes les ambitions, ni assez d'or, ni assez de terre pour satisfaire toutes les cupidités.

Puisqu'à tout discours il faut une conclusion, je veux terminer en souhaitant à notre bienaimée patrie des jours heureux et prospères. Mais les vœux sans les efforts pour les réaliser sont inefficaces et manquent de sincérité Mettons-nous donc à l'œuvre tous ensemble. C'est à l'association de tous les bras et de tous les capitaux que nous devons les œuvres gigantesques qu'aucun autre siècle n'eût osé entreprendre et que le nôtre a su mener à bonne fin; ce n'est qu'avec le concours de tous les esprits éclairés, dévoués, énergiques, que nous ferons, que nous maintiendrons notre chère France grande, noble, forte.

Puisse donc l'amour de la patrie comme l'amour de la vérité rapprocher et unir les lettrés, les savants, les artistes de tous les ordres ! Ou mieux encore:

Puissent tous les Français devenir des savants, et la France n'être plus qu'une immense académie !

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