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Parmi les peuples qui se laissent volontiers saluer du titre poli de peuple souverain, vous a dit M. Fialon, on n'en citerait pas qui plus que celui d'Athènes ait pris son rôle au sérieux. S'appelât-on Miltiade ou Thémistocle, on n'y avait pas plus de droit à la gloire de Marathon ou de Salamine que le dernier de ceux qui avaient manié la lance ou l'épée dans ces combats. Dès la fin des guerres Médiques, la constitution que Solon lui avait donnée, quoique proclamée parfaite et inviolable au début, comme elles le sont toutes, finit par n'être plus qu'un souvenir. Le sénat ou conseil des Cinq-Cents avait d'abord été élu; mais l'élection implique une supériorité, une sorte d'aristocratie fondée sur l'opinion. A partir du v° siècle on devint sénateur, comme chez nous on est juré, par le sort. Ces élus du hasard subissaient seulement, avant d'entrer en charge, un examen portant sur leur vie publique et privée,« sorte de vérification des pouvoirs suivie, selon l'idée qui dominait, de nombreuses invalidations. » Les membres du Sénat, ainsi triés et devenus les esclaves de la multitude, finissent par être payés une drachme par jour, en même temps que disparaissent leur dignité et ieur autorité.

Le sort désignait aussi parmi les dix classes du Sénat correspondantes aux dix tribus dont elles étaient le produit, celle qui, sous le nom de Prytanie, administrerait à son tour. Le pouvoir de la prytanie durait 35 jours; pendant ce temps, ses membres étaient entretenus aux frais du trésor dans le Prytanée. Chaque jour, le sort

désignait parmi eux un président ou épistate. Le pouvoir de ce magistrat d'un jour ne pouvait porter ombrage à personne.

Le peuple fractionné pour la puissance conservatrice qui est le sénat, et jusqu'à l'unité pour la puissance exécutive, se réunit tout entier pour la puissance législative. Tout citoyen a droit de prendre part aux assemblées. L'ardeur qui y portait les citoyens et dont se moque Aristophane, avait ses jours. Ses intermittences devinrent si fréquentes qu'il lui fallut un stimulant. On imagina d'abord le triobole, qui en effet devint une bonne fortune pour les gens sans ressources; puis, quand le pnyx ne se remplissait pas assez vite, ou ramassait dans les rues et places voisines les retardataires, au moyen d'une corde trempée de rouge et dont la trace sur leurs vêtements les obligeait à se rendre, contents ou non, et sans perspertive de paiement, sur le lieu des délibérations.

Dans le principe, dit M. Fialon, le peuple ne se réunissait que pour élire les magistrats et recevoir leurs comptes. Plus tard, grâce au progrès de la démocratie, il y eut une assemblée par prytanie, puis il y en eut quatre.

Aristophane et Démostène nous apprennent comment les choses s'y passaient. Toutes commençaient par une prière solennelle et par un sacrifice, « au grand désespoir des libres penseurs du temps, ajoute M. Fialon. »

Le sénat était juge des propositions qui devaient y être portées, Les artisans naturellement y dominaient, et M. Fialon ne demanderait pas

mieux que de trouver parmi eux des hommes d'Etat, si les historiens et les poètes n'étaient d'accord pour proclamer avec Cicéron que la Grèce, autrefois si florissante, dut sa perte à la liberté immodérée et la licence des assemblées; que, quand sur les gradins s'assirent des hommes sans expérience, sans instruction, sans connaissance des affaires, on entreprenait des guerres inutiles, on mettait des séditieux à la tête de la république, on bannissait les citoyens qui avaient le mieux-mérité de l'Etat. Dès lors, nulle suite dans les affaires, nulle direction, la constitution même change au jour le jour. A l'orateur qui savait saisir et entraîner cette foule capricieuse et enthousiaste, appartenait le gouvernement de l'Etat. « C'est l'histoire de toutes les démocraties; elles ont la prétention de tout diriger, et rien n'est plus dirigé qu'elles. » Ceux que nous voyons dans les historiens et les orateurs mener réellement les affaires, et qu'à cause de cela on a nommés les meneurs du peuple, duaywya, ce sont ceux à qui le peuple dans ses assemblées, confie le commandement, les stratèges, et avec eux, mais plus encore que ces ministres de l'action, les ministres de la parole, les orateurs dont le crédit sur le peuple faisait en majeure partie la puissance des premiers. A Athènes, a écrit Fénelon, tout dépendait du peuple, et le peuple dépendait de la parole. C'était, semble-t-il, pour cette démocratie qu'Homère écrivait que l'orateur ne peut parler que le sceptre à la main.

Je ne quitterai pas cette intéressante étude sur la Démocratie athénienne sans remercier M.

LXIII

2

Fialon de l'avoir écrite pour nous, et par dessus tout de n'avoir pas plus oublié l'Académie que son excellent souvenir ne s'est effacé de notre mémoire.

De la première ville de la Grèce passer au chef-lieu du 2 arrondissement du département de la Marne, la chute vous paraîtra peut-être un peu brusque. Mais à l'Académie on ne peut oublier qu'à la fin de l'époque gallo-romaine, Reims était connue parmi les savants sous le nom d'Athènes des Gaules : c'est donc le lieu de vous parler de Reims.

L'Exposition, qui est l'une des grandes attractions du moment, comme disent les Anglais, a été pour moi l'occasion d'un travail historique dont je vais vous entretenir. Les principales villes de la France ont été invitées à faire connaître leurs accroissements successifs au moyen de plans appartenant à diverses époques et de notes résumant l'histoire de ces accroissements et les mesures qui ont procuré aux mêmes villes les améliorations matérielles dont elles jouissent aujourd'hui, tant au point de vue de la voirie qu'à celui de l'hygiène publique. Il suffi sait, pour satisfaire à la première partie de ce programme, d'indiquer les limites de la ville aux différentes époques de l'histoire; comment, au Moyen-Age, elle s'accrut des terrains occupés successivement par les monastères, et s'entoura de murailles; comment, après la Révolution, des ateliers et des rues prirent la place des monastères et des églises renversées; comment enfin, dans ces dernières années, les canaux et

les voies ferrées, répondant aux besoins de l'industrie, succédèrent aux murailles du MoyenAge, laissant le champ libre hors de l'ancienne enceinte aux habitations et aux vastes établissements industriels qu'appelait l'accroissement du commerce et de la population. Trois ou quatre plans, choisis entre vingt ou trente, devaient aider à cette démonstration; du reste, quand une localité, en attendant les agrandissements et les embellissements modernes, peut en produire de semblables à ceux de Jacques Cellier et de Legendre, cela peut suffire pour établir ses droits au titre de grande et belle ville. Vous jugerez peut-être que cet orgueil nous est permis, quand vous aurez lu cette page d'Arthur Young, qui visita Reims en juillet 1789.

Il nous apprend qu'il y arriva à travers les cinq milles de forêt couronnant les hauteurs qui séparent le vallon d'Epernay de la grande plaine de Reims. Le premier coup d'œil de cette ville, dit-il, au moment où l'on commence à descendre, est magnifique. La cathédrale s'élève d'un air majestueux, et l'église Saint-Remy termine noblement la ville. Ces aspects de cités sont communs en France; mais, à l'entrée, vous ne trouvez plus qu'une confusion de ruelles étroites, sales, tortueuses et sombres. A Reims, c'est autre chose, les rues sont presque toutes droites, larges et bien bâties; elles vont de pair avec tout ce que je connois de mieux sous ce rapport, et l'hôtel du Moulinet est si grand et și bien servi, qu'il ne détruit pas le plaisir causé par les choses agréables que l'on a vues, en provoquant des

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