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dans les ames, à faire couler les douces larmes de la pitié ou de l'amour; il y devient celui d'éclairer les hommes, et de les porter à la vertu. Ces citoyens oififs qui vont porter au théâtre le trifte embarras de finir une inutile journée, y font appelés à discuter les plus grands intérêts du genre-humain. On voit dans Alzire les vertus nobles, mais fauvages et impétueufes de l'homme de la nature, combattre les vices de la fociété corrompue par le fanatifme et l'ambition, et céder à la vertu perfectionnée par la raifon dans l'ame d'Alvarès ou de Gufman mourant et défabusé. On y voit à la fois comment la fociété corrompt l'homme en mettant des préjugés à la place de l'ignorance, et comment elle le perfectionne, dès que la vérité prend celle des erreurs. Mais le plus funefte des préjugés eft le fanatifme; et Voltaire voulut immoler ce monftre fur la scène, et employer, pour l'arracher des ames, ces effets terribles que l'art du théâtre peut feul produire.

Sans doute il était aifé de rendre un fanatique odieux; mais que ce fanatique foit un grand-homme, qu'en l'abhorrant on ne puiffe s'empêcher de l'admirer; qu'il defcende à d'indignes artifices fans être avili; qu'occupé d'établir une religion et d'élever un empire, il foit amoureux fans être ridicule; qu'en commettant tous les crimes, il ne faffe pas éprouver cette horreur pénible qu'infpirent les fcélérats; qu'il ait à la fois le ton d'un prophète et le langage d'un homme de génie; qu'il fe montre fupérieur au fanatisme dont il enivre fes ignorans et intrépides difciples, fans que jamais la baffeffe attachée à l'hypocrifie dégrade fon caractère; qu'enfin fes crimes foient

couronnés par le fuccès, qu'il triomphe et qu'il paraisse assez puni par ses remords: voilà ce que le talent dramatique n'eût pu faire s'il n'avait été joint à un efprit fupérieur.

Mahomet fut d'abord joué à Lille, en 1741. On remit à Voltaire, pendant la première représentation, un billet du roi de Pruffe qui lui mandait la victoire de Molwitz; il interrompit la pièce pour le lire aux fpectateurs. Vous verrez, dit-il à fes amis réunis autour de lui, que cette pièce de Molwitz fera réuffir la mienne. On ofa la risquer à Paris; mais les cris des fanatiques obtinrent de la faiblesse du cardinal de Fleuri d'en faire défendre la représentation. Voltaire prit le parti d'envoyer fa pièce à Benoît XIV, avec deux vers latins pour fon portrait. Lambertini, pontife tolérant, prince facile, mais homme de beaucoup d'efprit, lui répondit avec bonté, et lui envoya des médailles. Crébillon fut plus fcrupuleux que le pape. Il ne voulut jamais confentir à laisser jouer une pièce qui, en prouvant qu'on pouvait porter la terreur tragique à fon comble, fans facrifier l'intérêt et fans révolter par des horreurs dégoûtantes, était la fatire du genre dont il avait l'orgueil de fe croire le créateur et le modèle.

Ce ne fut qu'en 1751 que M. d'Alembert, nommé par M. le comte d'Argenfon pour examiner Mahomet, eut le courage de l'approuver, et de s'expofer en même temps à la haine des gens de lettres ligués contre Voltaire, et à celle des dévots; courage d'autant plus refpectable que l'approbateur d'un ouvrage n'en partageant pas la gloire, il ne pouvait avoir aucun 'autre dédommagement du danger auquel il s'expofait

que le plaifir d'avoir servi l'amitié, et préparé un triomphe à la raison.

Zulime n'eut point de fuccès; et tous les efforts de l'auteur pour la corriger, et pour en pallier les défauts, ont été inutiles. Une tragédie eft une expérience fur le cœur humain, et cette expérience ne réuffit pas toujours, même entre les mains les plus habiles. Mais le rôle de Zulime eft le premier au théâtre où une femme paffionnée et entraînée à des actions criminelles, ait confervé la générofité et le défintéreffement de l'amour. Ce caractère fi vrai, fi violent et fi tendre, eût peut-être mérité l'indulgence des fpectateurs, et les juges du théâtre auraient pu, en faveur de la beauté neuve de ce rôle, pardonner à la faibleffe des autres fur laquelle l'auteur s'était condamné lui-même avec tant de févérité et de franchise.

Les Difcours fur l'homme font un des plus beaux monumens de la poëfie française. S'ils n'offrent point un plan régulier comme les épîtres de Pope, ils ont l'avantage de renfermer une philofophie plus vraie, plus douce, plus ufuelle. La variété des tons, une forte d'abandon, une fenfibilité touchante, un enthoufiasme toujours noble, toujours vrai, leur donne un charme que l'efprit, l'imagination et le cœur goûtent tour à tour; charme dont Voltaire a feul connu le fecret; et ce fecret eft celui de toucher, de plaire, d'inftruire fans fatiguer jamais, d'écrire pour tous les efprits comme pour tous les âges. Souvent on y voit briller des éclairs d'une philofophie profonde qui, prefque toujours exprimée en fentiment ou en image, paraît fimple et populaire : talent auffi utile,

auffi rare que celui de donner un air de profondeur à des idées fauffes et triviales eft commun et dangereux.

En quittant la lecture de Pope, on admire fon talent et l'adresse avec laquelle il défend fon fyftême; mais l'ame eft tranquille, et l'efprit retrouve bientôt toutes les objections plutôt éludées que détruites. On ne peut quitter Voltaire fans être encouragé ou confolé, fans emporter avec le sentiment douloureux des maux auxquels la nature a condamné les hommes, celui des reffources qu'elle leur a préparées.

La vie de Charles XII eft le premier morceau d'hiftoire que Voltaire ait publié. Le ftyle auffi rapide que les exploits du héros, entraîne dans une fuite non interrompue d'expéditions brillantes, d'anecdotes fingulières, d'événemens romanesques qui ne laissent repofer ni la curiofité ni l'intérêt. Rarement quelques réflexions viennent interrompre le récit; l'auteur s'eft oublié lui-même pour faire agir fes personnages. Il femble qu'il ne faffe que raconter ce qu'il vient d'apprendre fur fon héros. Il n'eft queftion que de combats, de projets militaires; et cependant on y aperçoit par-tout l'efprit d'un philofophe, et l'ame d'un défenfeur de l'humanité.

Voltaire n'avait écrit que fur des mémoires originaux, fournis par les témoins même des événemens; et fon exactitude a eu pour garant le témoignage refpectable de Stanislas, l'ami, le compagnon, la

victime de Charles XII.

Cependant on accufa cette hiftoire de n'être qu'un roman, parce qu'elle en avait tout l'intérêt. Si peut-être jamais aucun homme n'excita autant

d'enthoufiafme, jamais peut-être perfonne ne fut traité avec moins d'indulgence que Voltaire. Comme en France la réputation d'efprit eft de toutes la plus enviée, et qu'il était impoffible que la fienne en ce genre n'effaçât toutes les autres, on s'acharnait à lui contefter tout le refte; et la prétention à l'efprit étant au moins auffi inquiéte dans les autres claffes que dans celle des gens de lettres, il avait presqu'autant de jaloux que de lecteurs.

C'était en vain que Voltaire avait cru que la retraite de Cirey le déroberait à la haine : il n'avait ¡ caché que fa perfonne; et fa gloire importunait

encore fes ennemis. Un libelle où l'on calomniait fa vie entière, vint troubler fon repos. On le traitait comme un prince ou comme un miniftre, parce qu'il excitait autant d'envie. L'auteur de ce libelle était cet abbé Desfontaines qui devait à Voltaire la liberté, et peut-être la vie. Accufé d'un vice honteux que la fuperftition a mis au rang des crimes, il avait été emprisonné dans un temps où, par une atroce et ridicule politique, on croyait très à propos de brûler quelques hommes, afin d'en dégoûter un autre de ce vice pour lequel on le foupçonnait fauffement de montrer quelque penchant.

Voltaire inftruit du malheur de l'abbé Desfontaines dont il ne connaiffait pas la perfonne, et qui n'avait auprès de lui d'autre recommandation que de cultiver les lettres, courut à Fontainebleau trouver madame de Prie, alors toute puiffante, et obtint d'elle la liberté du prifonnier, à condition qu'il ne fe montrerait point à Paris. Ce fut encore Voltaire qui lui procura une retraite dans la terre d'une de fes amies.

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