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eft pour les hommes injuftes qui rendent ce défaveu néceffaire à la fureté de celui qu'ils y forcent. Si vous avez érigé en crime ce qui n'en eft pas un, fi vous avez porté atteinte, par des lois abfurdes, ou par des lois arbitraires, au droit naturel qu'ont tous les hommes, non-feulement d'avoir une opinion, mais de la rendre publique; alors vous méritez de perdre celui qu'a chaque homme d'entendre la vérité de la bouche d'un autre, droit qui fonde feul l'obligation rigoureuse de ne pas mentir. S'il n'est pas permis de tromper, c'eft parce que, tromper quelqu'un, c'eft lui faire un tort, ou s'expofer à lui en faire un; mais le tort suppose un droit, et perfonne n'a celui de chercher à s'affurer les moyens de commettre une injustice.

Nous ne difculpons point Voltaire d'avoir donné fon ouvrage à l'abbé de Chaulieu; une telle imputation, indifférente en elle-même, n'eft, comme on fait, qu'une plaifanterie. C'eft une arme qu'on donne aux gens en place, lorfqu'ils font difpofés à l'indulgence, fans ofer en convenir, et dont ils fe fervent pour repouffer les perfécuteurs plus férieux et plus acharnés.

L'indifcrétion avec laquelle les amis de Voltaire récitèrent quelques fragmens de la Pucelle, fut la caufe d'une nouvelle perfécution. Le garde des fceaux menaça le poëte d'un cu de baffe foffe, fi jamais il paraiffait rien de cet ouvrage. A une longue diftance du temps où ces tyrans fubalternes, fi bouffis d'une puiffance éphémère, ont ofé tenir un tel langage à des hommes qui font la gloire de leur patrie et de leur fiècle, le fentiment de mépris qu'on éprouve ne Vie de Voltaire. C

laiffe plus de place à l'indignation. L'oppreffeur et l'opprimé font également dans la tombe, mais le nom de l'opprimé, porté par la gloire aux fiècles à venir, préserve feul de l'oubli, et dévoue à une honte éternelle celui de fes lâches perfécuteurs.

Ce fut dans le cours de ces orages que le lieutenant de police Hérault dit un jour à Voltaire : Quoi que vous écriviez, vous ne viendrez pas à bout de détruire la religion chrétienne. C'est ce que nous verrons, répondit-il. (*)

Dans un moment où l'on parlait beaucoup d'un homme arrêté fur une lettre de cachet fufpecte de fauffeté, il demanda au même magiftrat ce qu'on fesait à ceux qui fabriquaient de fauffes lettres de cachet. On les pend. C'est toujours bien fait, en attendant qu'on traite de même ceux qui en fignent de vraies.

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Fatigué de tant de perfécutions, Voltaire crut alors devoir changer fa manière de vivre. Sa fortune lui en laiffait la liberté. Les philofophes anciens vantaient la pauvreté comme la fauvegarde de l'indépendance; Voltaire voulut devenir riche pour être indépendant; et il eut également raison. On ne connaiffait point chez les anciens ces richeffes fecrètes qu'on peut s'affurer à la fois dans différens pays, et mettre à l'abri de tous les orages. L'abus des confifcations y rendait les richesses auffi dangereufes par elles-mêmes que la gloire ou la faveur populaire. L'immenfité de l'empire romain, et la petiteffe des républiques grecques, empêchaient également de fouftraire à fes ennemis fes richeffes et fa perfonne. (*) Voyez la correspondance générale.

La différence des mœurs entre les nations voisines, l'ignorance prefque générale de toute langue étrangère, une moins grande communication entre les peuples, étaient autant d'obstacles au changement de patrie.

D'un autre côté, les anciens connaiffaient moins ces aifances de la vie, néceffaires parmi nous à tous ceux qui ne font point nés dans la pauvreté. Leur climat les assujettissait à moins de besoins réels, et les riches donnaient plus à la magnificence, aux raffinemens de la débauche, aux excès, aux fantaifies, qu'aux commodités habituelles et journalières. Ainfi, en même temps qu'il leur était à la fois plus facile d'être pauvres, et plus difficile d'être riches fans danger, les richeffes n'étaient pas chez eux, comme parmi nous, un moyen de fe fouftraire à une oppreffion injufte.

Ne blâmons donc point un philofophe d'avoir, pour affurer fon indépendance, préféré les refsources que les mœurs de fon fiècle lui préfentaient, à celles qui convenaient à d'autres mœurs et à d'autres temps.

Voltaire avait hérité de fon père et de fon frère une fortune honnête; l'édition de la Henriade, faite à Londres, l'avait augmentée; des spéculations heureuses dans les fonds publics y ajoutèrent encore: ainfi, à l'avantage d'avoir une fortune qui affurait fon indépendance, il joignit celui de ne la devoir qu'à lui-même. L'usage qu'il en fit aurait dû la lui faire pardonner.

Des fecours à des gens de lettres, des encouragemens à des jeunes gens en qui il croyait apercevoir le germe du talent, en abforbaient une grande

partie. C'eft furtout à cet usage qu'il deftinaît lė faible profit qu'il tirait de fes ouvrages ou de fes pièces de théâtre, lorfqu'il ne les abandonnait pas aux comédiens. Jamais auteur ne fut cependant plus cruellement accufé d'avoir eu des torts avec fes libraires; mais ils avaient à leurs ordres toute la canaille littéraire, avide de calomnier la conduite de l'homme dont ils favaient trop qu'ils ne pou→ vaient étouffer les ouvrages. L'orgueilleuse médiocrité, quelques hommes de mérite bleffés d'une fupériorité trop inconteftable, les gens du monde toujours empreffés d'avilir des talens et des lumières, objets fecrets de leur envie, les dévots intéreffés à décrier Voltaire pour avoir moins à le craindre: tous s'empreffaient d'accueillir les calomnies des libraires et des Zoiles. Mais les preuves de la fauffeté de ces imputations fubfiftent encore avec celles des bienfaits dont Voltaire a comblé quelques-uns de fes calomniateurs; et nous n'avons pu les voir fans gémir et fur le malheur du génie condamné à la calomnie, triste compenfation de la gloire, et fur cette honteufe facilité à croire tout ce qui peut difpenfer

d'admirer.

Voltaire n'ayant donc befoin, pour sa fortune, ni de cultiver des protecteurs, ni de folliciter des places, ni de négocier avec des libraires, renonça au féjour de la capitale. Jufqu'au miniftère du cardinal de Fleuri, et jufqu'à fon voyage en Angleterre, il avait vécu dans le plus grand monde. Les princes, les grands, ceux qui étaient à la tête des affaires, les gens à la mode, les femmes les plus brillantes, étaient recherchés par lui et le recherchaient. Par-tout

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il plaifait, il était fêté; mais par-tout il inspirait l'envie et la crainte. Supérieur par fes talens, il l'était encore par l'efprit qu'il montrait dans la conversation; il y portait tout ce qui rend aimables les gens d'un efprit frivole, et y mêlait les traits d'un efprit fupérieur. Né avec le talent de la plaifanterie, fes mots étaient fouvent répétés, et c'en était affez pour qu'on donnât le nom de méchanceté à ce qui n'était que l'expreffion vraie de fon jugement, rendue piquante par la tournure naturelle de fon efprit.

A fon retour d'Angleterre, il fentit que, dans les fociétés où l'amour propre et la vanité raffemblent les hommes, il trouverait peu d'amis; et il ceffa de s'y répandre, fans cependant rompre avec elles. Le goût qu'il y avait pris pour la magnificence, pour la grandeur, pour tout ce qui eft brillant et recherché, était devenu une habitude; il le conferva même dans la retraite ; ce goût embellit fouvent fes ouvrages; il influa quelquefois fur ses jugemens. Rendu à sa patrie, il fe réduifit à ne vivre habituellement qu'avec un petit nombre d'amis. Il avait perdu M. de Génonville et M. de Maisons dont il a pleuré la mort dans des vers fi touchans, monumens de cette fenfibilité vraie et profonde que la nature avait mife dans fon cœur, que fon génie répandit dans fes ouvrages, et qui fut le germe heureux de ce zèle ardent pour le bonheur des hommes, noble et dernière paffion de fa vieilleffe. Il lui reftait M. d'Argental dont la longue vie n'a été qu'un fentiment de tendreffe et d'admiration pour Voltaire, et qui en fut récompensé par fon amitié et fa confiance; il lui reftait MM. de Formont et de

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