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Il me reste à expofer le fentiment des Péripatéticiens fur le fouverain bien de l'homme.

S. III.

Sentimens des Péripatéticiens fur le Souverain bien.

SI L'ON EN CROIT Ciceron, la différence qui fe trouve entre les Stoïciens & les Péripatéticiens fur la queftion du fouverain bien, confifte moins dans les chofes que dans les paroles, & dans le fond les fentimens des uns & des autres reviennent au même. Il reproche souvent aux Stoïciens d'avoir introduit dans la Philofophie plutôt un langage qu'un dogme nouveau, pour paroitre s'écarter de ceux qui les avoient précédés ; & ce reproche paroit affez fondé.

Les uns & les autres convenoient du principe fur lequel on doit éta blir le fouverain bien de l'homme, qui eft de vivre felon la nature, conformement à la nature: Secundum' noturam vivere. Les Péripatéticiens commençoient par examiner quelle eft la nature de l'homme, afin de bien pofer leur principe. L'homme, difoient

ils, eft compofé de corps & d'ame: telle eft fa nature. Il faut donc, pour le rendre parfaitement heureux, lui procurer tous les biens & du corps & de l'ame: c'est là vivre felon la nature, en quoi de part & d'autre l'on convient que confifte le fouverain bonheur. En conféquence, ils plaçoient au rang des biens la fanté, les richeffes, la réputation, & les autres avantages de cette forte; & au rang des maux la maladie, la pauvreté, l'ignominie &c; laiffant néanmoins une distance infinie entre la vertu & tous les autres biens, entre le vice & tous les autres maux. Ces autres biens, difoient-ils, mettent le comble à la béatitude de l'homme, & rendent fa vie parfaitement heureuse, mais de forte que, fans ces biens, elle peut être heureufe, quoique moins pleine

ment.

Les Stoïciens penfoient à peu près de même, & comptoient pour quelque chofe ces avantages & ces incommodités du corps, mais ils ne

a Illa, quæ funt à nobis bona corporis nu merata, complent ea quidem beatiffimam vitam, fed ita, ut fine illis poffit beata vita exi ftere. De Finib. lib, 5. n. 71. Hh

Tome XIL

lib. 5. n.

91.92.

pouvoient fouffrir qu'on les appellât des De Finib. biens & des maux. Si une fois, difoientils, on admet que la douleur est un mal, il s'enfuivra que le Sage, lorf qu'il fouffrira quelque douleur, n'eft point heureux : car la béatitude ne peut fe trouver dans une vie où il y a quelque mal. On ne raisonne point ainfi repliquoient les Péripatéticiens dans toute autre affaire. Une terre couverte de beaux blés & en abondance, ne ceffe point d'être cenfée fertile, parce qu'il s'y trouve un peu de mauvaises herbes. Quelques pertes légères mélées avec des gains confidérables, n'empêchent pas que le trafic ne foit regardé comme très avantageux. En tout, le fort emporte le foible. Il en eft ainfi de la vertu. " Mettez la dans un plat de la balance & dans l'autre le monde entier la vertu l'emportera toujours infiniment. Voila une idée magnifique de la vertu !

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Je croirois abufer de la patience du Lecteur, fi je m'arrétois plus longtems à refuter ces fubtilités & ces

mau

a Audebo... virtutis amplitudinem quafi in altera libre lance ponere. .Terram, miki crede, ea lanx & maria deprimet.

mauvaises chicanes des Stoïciens. Je le prie feulement de fe fouvenir de ce que j'ai remarqué dès le commencement, que dans cette queftion, où il s'agit du fouverain bonheur de l'homme, les Philofophes, de quelque Secte qu'ils foient, n'envifagent ce bonheur que par raport à la vie préfente. Les biens éternels leur étoient ou inconnus, ou indifférens.

ARTICLE SECON D.

Sentimens des anciens Philofophes fur
les vertus & fur les devoirs de
la vie.

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n. 5.

QUOIQUE la Philofophie, dit Offic. lib.3. Ciceron, foit un pays où il n'y a » point de terres incultes ni de lan,, des, & qu'elle foit fertile & abondante d'un bout à l'autre ; elle n'a » point de contrée plus riche, que celle qui traite des devoirs, & d'où l'on tire les régles & les préceptes qui peuvent donner à nos mœurs une forme certaine & conftante & nous faire vivre felon les loix de l'honnêteté & de la vertu. eft vrai qu'on trouve chez les Payens d'excellentes maximes fur ce fujet Hh &

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&

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Plat. de

Leg. l. 12. pag. 961963.

& capables de nous faire rougir. J'en raporterai quelques-unes tirées de Platon & de Ciceron, en m'attachant plus aux pensées du premier, qu'à fes expreffions.

Le but du gouvernement eft de rendre les fujets heureux, en les rendant

vertueux.

LE premier foin de tout homme chargé de la conduite des autres, (& l'on entend par là généralement tous ceux qui font deftinés à commander, Rois, Princes, Généraux d'armées, Miniftres, Gouverneurs de provinces, Magiftrats, Juges, Peres de famille: ) le premier foin de quiconque eft en autorité de quelque façon que ce puiffe être, c'est de bien établir le but qu'il doit fe propofer dans l'ufage de cette autorité. Quel est le but d'un homme char1. p. 134. gé du gouvernement d'une RépubliDe Leg. lib. 5. p. que? Ce n'eft point, dit Platon en 742. plus d'un endroit, de la rendre ri

In Alcib.

che, opulente, puiffante; d'y faire abonder l'or & l'argent; d'étendre au Join fon domaine; d'y entretenir des flotes & des armées nombreuses, & par là de la rendre fupérieure à tou

tes

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