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CHAPITRE SECOND.

SENTIMENS

DES ANCIENS PHILOSOPHES

SUR LA MORALE.

LA MORALE, qui fe propofe

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pour objet de régler les mœurs, eft, à proprement parler, la Science de l'homme. Toutes les autres connoiffances font en quelque forte hors de lui où du moins on peut dire qu'elles ne vont point jufqu'à ce qu'il y a en lui de plus intime & de plus perfonnel; je veux dire jufqu'au cœur: car c'eft là que l'homme eft tout ce qu'il eft. Elles peuvent le rendre plus favant, plus éloquent, plus jufte dans fes raifonnemens, plus habile dans les myfteres de la nature, plus propre à commander des armés, & à gouverner des Etats: mais elles ne le rendent pas meilleur, ni plus fage. C'est pourtant l'unique chofe qui le touche de près, qui l'intéreffe perfonnellement, & fans laquelle tout le refte doit lui paroitre affez indifférent.

C'elt..

*

C'est pour cela que Socrate crut de voir préférer le réglement des mœurs à tout le refte. Avant lui les Philofo phes ne s'occupoient prefque qu'à fonder les fecrets de la nature, à mefurer l'étendue des terres & des mers, à étudier le cours des aftres. Il a fut le premier qui mit la Morale en honneur, & qui, pour me fervir des termes de Ciceron, fit defcendre la Philofophie du ciel dans les villes, l'introduifit même dans les maisons, & la familiarifa avec les particuliers, en l'obligeant de leur donner des préceptes fur les mœurs & fur la conduite de la vie.

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Elle ne fe borna pas au foin des particuliers. Le gouvernement des Etats a toujours fait le principal objet des réflexions des plus celebres Philofophes. Ariftote & Platon nous ont laiffé fur cette matiere plufieurs Trai

A Socrate omnís, quæ eft de vita & moribus, philofophia manavit. Tufcul. Quæft. lib. 3. n. 8.

*

Les Philofophes plus anciens, & fur tout Pythagore, avoient donné à leurs difciples de bons préceptes de morales: mais n'en faifoient pas leur capital comme Socrate.

Socrates primus philofophiam de vocavit è cœto & in urbibus collocavit & in domos etiam introduxit & coegit de vita & moribus rebufque bonis & malis quærere Ibid. lib. 5. #.¡ LÓ

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Traités d'une grande étendue, qui ont toujours été fort eftimés, & qui renferment d'excellens principes. Cette partie de la Morale s'appelle Politique. Je ne la traiterai point ici féparement: je me contenterai dans la fuite, en parlant des Devoirs, de raporter quelques extraits de Platon & de Ciceron qui feront connoitre quelles nobles idées ils avoient fur la maniere de gouverner les peuples.

La Morale doit inftruire les hommes principalement fur deux matieres. Elle doit, en premier lieu, leur enfeigner en quoi confifte le fouverain bonheur, auquel ils afpirent tous; puis leur montrer les vertus & les devoirs qui peuvent les y conduire. Il ne faut pas s'attendre que le Paganisme nous donne fur des matieres fi importantes des maximes bien pures. Nous y trouverons un melange de lumiere & de tenebres qui nous étonnera, mais qui pourra beaucoup nous inftruire.

Je joindrai à la Morale un petit Traité fur la Jurifprudence.

ARTL

ARTICLE

PREMIER

Sentimens des anciens Philofophes fur le fouverain bonheur de l'homme.

IL N'Y A POINT dans toute la Philofophie morale de matiere plus intereffante que celle qui regarde le fouverain bonheur. On agitoit dans les Ecoles plufieurs queftions affez indifférentes pour le commun des hommes, & dont on pouvoit négliger de s'inftruire, fans que les

mœurs & la conduite de la vie en fouffriffent beaucoup. Mais l'ignorance de ce qui conftitue le fouverain bien jette l'homme dans une infinité d'erreurs, & fait qu'il marche toujours au hazard, fans avoir rien de fixe, & fans favoir ni où il va, ni quelle route il doit tenir au lieu que ce principe une fois bien établi, il connoit clairement tous fes

* Summum bonum fi ignoretur, vivendi fationem ignorari neceffe eft. Ex quo tantus error confequitur, ut quem in portum fe recipiant, fcire non poffint. Cognitis autem Ferum finibus, cùm intelligitur quid fit & benorum extremum & malorum inventa vi

rum

tæ via eft, conformatioque omnium officioHoc conftituto, in philofophia, conftituta funt omnia. De Finib. bon. & mal lib. 5. 12. 15

devoirs, & fait à quoi s'en tenir pour tout le refte.

Ce ne font pas feulement les Philofophes qui fe font mis en peine derechercher en quoi confifte le fouverain bien ce font généralement tous les hommes: favans, ignorans, éclairés, ftupides. Il n'y a perfonne qui ne prenne parti fur cette importante question. Et quand l'efprit demeureroit indifférent, le cœur ne fauroit s'empêcher de faire un choix. Il pouffe de fon fond un cri fecret, qui dit à l'égard de quelque objet: Heureux celui qui en eft le poffeffeur!

L'homme a l'idée & le defir d'un bonheur fouverain gravés dans le fond de fa nature & cette idée & ce defir font la fource de tous fes autres defirs, & de toutes fes actions. Depuis le péché, il ne lui en refte qu'une notion confufe & générale, laquelle eft inféparable de fon être. Il ne fauroit s'empêcher d'aimer & de chercher ce bien qu'il ne connoit plus que confufément : mais il ne fait où il eft,

ni

Omnis auctoritas philofophiæ confiftit in beata vita comparanda. Beatè enim vivendi cupiditate incenfi omnes fumus. Ibid. n. 86.

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