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ordinaire parmi les gens de Lettres) & il aime mieux l'attribuer à leurs admirateurs & à leurs partifans. Il arrive fouvent en effet que les difciples, par un zêle trop partial, font plus délicats fur la réputation de leurs maîtres, & pouffent leurs intérêts avec plus de vivacité, que les maî tres mêmes.

CHAPITRE SECOND.

PARTAGE DE LA PHILOSOPHIE IONIQUE en différentes fectes.

JUSQU'A Socrate il n'y avoit point

a

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eu encore parmi les Philofophes des fectes différentes, quoique les fentimens ne fuffent pas toujours les mêmes: mais depuis ce tems-là il s'en éleva plufieurs, dont les unes ont eu plus de vogue & de durée, & les autres moins, Je commencerai par les derniéres, qui font la Cyrénaïque, la Mégarique, l'Eliaque, & l'Erétri que. Elles tirent leurs noms des Heux où elles ont en cours.

ARTICLE

ARTICLE PREMIER.
De la fecte Cyrénaïque.
ARISTIPPE

ARISTIPPE fut le chef de la fe- Laert de Cyrénaïque. Il étoit originaire de Cyréne dans la Libye. La grande réputation de Socrate lui fit quitter fon Rays, pour aller s'établir à Athénes afin d'avoir le plaifir de l'entendre. Il fut un des principaux difciples de ce Philofophe: mais il mena une vie fort oppofée aux préceptes qu'on enfeignoit dans cette excellente école ; &, de retour dans fa patrie, il ouvrit à fes difciples une route bien différente. Le fonds de fa doctrine eft, que le fouverain bonheur de l'homme pendant cette vie confifte dans la volupté. Sa conduite ne démentit point fes fentimens, & il emploioit les reffources d'un efprit préfent & agréable à éluder, par des plaifanteries, les juftes reproches qu'on lui faifoit de fes excès. Il étoit livré fans ceffe à la bonne chére & aux femmes. Comme « on le railloit fur le commerce qu'il avoit avec la courtifanne Laïs: Il ef Z 2

vrai a Ne Ariftippus quidem ille Socraticus erubuit, cùm effet objectum habere cum ✅aïda. Habeo, inquit, Laida, nun babeor à

vrai, dit-il; Je poffede Laïs, mais Laïs ne me poffede pas. Quand on lui reprochoit qu'il vivoit trop fplendidement, il difoit: Si la bonne chére étoit blamable, on ne feroit pas de fi grands feftins dans toutes les fetes des dieux..

La réputation de Denys le Tyran, dont la Cour étoit le centre des plaifirs, dont la bourfe, difoit-on, étoit ouverte aux Savans, & la table toujours magnifiquement fervie, l'attira à Syracufe. Comme il avoit l'efprit fouple, adroit, infinuant; qu'il ne manquoit aucune occafion de flater le Prince, & qu'il fupportoit fes railleries & fes mauvaifes humeurs avec une patience qui alloit jusqu'à la fervilité, il eut beaucoup de crédit dans cette Cour. Un jour Denys lui demandant pourquoi on voioit perpétuellement des Philofophes chez les grands Seigneurs, & qu'on ne voioit jamais ceux-ci chez les Philofohes: C'eft, répondit Aristippe, que les Philofophes connoiffent leurs befoins, & que les grands Seigneurs ne connoiffent pas les leurs.

Si Ariftippe pouvoit fe contenter de légumes

Laida. Cic. Epik. 26. lib. 9. ad Famil,

légumes, difoit contre lui Diogéne le
Cynique, il ne s'abaifferoit pas à faire
la cour aux Princes. Si celui qui me con-
damne, repliquoit Ariftippe, favoit fai-
re la cour aux Princes, il ne fe conten-
teroit pas
de légumes.

Si pranderet olus patienter, Regibus uti

Horat.

Nollet Ariftippus. Si fciret Regibus eti, Epift. 17.
Faftideret olus qui me notat.

L'un cherchoit à faire bonne chere,
l'autre à fe faire admirer du peuple.

Scurror ego ipfe mihi, populo tu.

Lequel vaut le mieux? Horace n'héfite point: il donne la préférence à Ariftippe, dont il fait l'éloge en plus d'un endroit. Il lui reffembloit trop, pour ne le pas louer. Cependant il n'ofe fe livrer aux principes d'Ariftippe: il y retombe par une pente fe

crette.

lib. 1.

Nunc in Ariftippi furtim præcepta relabor. Ia. Epift. Tant l'amour de la volupté a de baf. 1. lib. 1. feffe, que fe diffimulent le mieux qu'ils peuvent, mais que ne peuvent la cacher entiérement, ceux même qui s'y abandonnent !

Ariftippe fut le premier des difciples de Socrate qui commença d'exiZ 3

ger

ger certaine rétribution de ceux qu'il enfeignoit; de quoi fon Maître lui fut bien mauvais gré. Aiant demandé Vingt à un homme cinquante dragmes pour cinq livres. inftruire fon fils: Comment, cin,, quante dragmes, s'écria le pere de l'enfant! Et il n'en faudroit pas „-davantage pour acheter un esclave. Hé bien, repartit Aristippe, achette-le, & tu en auras deux.

Laert.

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כן

Ariftippe mourut en retournant de Syracufe à Cyréne. Il avoit une fille, nommée Aréta, qu'il eut grand foin d'élever dans fes principes; & elle y devint très habile. Elle inftruifit ellemême fon fils Ariftippe, furnommé Métrodidacte.

THEODORE.

THEODORE, difciple d'Ariftip pe, outre les autres principes des Cyrénaïques, enfeigna publiquement qu'il n'y avoit point de dieux. Les Cyrénéens l'exilérent. Il fe réfugia à Athénes; où il auroit été conduit devant l'Aréopage, & condamné, fi Démétrius de Phalere n'eût trouvé le moien de le fauver. Ptolémée fils de Lagus le reçut chez lui, & l'envoia un jour en qualité d'Ambaffadeur vers

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