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est le but de l'humanité. Est-ce le bien-être des individus qui la composent? Est-ce l'obtention de certains buts abstraits, objectifs, comme l'on dit, exigeant des hécatombes d'individus sacrifiés? Chacun répond selon son tempérament moral, et cela suffit. L'univers, qui ne nous dit jamais son dernier mot, atteint son but par la variété infinie des germes. Ce que veut Iahvé arrive toujours. » Je ne demande pas à M. Renan ce que vient faire ici Iahvé, «< cette créature d'un esprit si borné »; qui d'ailleurs n'existe point; et dont la volonté, pour avoir un objet, devrait cependant commencer par avoir un support dans sa personne. Mais je crains bien que l'opposition ne soit uniquement dans les mots, pas du tout dans les choses, et je ne sais précisément ni de quels buts << abstraits ou objectifs » il est ici question, ni je ne vois, quand j'essaie de m'en faire une idée, qu'ils exigent de telles « hécatombes d'individus sacrifiés ». La science ou l'art, par exemple, la recherche de la vérité ou la réalisation de la beauté, sont-ils de ces «buts objectifs ou abstraits?» la morale ou la politique? Si oui, il est trop évident qu'on ne saurait leur offrir des hécatombes d'individus; qu'il n'y a pas de chef-d'œuvre ou de vérité dont le prix soit tellement au-dessus de celui d'une vie humaine qu'on puisse l'y sacrifier; et que la morale même ou la politique ne réclament ce genre de sacrifices qu'au nom de l'intérêt, du bien-être et du « bonheur du grand nombre ».

Mais je craindrais, en insistant, de m'éloigner trop de l'Histoire du peuple d'Israël, et en donnant trop de développement à ces objections, j'aurais l'air d'en. exagérer l'importance. Revenant donc au livre luimême de M. Renan, nous espérons que le lecteur en aura vu l'intérêt, et qu'il est considérable. Si quelques historiens persistent encore à nier la part d'Israël dans l'histoire de la civilisation, nous les renvoyons avec confiance au livre de M. Renan, et particulièrement à son second volume, celui qu'il considère comme contenant dès à présent « la partie la plus importante de l'histoire du judaïsme ». Pas de civilisation moderne sans le christianisme reçu ou combattu; pas de christianisme sans le judaïsme; pas de judaïsme sans un petit peuple qui ait sacrifié sa fortune politique à sa vocation religieuse; et pas de confiance enfin, ou de sentiment de cette vocation, sans les prophètes qui l'ont soutenue parmi les défaillances, qui lui ont donné sa forme avec sa voix, et dont on serait tenté de dire qu'ils l'ont créée. Disputer maintenant si cette civilisation n'eût pas pu prendre un autre cours, ou encore, et telle qu'elle est, si celles de la Grèce et de Rome n'eussent pu suffire pour la former, ce serait, je crois, disputer dans le vide, comme on en voit qui se demandent ce qu'il serait advenu de la réforme du XVIe siècle sans Luther et Calvin, ou de la révolution française si Louis XVI était mort plein de jours, et que conséquemment elle n'eût pas éclaté. Bon ou mauvais, les Juifs ont joué dans le monde un

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rôle de première importance, voilà ce que le monde, pendant dix-huit siècles, ne s'était pas avisé de nier, et si nos philosophes, il y a cent ans ou un peu davantage, ont cru faire merveille en le contestant, ce serait faire preuve aujourd'hui d'une singulière étroitesse d'esprit, pour les mieux honorer, que de les imiter dans leurs pires erreurs. Ce serait aussi faire preuve, on l'a vu, d'un rare aveuglement et de beaucoup d'ignorance, puisque ce serait méconnaître ce que l'érudition générale, ce que la philologie sémitique, ce que la science des religions ont accompli de progrès depuis un siècle, et' pour jouer au libre penseur, ce serait en vérité reculer de cent ans sur son temps.

1er février 1889.

LA LUTTE DES RACES

S'il y a certainement des questions plus «< litté au sens usuel et banal du mot, je ne sais même en «< littérature »>,

raires », s'il y en a, de plus intéressante, ou de plus attirante, mais surtout de plus importante que la question de « race ». Toutes les autres, en effet, n'y viennent-elles pas comme aboutir? Si les mêmes genres n'ont pas fait, en tout temps ni partout, sous toutes les latitudes, la même fortune littéraire; et par exemple, depuis Ronsard jusqu'à nos jours, si tous nos poètes ensemble n'ont pu nous donner une Jérusalem seulement; ou encore, si l'évolution du drame anglais dans l'histoire n'a sans doute pas ressemblé à celle de la tragédie française, la cause ou l'explication dernière ne s'en trouve-t-elle pas dans le mystère même des aptitudes originelles des races? Pourquoi les Allemands n'ont-ils

1. La Lutte des races, par M. Gumplowicz, traduction de M. Charles Baye, 1 vol. in-8, Paris, 1893. Guillaumin.

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