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PQ 282 B7

1895

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Pour tout le monde, non seulement en France, mais dans toute l'Europe lisante, et jusque par delà les mers, Bernardin de Saint-Pierre est l'auteur de Paul et Virginie. Pour quelques artistes, pour quelques curieux, pour les historiens de la littérature, il est, avec Rousseau, plus que Rousseau peut-être, parce qu'il l'est plus exclusivement, avec moins de tendance oratoire, l'inventeur de cette prose, non pas précisément descriptive, mais pittoresque et colorée, dont les dessous, pour ainsi dire, sont établis avec

1. I. Bernardin de Saint-Pierre, par M. de Lescure. Paris, 1891; Lecène et Oudin. II. Bernardin de Saint-Pierre, par M. Arvède Barine. Paris, 1891; Hachette. III. Étude sur la vie et les œuvres de Bernardin de Saint-Pierre, par M. Fernand Maury. Paris, 1892; Hachette.

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autant de soin, préparés par autant de croquis, de notes, ou d'études, que ceux d'un paysage, et retor chés avec autant d'amour. Il est aussi l'un de ce poètes qui, dans les dernières années du XVII° siècle ont achevé d'émanciper le sentiment, son expression littéraire et sa fonction sociale, des contraintes u peu sévères que la raison lui avait imposées jus qu'alors; et même, à cet égard, si l'on voulait le défini d'un mot, on le nommerait assez bien celui de nos grands écrivains qui n'a pensé le premier qu'aveck sentiment. Le dialecticien qu'il y avait encore dan Rousseau, le raisonneur et le logicien, s'évanouissen avec Bernardin de Saint-Pierre. Enfin, pour les rar savants qui daignent quelquefois parcourir les Étud ou les Harmonies de la nature, et pour les phil sophes, il est assurément le cause-finalier le pl convaincu, le plus systématique, le plus intrépide q l'on ait jamais vu, — et d'ailleurs le plus ingénieu Quelques-unes de ses découvertes en ce genre so demeurées justement célèbres : il ne s'est point co tenté d'affirmer que les nez sont faits pour porter d lunettes; mais il a trouvé que, si « le melon a d côtes, c'est pour être mangé en famille »; et on doit de savoir qu'aux premiers jours du monde, p un effet assez peu connu de la bonté de la Providen « des cadavres furent créés pour les animaux carna siers >>.

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C'est l'occasion ici de dire qu'après cela et mal cela, les Études de la nature n'en demeurent p

moins l'un des livres les plus intéressants de la langue française. Il a le défaut d'être un peu long. Mais le charme de style en est incomparable. On en apprécie bien la véritable et remarquable originalité quand on fait attention au nombre de choses que l'auteur y a exprimées pour la première fois. Et d'ailleurs, l'idée générale en est fausse. Mais tel est le pouvoir d'une idée générale, qu'aussitôt qu'on la pousse à ses dernières applications, elle n'en devient pas plus vraie, quand elle est fausse, mais de toutes parts les questions se lèvent, en quelque sorte, et voici que des aspects de la nature et de la vérité, jusqu'alors enveHoppés d'ombre, ou même inaperçus, s'éclairent brusquement d'une lumière nouvelle.

Qui croirait, par exemple, que ce rêveur sentimental a presque formulé, avant Hegel, le principe fameux de l'identité des contradictoires? Ou combien encore d'observations n'a-t-il pas faites qui sont, quand on les examine, d'un darwiniste avant Darwin? A la seule condition, il est vrai, qu'au lieu de mettre a cause finale des caractères spécifiques des êtres dans l'utilité de l'homme, on la place où il faut, c'est-dire dans l'intérêt des espèces elles-mêmes. Que lirons-nous de plus? Il n'y a pas jusqu'à nos symboistes qui ne pussent trouver, eux aussi, leur profit lans quelques-unes de ces Études, et notamment lans la manière dont Bernardin de Saint-Pierre y déveoppe les rapports, les affinités secrètes, les «< correspondances » des formes, des couleurs et des sons; la

signification mystique du « rouge », ou les vertus cachées de la circonférence de cercle.

Je connais quelques livres dont la science et l'éru dition contemporaines, la critique et l'histoire ont anéanti vainement les détails, si l'idée maîtresse en subsiste toujours, et qu'il suffise ainsi d'en corriger les applications. Les Études de la nature nous offrent en quelque sorte le phénomène littéraire inverse. Les morceaux en sont demeurés bons, si l'édifice es tombé par terre; et, après tout, de combien d systèmes n'en pourrait-on pas dire autant? Ils n'e ont pas moins eu leur raison d'être, à leur heure; e les auteurs n'en ont pas toujours déployé la richess d'imagination, la souplesse de talent, et la grâce d style de Bernardin de Saint-Pierre.

Pour toutes ces raisons, nous avons donc été bie aises de voir, dans ces derniers temps, un peu d'atter tion lui revenir, et trois biographes, qui ne s'étaien pas sans doute entendus, essayer, en les dégagea du vague plutôt que de l'oubli, de préciser son rô et sa physionomie.

Le Bernardin de Saint-Pierre de M. de Lescure paru le premier, je crois. La facture, ou la manièr en est un peu molle, peut-être, et ce Bernardinressemble trop encore à celui de la légende. Aussi préférera-t-on l'élégant aventurier, le bonhomm quinteux, si je puis ainsi dire, le philanthrop égoïste, et le barbon amoureux dont M. Arvède Bari nous a donné le portrait dans la collection des Gran

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