Page images
PDF
EPUB

quoy ils n'ayent voulu parler, il leur est souvent force de forger des coniectures foibles et folles, non qu'ils les prinssent eulx mesmes pour fondement, ny pour establir quelque verité, mais pour l'exercice de leur estude: non tam id sensisse quod dicerent, quam exercere ingenia materiæ difficultate videntur voluisse 1. Et si on ne le prenoit ainsi, comment couvririons nous une si grande inconstance, varieté et vanité d'opinions, que nous veoyons avoir esté produictes par ces ames excellentes et admirables? Car, pour exemple, qu'est il plus vain que de vouloir deviner Dieu par nos analogies et coniectures? le reigler, et le monde, à nostre capacité et à nos loix? et nous servir, aux despens de la Divinité, de ce petit eschantillon de suffisance qu'il luy a pleu despartir à nostre naturelle condition? et parce que | nous ne pouvons estendre nostre veue iusques en son glorieux siege, l'avoir ramené çà bas à nostre corruption et à nos miseres?

De toutes les opinions humaines et anciennes touchant la religion, celle là me semble avoir eu plus de vraysemblance et plus d'excuse, qui recognoissoit Dieu comme une puissance incomprehensible, origine et conservatrice de toutes choses, toute bonté, toute perfection, recevant et prenant en bonne part l'honneur et la reverence que les humains luy rendoient, soubs quelque visage, soubs quelque nom et en quelque maniere que ce feust:

Iupiter omnipotens, rerum, regumque, deumque
Progenitor, genitrixque 2.

Ce zele universellement a esté veu du ciel de bon œil. Toutes polices ont tiré fruict de leur devotion; les hommes, les actions impies, ont eu par tout les evenements sortables 3. Les histoires païennes recognoissent de la dignité, ordre, iustice, et des prodiges et oracles employez à leur proufit et instruction, en leurs religions fabuleuses Dieu par sa misericorde, daignant, à l'adventure, fomenter, par ces benefices temporels, les tendres principes d'une telle quelle brute cognoissance, que la raison naturelle leur donnoit de luy au travers des faulses images de

Ils semblent avoir écrit, moins par suite d'une conviction profonde, que pour exercer leur esprit par la difficulté du sujet.

2 Tout-puissant Jupiter, père et mère du monde, et des dieux, et des rois. VALERIUS SORANUS, ap. D. AUGUSTIN, de Civit. Dei, VII, 9 et II.

3 Montaigne lui-même, au 1. I, c. 31, blâme l'usage de chercher à affermir et appuyer nostre religion par la prosperité de nos entreprinses. « Nostre creance, dit-il, a assez d'aultres fondements, sans l'auctoriser par les evenements. >> D. A.

[ocr errors]

leurs songes. Non seulement faulses, mais impies aussi et iniurieuses, sont celles que l'homme a forgé de son invention; et de toutes les religions que sainct Paul trouva en credit à Athenes, celle qu'ils avoient dediee « à une divinité cachee et incogneue,» luy sembla la plus excusable '. Pythagoras adumbra la verité de plus prez, iugeant que la cognoissance de cette Cause premiere et Estre des estres debvoit estre indefinie, sans prescription, sans declaration; que ce n'estoit aultre chose que l'extreme effort de nostre imagination vers la perfection, chascun en amplifiant l'idee selon sa capacité. Mais si Numa entreprint de conformer à ce proiect la devotion de son peuple, l'attacher à une religion purement mentale, sans obiect prefix et sans meslange materiel, il entreprint chose de nul usage: l'esprit humain ne se sçauroit maintenir, vaguant en cet infiny de pensees informes; il les luy fault compiler en certaine image à son modelle. La maiesté divine s'est ainsi, pour nous, aulcunement laissé circonscrire aux limites corporelles : ses sacrements supernaturels et celestes ont des signes de nostre terrestre condition; son adoration s'exprime par offices et paroles sensibles: car c'est l'homme qui croit et qui prie. Ie laisse à part les aultres arguments qui s'employent à ce subiect : mais à peine me feroit on accroire que la veue de nos crucifix et peincture de ce piteux supplice, que les ornements et mouvements cerimonieux de nos eglises, que les voix accommodees à la devotion de nostre pensee, et cette esmotion des sens, n'eschauffent l'ame des peuples d'une passion religieuse de tres utile effect.

2

De celles ausquelles on a donné corps, comme la necessité l'a requis parmy cette cecité universelle, ie me feusse, ce me semble, plus volontiers attaché à ceulx qui adoroient le soleil,

La lumière commune,

L'œil du monde; et si Dieu au chef porte des yeulx,
Les rayons du soleil sont ses yeulx radieux,
Qui donnent vie à touts, nous maintiennent et gardent,
Et les faicts des humains en ce monde regardent :
Ce beau, ce grand soleil qui nous faict les saisons,
Selon qu'il entre ou sort de ses douze maisons;
Qui remplit l'univers de ses vertus cogneues;
Qui d'un traict de ses yeulx nous dissipe les nues :
L'esprit, l'ame du monde, ardent et flamboyant,
En la course d'un iour tout le ciel tournoyant:
Plein d'immense grandeur, rond, vagabond, et ferme;
Lequel tient dessoubs luy tout le monde pour terme :

[blocks in formation]

:

tiesme et huictiesme, le soleil et la lune. Heraclides Ponticus ne faict que vaguer entre ses advis, et enfin prive Dieu de sentiment, et le faict remuant de forme à aultre; et puis dict que c'est le ciel et la terre. Theophraste se promeine, de pa

tribuant l'intendance du monde, tantost à l'entendement, tantost au ciel, tantost aux estoiles : Strato, que c'est nature ayant la force d'engendrer, augmenter, et diminuer, sans forme et sentiment: Zeno, la loy naturelle, commandant le bien et prohibant le mal; laquelle loy est un animant; et oste les dieux accoustumez, Iupiter, Iuno, Vesta: Diogenes Apolloniates, que c'est l'aage '. Xenophanes faict Dieu rond, voyant, oyant, non respirant, n'ayant rien de commun avecques l'humaine nature. Ariston estime la forme de Dieu incomprenable, le prive de sens, et ignore s'il est animant ou aultre chose: Cleanthes, tantost la raison, tantost le monde, tantost l'ame de nature, tantost la chaleur supreme entourant et enveloppant tout. Perseus, auditeur de Zeno, a tenu qu'on a surnommé dieux ceulx qui avoient apporté quelque notable utilité à l'humaine vie, et les choses mesmes proufitables. Chrysippus faisoit un amas confus de toutes les precedentes sentences, et compte entre mille formes de dieux qu'il faict, les hommes aussi qui sont immortalisez. Diagoras et Theodorus nioient tout sec qu'il y eust des dieux. Epicurus faict les dieux luisants, transparents et perflables, logez, comme entre deux forts, entre deux mondes, à couvert des coups; revestus d'une humaine figure et de nos membres, lesquels membres leur sont de nul usage: Ego deum genus esse semper duxi, et dicam cœlitum; Sed eos non curare opinor, quid agat humanum genus Fiez vous à vostre philosophie; vantez vous d'avoir trouvé la febve au gasteau, à veoir ce tintamarre de tant de cervelles philosophiques! Le trouble des formes mondaines a gaigné sur moy, que les diverses mœurs et fantasies aux miennes ne me desplaisent pas tant comme

En repos, sans repos; oysif, et sans seiour; Fils aisné de nature, et le pere du iour1: d'autant qu'oultre cette sienne grandeur et beaulté, c'est la piece de cette machine que nous descouvrons la plus esloingnee de nous, et par ce moyen si peu cogneue, qu'ils estoient pardon-reille irresolution, entre toutes ses fantasies; atnables d'en entrer en admiration et reverence. Thales, qui le premier s'enquit de telle matiere, estima Dieu un esprit qui feit d'eau toutes choses Anaximander, que les dieux estoient mourants et naissants à diverses saisons, et que c'estoient des mondes infinis et sans nombre : Anaximenes, que l'air estoit dieu, qu'il estoit produict et immense, tousiours mouvant. Anaxagoras, le premier, a tenu la descripiton et maniere de toutes choses estre conduicte par la force et raison d'un esprit infiny. Alemæon a donné la divinité au soleil, à la lune, aux astres, et à l'ame. Pythagoras a faict Dieu un esprit espandu par la nature de toutes choses, d'où nos ames sont desprinses: Parmenides, un cercle entourant le ciel et maintenant le monde par l'ardeur de la lumiere. Empedocles disoit estre des dieux, les quatre natures, desquelles toutes choses sont faictes Protagoras, n'avoir rien que dire s'ils sont ou non, ou quels ils sont : Democritus, tantost que les images et leurs circuitions sont dieux; tantost cette nature qui eslance ces images; et puis nostre science et intelligence. Platon dissipe sa creance à divers visages: il dict, au Timee, le pere du monde ne se pouvoir nommer; aux Loix, qu'il ne se fault enquerir de son estre; et ailleurs, en ces mêmes livres, il faict le monde, le ciel, les astres, la terre, et nos ames, dieux ; et receoit en oultre ceulx qui ont esté receus par l'ancienne institution, en chasque republique. Xenophon rapporte un pareil trouble de la discipline de Socrates: tantost qu'il ne se fault enquerir de la forme de Dieu; et puis il luy faict establir que le soleil est dieu, et l'ame dieu; qu'il n'y en a qu'un; et puis, qu'il y en a plusieurs. Speusippus, nepveu de Platon, faict dieu certaine force gouvernant les choses, et qu'elle est animale: Aristote, asture que c'est l'esprit, asture le monde; asture il donne un aultre maistre à ce monde, et asture faict dieu l'ardeur du ciel. Xenocrates en faict huict : les cinq nommez entre les planetes; le sixiesme, composé de toutes les estoiles fixes, comme de ses membres; le sep

1 Ces vers sont empruntés de Ronsard. DD.

2 Cette analyse de la théologie païenne est extraite surtout de CICERON, de Nat. deor. I, 10, 11, 12, etc. Il est inutile de multiplier les renvois. J. V. L.

RON, de Nat. deor. I, 12, «Aer, quo Diogenes Apolloniates utitur deo,» prouve incontestablement qu'il faut ici l'air, au lieu de l'aage; et Coste n'avait pas même besoin de citer encore à l'appui de cette opinion saint Augustin, de Civ. Dei, VIII, 2, et Bayle, à l'article Diogène d'Apollonie. Montaigno lui-même dit plus bas dans ce chapitre : « Ou l'infinité de nature d'Anaximander, ou l'air de Diogenes, ou les nombres et symmetries de Pythagoras, etc. » J. V. L.

1 On a essayé en vain de défendre ce texte. Celui de CICE

2 Perlucidos et perflabiles. CIC. de Divinat. II, 17. C.

3 II est des dieux, des dieux sans amour, sans courroux, Dont les regards jamais ne s'abaissent sur nous.

J'ai traduit ainsi les deux vers d'Ennius, rapportés par CiCÉRON, de Divinat. II, 50. J. V. L.

doigt sur la bouche, signifioit, dict Varro1, cette ordonnance mysterieuse à leurs presbtres, de taire leur origine mortelle, comme, par raison necessaire, annullant toute leur veneration. Puis que l'homme desiroit tant de s'apparier à Dieu, il eust mieulx faict, dict Cicero, de ramener à soy les conditions divines et les attirer çà bas, que d'envoyer là hault sa corruption et sa misere: mais, à le bien prendre, il a faict, en plusieurs façons, et l'un et l'aultre, de pareille vanité d'opinion. Quand les philosophes espeluchent la hierar

Secreti celant calles, et myrtea circum

elles m'instruisent, ne m'enorgueillissent pas | ne l'eussent esté et leur effigie, representee le tant comme elles m'humilient en les conferant; et tout aultre chois que celui qui vient de la main expresse de Dieu, me semble chois de peu de prerogative. Les polices du monde ne sont pas moins contraires en ce subiect que les escholes: par où nous pouvons apprendre que la fortune mesme n'est pas plus diverse et variable que nostre raison, ny plus aveugle et inconsideree. Les choses les plus ignorees sont plus propres à estre deïfiees parquoy, de faire de nous des dieux, comme l'ancienneté, cela surpasse l'extreme foiblesse de discours. I'eusse encores plus-chie de leurs dieux, et font les empressez à distost suyvy ceulx qui adoroient le serpent, le tinguer leurs alliances, leurs charges et leur chien et le bœuf; d'autant que leur nature et puissance, ie ne puis pas croire qu'ils parlent à leur estre nous est moins cogneu, et avons plus certes. Quand Platon nous deschiffre le vergier de loy d'imaginer ce qu'il nous plaist de ces bestes de Pluton, et les commoditez ou peines corpolà, et leur attribuer des facultez extraordinaires: relles qui nous attendent encores aprez la ruyne mais d'avoir faict des dieux de nostre condition, et aneantissement de nos corps, et les accommode de laquelle nous debvons cognoistre l'imperfec- au ressentiment que nous avons en cette vie : tion, leur avoir attribué le desir, la cholere, les vengeances, les mariages, les generations et les parenteles, l'amour et la ialousie, nos membres et nos os, nos fiebvres et nos plaisirs, nos morts, nos sepultures, il fault que cela soit party d'une merveilleuse yvresse de l'entendement humain; Quæ procul usque adeo divino ab numine distant, Inque deum numero quæ sint indigna videri ': Formæ, ætates, vestitus, ornatus noti sunt; genera, coniugia, cognationes, omniaque traducta ad similitudinem imbecillitatis humana: nam et perturbatis animis inducuntur; accipimus enim deorum cupiditates, ægritudines, iracundias 2; comme d'avoir attribué la divinité non seulement à la foy, à la vertu, à l'honneur, concorde, liberté, victoire, pieté, mais aussi à la volupté, fraude, mort, envie, vieillesse, misere, à la peur, à la fiebvre et à la male fortune, et aultres iniures de nostre vie fraile et caducque: Quid iuvat hoc, templis nostros inducere mores? O curvæ in terris animæ, et cœlestium inanes 3! Les Aegyptiens, d'une imprudente prudence, deffendoient, sur peine de la hart, que nul eust à dire que Serapis et Isis, leurs dieux, eussent aultrefois esté hommes; et nul n'ignoroit qu'ils

Toutes choses qui sont indignes des dieux, et qui n'ont rien de commun avec leur nature. LUCRÈCE, V, 123.

2 On connait les différentes figures de ces dieux, leur âge, leurs habillements, leurs ornements, leurs généalogies, leurs mariages, leurs alliances; et on les représente, à tous égards, sur le modèle de l'infirmité humaine, sujets aux mèmes passions, amoureux, chagrins, colères. Cic. de Nat. deor. II, 28. 3 Pourquoi consacrer dans les temples la corruption de nos mœurs? O ames attachées à la terre, et vides de célestes pensées! PERSE, Sat. II, 62 et 61.

Silva tegit curæ non ipsa in morte relinquunt3; quand Mahumet promet aux siens un paradis tapissé, paré d'or et de pierreries, peuplé de garses d'excellente beaulté, de vins et de vivres singuliers: je veoy bien que ce sont des mocqueurs qui se plient à nostre bestise, pour nous emmieller et attirer par ces opinions et esperances, convenables à nostre mortel appetit. Si sont aulcuns des nostres tumbez en pareil erreur, se pro mettants, aprez la resurrection, une vie terrestre et temporelle, accompaignee de toutes sortes de plaisirs et commoditez mondaines. Croyons nous que Platon, luy qui a eu ses conceptions si celestes, et si grande accointance à la divinité, que le surnom luy en est demeuré, ayt estimé que l'homme, cette pauvre creature, eust rien en luy d'applicable à cette incomprehensible puissance? et qu'il ayt cru que nos prinses languissantes feussent capables, ny la force de nostre sens assez robuste, pour participer à la beatitude ou peine eternelle? Il fauldroit luy dire, de la part de la raison humaine : Si les plaisirs que tu nous promets en l'aultre vie sont de ceulx que i'ay sentis çà bas, cela n'a rien de commun avecques l'infinité. Quand touts mes cinq sens de nature seroient combles de liesse, et cette ame saisie de tout le contentement qu'elle peult desirer et es

Cité par S. AUGUSTIN, de Civit. Dei, XVIII, 5. C.
Tusc. quæst. I, 26. C.

3 Ils se cachent dans un bois de myrtes, coupé de sentiers solitaires; la mort mème ne les a pas délivrés de leurs soucis. VIRG. Eneid. VI, 443.

nostre soye, on les veoid comme mourir et as-
seicher, et de ce mesme corps se produire un
papillon, et de là un aultre ver, qu'il seroit ridi-
cule estimer estre encores le premier ; ce qui a
cessé une fois d'estre, n'est plus :

Nec, si materiam nostram collegerit ætas
Post obitum, rursumque redegerit, ut sita nunc est,
Atque iterum nobis fuerint data lumina vitæ,
Pertineat quidquam tamen ad nos id quoque factum,
Interrupta semel quum sit repetentia nostra1.

Et quand tu dis ailleurs, Platon, que ce sera la partie spirituelle de l'homme à qui il touchera de iouyr des recompenses de l'aultre vie, tu nous dis chose d'aussi peu d'apparence :

perer, nous sçavons ce qu'elle peult; cela, ce ne seroit encores rien: s'il y a quelque chose du mien, il n'y a rien de divin : si cela n'est aultre que ce qui peult appartenir à cette nostre condition presente, il ne peult estre mis en compte; tout contentement des mortels est mortel: la recognoissance de nos parents, de nos enfants et de nos amis, si elle nous peult toucher et chatouiller en l'aultre monde, si nous tenons encores à un tel plaisir, nous sommes dans les commoditez terrestres et finies. Nous ne pouvons dignement concevoir la grandeur de ces haultes et divines promesses, si nous les pouvons aulcunement concevoir; pour dignement les imaginer, il les fault imaginer inimaginables, indicibles, et incomprehensibles, et parfaictement aultres que celles de nostre miserable experience. « OEil ne sçauroit car, à ce compte, ce ne sera plus l'homme, ny veoir, dict sainct Paul '; et ne peult monter en cœur d'homme, l'heur que Dieu prepare aux siens. » Et si pour nous en rendre capables, on reforme et rechange nostre estre (comme tu dis, Platon, par tes purifications), ce doibt estre d'un si extreme changement et si universel, que par la doctrine physique, ce ne sera plus nous; Hector erat tunc quum bello certabat; at ille

Tractus ab Æmonio, non erat Hector, equo2;

Scilicet, avolsis radicibus, ut nequit ullam
Dispicere ipse oculus rem, seorsum corpore toto *;

nous, par consequent, à qui touchera cette iouïs-
sance; car nous sommes bastis de deux pieces
principales essentielles, desquelles la separation
c'est la mort et ruyne de nostre estre:

Inter enim iecta est vitaï pausa, vageque
Deerrarunt passim motus ab sensibus omnes 3:

nous ne disons pas que l'homme souffre, quand
les vers luy rongent ses membres dequoy il vi-

ce sera quelque aultre chose qui recevra ces re- voit, et que la terre les consomme : compenses:

Quod mutatur...... dissolvitur; interit ergo : Traiiciuntur enim partes, atque ordine migrant3. Car en la metempsychose de Pythagoras et changement d'habitation qu'il imaginoit aux ames, pensons nous que le lyon dans lequel est l'ame de Cesar, espouse les passions qui touchoient Cesar, ny que ce soit luy? Si c'estoit encores luy, ceulx là auroient raison, qui combattants cette opinion contre Platon, luy reprochent que le fils se pourroit trouver à chevaucher sa mere revestue d'un corps de mule; et semblables absurditez. Et pensons nous qu'ez mutations qui se font des corps des animaulx en aultres de mesme espece, les nouveaux venus ne soyent aultres que predecesseurs ? Des cendres d'un phoenix s'engendre, dict on 4, un ver, et puis un aultre phonix; ce second phoenix, qui peult imaginer qu'il ne soit aultre que le premier ? Les vers qui font

Corinth. I, 2, 9, d'après ISAÏE', LXIV, 4. J. V. L.

leurs

2 C'était Hector qui combattait les armes à la main; mais le corps qui fut traîné par les chevaux d'Achille, ce n'était plus Hector. OVID. Trist. III, II, 27.

3 Ce qui est changé, se dissout; donc il périt : en effet, les corps sont séparés par d'autres corps, et l'organisation est détruite. LUCRÈCE, III, 756.

4 PLINE, Nat. Hist. X, 2. C.

Et nihil hoc ad nos, qui coitu coniugioque Corporis atque animæ consistimus uniter apti4. Davantage, sur quel fondement de leur iustice peuvent les dieux recognoistre et recompenser à l'homme, aprez sa mort, ses actions bonnes et vertueuses, puis que ce sont eulx mesmes qui les ont acheminees et produictes en luy? et pourquoy s'offensent ils et vengent sur luy les vicieuses, puis qu'ils l'ont eulx mesmes produict en cette condition faultiere, et que d'un seul clin de leur volonté ils le peuvent empescher de faillir? Epicurus opposeroit il pas cela à Platon, avecques grand' apparence de l'humaine raison, s'il ne se couvroit souvent par cette sentence, « Qu'il est impossible d'establir quelque chose de certain de l'immortelle nature, par la mortelle ? » Elle

Et si le temps rassemblait la matière de notre corps après qu'il a été dissous, de sorte qu'il remit cette matière dans la situation où elle est à présent, et qu'il nous rendit à la vie, tout cela ne serait rien à notre égard, dès que le cours de notre existence a été une fois interrompu. LUCRÈCE, III, 859.

2 De même l'œil, arraché de son orbite, et sépare du corps, ne peut voir aucun objet. LUCRÈCE, III, 562.

3 En effet, dès que le cours de la vie est interrompu, le mouvement abandonne tous les sens, et se dissipe. LUCRÈCE, III, 872.

4 Cela ne nous touche pas, puisque nous sommes un tout formé du mariage du corps et de l'âme. LUCRÈCE, III, 857.

ne faict que fourvoyer par tout, mais specialement | boucherie, non de bestes innocentes seulement, mais d'hommes aussi; ainsi que plusieurs nations, et entre aultres la nostre, avoient en usage ordinaire; et croy qu'il n'en est aulcune exempte d'en avoir faict essay :

quand elle se mesle des choses divines. Qui le sent plus evidemment que nous ? car encores que nous luy ayons donné des principes certains et infaillibles, encores que nous esclairions ses pas par la saincte lampe de la Verité, qu'il a pleu à Dieu nous communiquer, nous veoyons pourtant iournellement, pour peu qu'elle se desmente du sentier ordinaire, et qu'elle se destourne ou escarte de la voye tracee et battue par l'Eglise, comme tout aussitost elle se perd, s'embarrasse et s'entrave, tournoyant et flottant dans cette mer vaste, trouble et ondoyante, des opinions humaines, sans bride et sans but: aussitost qu'elle perd ce grand et commun chemin, elle se va divisant en mille routes diverses.

L'homme ne peult estre que ce qu'il est, ny imaginer que selon sa portee. C'est plus grande presumption, dict Plutarque 1, à ceulx qui ne sont qu'hommes, d'entreprendre de parler et discourir des dieux et des demy dieux, que ce n'est à un homme ignorant de musique, vouloir iuger de ceulx qui chantent, ou à un homme qui ne feut iamais au camp, vouloir disputer des armes et de la guerre, en presumant comprendre, par quelque legiere coniecture, les effects d'un art qui est hors de sa cognoissance. L'ancienneté pensa, ce croy ie, faire quelque chose pour la grandeur divine, de l'apparier à l'homme, la vestir de ses facultez, et estrener de ses belles humeurs et plus honteuses necessitez, luy offrant de nos viandes à manger, de nos dances, mommeries et farces à la resiouyr, de nos vestements à se couvrir, et maisons à loger, la caressant par l'odeur des encens et sons de la musique, festons et bouquets; et pour l'accommoder à nos vicieuses passions, flattant sa iustice d'une inhumaine vengeance, l'esiouïssant de la ruyne et dissipation des choses par elle creees et conservees: comme Tiberius Sempronius, qui feit brusler, pour sacrifice à Vulcan, les riches despouilles et armes qu'il avoit gaigné sur les ennemis en la Sardaigne; et Paul Emile3, celles de Macedoine, à Mars et à Minerve; et Alexandre 4, arrivé à l'ocean indique, iecta en mer, en faveur de Thetis, plusieurs grands vases d'or; remplissant en oultre ses autels d'une

Dans le traité Pourquoy la iustice divine differe quelquesfois la punition des malefices, c. 4 de la version d'Amyot. C.

2 TITE-LIVE, XLI, 16.

3 ID. XLV, 33. C.

4 ARRIEN, VI, 19, et DIODORE DE SICILE, XVII, 104, sont les seuls historiens d'Alexandre qui parlent des vases d'or jetés dans l'Océan; mais ils ne disent rien de la boucherie d'hommes. C.

Sulmone creatos

Quatuor hic iuvenes, totidem, quos educat Ufens, Viventes rapit, inferias quos immolet umbris'. Les Getes' se tiennent immortels; et leur mourir n'est que s'acheminer vers leur dieu Zamolxis. De cinq en cinq ans, ils despeschent vers luy quelqu'un d'entre eulx pour le requerir des choses necessaires. Ce deputé est choisy au sort; et la forme de le despescher, aprez l'avoir, de bouche, informé de sa charge, est que de ceulx qui l'assistent, trois tiennent debout autant de iavelines, sur lesquelles les aultres le lancent à force de bras. S'il vient à s'enferrer en lieu mortel, et qu'il trespasse soubdain, ce leur est certain argument de faveur divine: s'il en eschappe, ils l'estiment meschant et exsecrable, et en deputent encores un aultre de mesme. Amestris 3, mere de Xerxes, devenue vieille, feit, pour une fois, ensepvelir touts vifs quatorze iouvenceaux des meilleures maisons de Perse, suyvant la religion du païs, pour gratifier à quelque dieu soubterrain. Encores auiourd'hui les idoles de Themixtitan se cimentent du sang des petits enfants; et n'ayment sacrifice que de ces pueriles et pures ames: iustice affamee du sang de l'innocence !

Tantum relligio potuit suadere malorum 4!

Les Carthaginois 5 immoloient leurs propres enfants à Saturne; et qui n'en avoit point, en acheptoit estants cependant le pere et la mere tenus d'assister à cet office avecques contenance gaye

et contente.

C'estoit une estrange fantasie, de vouloir payer la bonté divine de nostre affliction; comme les Lacedemoniens, qui mignardoient leur Diane par le bourrellement des ieunes garsons qu'ils faisoient fouetter en sa faveur, souvent iusques à la mort : c'estoit une humeur farouche, de vouloir gratifier l'architecte de la subversion de son bastiment, et de vouloir guarantir la peine deue aux

Énée saisit quatre jeunes guerriers, fils de Sulmone, et quatre, nourris sur les bords de l'Ufens, pour les immoler vivants aux månes de Pallas. VIRG. Eneid. X, 517.

[blocks in formation]
« PreviousContinue »