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A. So. Hé quoi! on dit que les Sultans n'époulent jamais ?

Ro. J'en conviens ; cependant je me mis en tête d'époufer Soliman, quoique je ne puffe l'amener au mariage par l'efpérance d'un bonheur qu'il n'eût pas encore obtenu. Vous allez entendre un

ftratagême plus fin que le vôtre. Je commençai à bâtir des Temples & à faire beaucoup d'autres actions pieufes; après quoi je fis paroître une mélancolie pro, Fonde. Le Sultan m'en demanda la caufe mille & mille fois ; & quand j'eus fait toutes les façons néceffaires, je lui dis que le fujet de mon chagrin étoit que toutes mes bonnes actions, à ce que m'avoient dit nos Docteurs, ne me servoient de rien ; & que comme j'étois Efclave, je ne travaillois que pour Soli man mon Seigneur. Auffi-tôt Soliman m'affranchit, afin que le mérite de mes bonnes actions tombât fur moi même: mais quand il voulut vivre avec moi comme à l'ordinaire, & me traiter en Sultane du Serrail, je lui marquai beaucoup de furprise, & lui repréfentai avec un grand férieux qu'il n'avoit nul droit fur la perfonne d'une femme libre. Soliman avoit la confcience délicate; il alla

confulter ce cas à un Docteur de la Loi, avec qui j'avois intelligence. Sa réponse fut, que le Sultan fe gardât bien de prendre rien fur moi, qui n'étois plus fon Efclave, & que s'il ne m'époufoit, je ne pouvois être à lui. Alors le voilà plus amoureux que jamais. Il n'avoit qu'un feul parti à prendre, mais un parti fort extraordinaire & même dangereux, à caufe de la nouveauté; cependant il le prit & m'époufà.

A. So. J'avoue qu'il eft beau d'affujettir ceux qui le précautionnent tant contre notre pouvoir.

Ro. Les hommes ont beau faire; quand on les prend par les pallions, on les mène où l'on veut. Qu'on me faffe revivre, & qu'on me donne l'homme du monde le plus impérieux, je ferai de lui tout ce qu'il me plaira, pourvu que j'aie beaucoup d'efprit, affez de beauté, & peu d'amour.

DIALOGUE VI.

JEANNE 1ere. DE NAPLES, ANSEL ME.

J. DE NA PLES.

QUOI!

UOI! ne pouvez-vous pas me faire quelque prédiction? Vous n'avez pas ou blié toute l'Aftrologie que vous faviez autrefois?

ANSELME. Et comment la mettre en pratique? nous n'avons point ici de Ciel ni d'Etoiles.

J. DE NA. Il n'importe. Je vous difpense d'observer les règles fi exacte

ment.

AN. Il feroit plaifant qu'un Mort fit des prédictions. Mais encore, fur quoi voudriez-vous que j'en fiffe?

J. DE NA. Sur moi, fur ce qui me regarde.

AN. Bon! Vous êtes morte, & vous le ferez toujours; voilà tout ce que j'ai à vous prédire. Eft-ce que notre condition ou nos affaires peuvent changer?

J. DENA. Non; mais auffi c'eft ce qui m'ennuie cruellement : & quoique je fache qu'il ne m'arrivera rien, fi vous vouliez pourtant me prédire quelque chofe, cela ne laifferoit pas de m'occuper. Vous ne fauriez croire combien il eft trifte de n'envisager aucun avenir. Une petite prédiction, je vous en prie, telle qu'il vous plaira.

AN. On croiroit, à voir votre inquiétude, que vous feriez encore vivante. C'eft ainfi qu'on eft fait là-haut. Onn'y fauroit être en patience ce qu'on eft; on anticipe toujours fur ce qu'on fera mais ici il faut que l'on foit plus fage.

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J. DE NA. Ah! les hommes n'ont-ils pas raifon d'en ufer comme ils font? Le préfent n'eft qu'un inftant, & ce feroit grand' pitié qu'ils fuffent réduits à borner-là toutes leurs vues. Ne vaut-il pas mieux qu'ils les étendent le plus qu'il leur eft poffible, & qu'ils gagnent quelque chofe fur l'avenir? C'eft toujours autant dont ils fe mettent en poffeffion par avance.

AN. Mais auffi ils empruntent tellement fur l'avenir par leurs imaginations & par leurs efpérances, que quand il eft enfin préfent, ils trouvent qu'il eft tout

épuifé, & ils ne s'en accommodent plus. Cependant ils ne fe défont point de leur impatience, ni de leur inquiétude le grand leurre des hommes, c'eft toujours l'avenir; & nous autres Aftrologues, nous le favons mieux que perfonne. Nous leur difons hardiment qu'il ya des Signes froids & des Signes chauds; qu'il y en a de mâles & de femelles ; qu'il y a des Planètes bonnes & mauvaifes, & d'autres qui ne font ni bon-. nes ni mauvaises d'elles-mêmes, mais qui prennent l'un ou l'autre carac tère, felon la compagnie où elles fe trouvent & toutes ces fadaifes font fort bien reçues, parce qu'on croit qu'elles mènent à la connoiffance de l'avenir.

J. DE NA. Quoi! n'y mènent-elles pas en effet? Je trouve bon que vous, qui avez été mon Aftrologue, vous me difiez du mal de l'Aftrologie!

AN. Ecoutez, un Mort ne voudroit pas mentir. Franchement, je vous trompois avec cette Aftrologie que vous efti

mez tant.

J. DE NA. Oh! je ne vous en crois pas vous-même. Comment m'euffiezvous prédit que je devois me marier quatre fois? Y avoit-il la moindre ap

parence

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