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tout. Je fuis amoureux pour le refte de ma vie ; je n'ai plus befoin du commerce des hommes!

A MADEMOISELLE DE V...

LETTRE XLVII I.

NE doutez point, Mademoiselle;

que je n'aie été charmé de la manière dont vous vous tirâtes hier de la périlleufe conversation que vous eûtes avec cette Demoiselle, qui venoit vous livrer un affaut de bel-efprit. Je crois bien qu'elle fortit perfuadée d'avoir eu l'avantage, parce que vous aviez beaucoup moins parlé qu'elle; mais je vous en eftime davantage d'avoir fu remporter lur elle une victoire qui ne l'ait pas bleffée. Il y eut de votre part la plus ingénieufe malice du monde à lui laiffer avoir de l'efprit tant qu'elle voulut, & à ne placer de temps en temps que des chofes fimples & pourtant fines, qui auroient dû la rappeller de fes hautes idées, fi elle vous eût bien entendue. Sans mentir, je ne vous ai jamais trouvée plus fpirituelle, ni même plus

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belle, parce qu'une crainte fecrette de vous laiffer furpaffer anima vos yeux & votre vifage, & que l'application que vous aviez à jetter du ridicule fur de fi beaux difcours, rendit votre air plus fin. Jufqu'à préfent, quand j'ai été touché de quelqu'un, je lui ai toujours donné dans mon imagination ce qui lui manquoit; j'avois regret à laiffer imparfaite une belle idée qui devoit régner dans mon efprit, & que j'achevois de ma pure libéralité: mais de bonne foi, je ne vous donne rien; vous êtes la première perfonne que j'aie aimée telle qu'elle étoit, & qui ne m'ait rien dû de fes charmes. Auffi je ne pourrai me venger de vous comme j'ai fait de beaucoup d'autres, que je remettois dans leur état naturel, & à qui je retranchois toutes les faveurs de mon imagination lorfque je n'étois pas content. Votre mérite tiendra toujours bon contre mes reffentimens, & je ne m'attends point à avoir jamais la confolation de vous trouver moins aimable , quand même j'aurois le plus d'envie de ne vous point aimer. Il me femble qu'il y a de l'imprudence dans l'aveu que je vous fais; mais enfin, je vous ai promis de ne vous dire jamais rien que de vrai.

Xx ij

حمد محمد

Rien que de vrai en amour! Cela n'eft prefque pas concevable. Il falloit que je fuffe déjà bien fou, quand je vous fis une femblable promeffe. Si jamais vous permettiez à ma raifon de revenir un peu, je vous déclare que je prétendrois bien recommencer à mentir felon la coutume de la vraie galanterie. Jufqueslà, je ne fais combien d'artifices d'amour que je puis avoir appris, me demeureront inutiles. Je favois affez bien jouer une de ces langueurs qui touchent, ou prendre de ces manières vives qui féduifent, & j'ai vu plus d'une aimable perfonne fe paffionner à mes représentations; mais je renonce avec vous à tout mon acquit, & je vous aime comme un homme qui n'a jamais ainé que vous. Le peu qu'il s'en faut que cela ne foit vrai, ne vaut pas la peine d'en parler. Il feroit beau voir mes autres paffions fe comparer à celle-ci !

A LA MÉM E.

LETTRE XLIX.

JE n'ai point encore éprouvé d'empire

fi rude que le vôtre. Quoi! vous dites qu'il n'eft pas poffible que je ne vous trompe, parce que j'ai marqué jufqu'à prélent trop de plaifir à être avec vous, & qu'il n'a pas paru que je me fois ennuyé un feul moment ? Vous prétendez que cela n'eft pas naturel, & qu'il y a de l'art dans mes manières. En vérité, je fuis bien malheureux; il ne me sera point permis de ne me point ennuyer, lorfqu'effectivement je fuis le plus content du monde ! Comment voudriezvous que je fiffe? il n'y a que trois ans que j'ai l'honneur de vous voir; tous vos agrémens me font encore nouveaux, & de la manière dont vous les favez renouveller & les faire fuccéder les uns aux autres, vous en avez encore pour

plus de vingt ans, fans tomber dans aucune répétition de charmes. Attendez que ce temps-là soit paffé, je tâcherai de faire alors ce que vous fouhaitez de

moi; je m'ennuierai. Il me femble que c'eft-là fe mettre à la raison. Je fais bien ce qui rend l'amour de fi peu de durée ; c'eft qu'on le pouffe toujours au-delà du naturel. On veut être, par exemple, dans une extafe perpétuelle auprès de ce qu'on aime, toujours également ravi & enchanté. La nature ne comporte point cela; apparemment vous voulez ménager ma tendreffe, en lui accordant la permiffion de fe relâcher quelquefois. Le motif eft obligeant, & vous pouvez croire que j'en fens bien le prix; mais enfin, Mademoiselle, il n'eft pas possible d'avoir la complaifance de s'ennuyer avec vous. Cherchez qui vous fafle la cour à ce prix-là. Je doute que Def... même, personnage fi ennuyé & fi ennuyeux, pût vous contenter.

A M. LE CHEVALIER DE L...

LETTRE L.

Vous êtes donc fur le point d'épouser

l'aimable Dévote à qui vous faites la cour depuis fi long-temps, & vous renoncez pour elle à l'Ordre de Malte?

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