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fortes de tours-là: il eft vrai auffi qu'il eft fort redouté, & qu'on ne s'expofe guère à la colère. Que fert à ma coufine toute fa prudence? Ne la voilà-t-il pas déshonorée par le Chevalier...., qui n'y a pas grande part, & qui pourtant, vain comme il eft, aidera de tout fon pouvoir à l'hiftoire, quand il viendra à la favoir? Si j'étois en votre place je craindrois que, par l'expérience, la Marquife de la F ... ne vînt à se dé goûter de la vertu. Il eft vrai pourtant que comme c'eft principalement à elle qu'elle doit votre cœur, elle aura plus de peine à ceffer de l'aimer.

.....

A MADEMOISELLE D'HER...

LETTRE XXXIX.

VOTRE

OTRE mari fe plaint de vous, & très-férieusement, & il a raifon. Il dit que vous ne jouez plus bien le personnage de fille, & qu'il eft aifé de s'appercevoir que vous avez eu deux enfans; qu'à d'autres qui en ont bien eu autant, il n'y paroît point du tout, & qu'il veut vous mettre à leur école pour vous

apprendre à vivre. Je vois bien que de puis le bruit qui a couru de votre aventure, vous êtes bien aife qu'on vous croie mariée; mais férieufement que vous importe? Vous n'avez plus d'hon. neur; c'eft celui de votre mari, & de là vient qu'il y a affez de femmes qui ne fe mettent en peine de rien, parce que ce qu'elles font eft plus fur le compte de leurs maris que fur le leur: mais on ne fait fi vous en avez un; on le faura quelque jour; & en attendant, fi j'étois en votre place, je prendrois plaifir à jouir des avantages d'une réputation douteufe, à entrer également parmi les femmes de bien qui vous croiront mariée, & parmi les coquettes qui ne le croiront pas. Vous ferez de ces deux mondes différens, fi vous voulez, jufqu'à la déclaration de votre mariage; car quand vous en ferez une fois venue là, & que vous aurez repris tous les dehors de la vertu, les coquettes ne voudront plus de vous, & afsurément vous y perdrez; leur monde eft le plus joli. Si vous étiez charitable, vous fongeriez qu'à l'heure qu'il eft, il y a quelques perfonnes tendres & fragiles qui fe flattent que vous n'êtes point mariée, & qui, fur votre exemple, se confolent d'une fécondité qui n'a peut

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être pas été fi grande que la vôtre. Ne leur enviez point cette confolation, en donnant trop à entendre que vous êtes la Marquife de la F..... On le croit déjà affez, & on eft affez difpofé à vous rendre juftice. Le Chevalier.... lui-même, à qui M. le Marquis s'étoit avifé de donner les deux enfans, quoiqu'il ait été d'abord affez Alatté de ce bruit, & qu'il l'ait reçu avec toute la modeftie capable de le confirmer, n'a pourtant ofé s'y jouer long-temps; il a fait réflexion quela chofe ne feroit pas toujours douteufe, que vous ne vous gouverniez pas de forte que fa vanité pût tirer quelque profit de ce bruit, à la faveur de l'ambiguité de votre conduite, & qu'il viendroit quelque éclairciffement fâcheux pour ceux qui ne fe feroient pas aflez défendus d'adopter les enfans d'autrui. Il a donc pris le parti de nier de la bonne forte, & du vrai ton, dont on nte ce qu'on ne veut pas qui foit cru. Repofez vous fur l'opinion qu'on a de vous, & ne vous mettez point en peine d'y aider. Vous êtes bien heureufe que malgré vos imprudences d'honneur, la vieille tante une fois frappée, & frappée agréablement de vos prétendus amours avec le Chevalier...., ne fe

foit

foit pas avifée de craindre que vous fuffiez fa nièce: mais n'en faites pas trop; foyez encore quelque temps fans vous piquer trop de vertu, après quoi vous vous en donnerez tant qu'il vous plaira. Ce fera une belle chofe à voir quand vous aurez lâché la bride à toute votre fageffe.

A MADEMOISELLE DE V...

LETTRE X L.

DEPUIS

EPUIS trois jours, Mademoiselle, je ne fais que penser à la question fur quoi vous m'avez fait l'honneur de me confulter, & je ne trouve que des habillemens, ou qui vous orneront, ou que vous ornerez, mais beaucoup plus de cette dernière espèce. Je vous avouerai cependant qu'il y en a qui vous fiéront mieux les uns que les autres. Je ne fuis point d'avis qu'on vous peigne en Amazone, vous avez l'air trop doux; je ne fuis point d'avis non plus qu'on vous peigne en bergère, vous avez l'air trop fier; j'ai imaginé un habillement qui n'a aucun des inconvéniens qu'on pourroit Tome I.

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trouver aux autres, il faut qu'on vous peigne en Iroquoife. Si vous ne favez pas quelle forte d'habillement c'est, informez-vous-en, on vous le dira. Il eft vrai que cet habillement-là eft difficile à foutenir, & qu'il y auroit bien peu de femmes qui y paruffent avec avantage; mais ne vous mettez pas en peine, je vous répons qu'il vous fiéra bien. II eft fort galant, & en même temps fort fimple, deux chofes qu'on a de la peine à faire rencontrer dans le même habit. Ces Iroquoifes entendent bien comment il faut fe mettre. Il m'eft venu une petite imagination qui pourra fervir à orner le tableau ; c'est que comme les Iroquoifes, auffi bien que Meffieurs leurs maris, mangent volontiers de la chair humaine, il ne fera pas mal de mettre devant vous une douzaine ou deux de cœurs dont vous mangerez quelqu'un par manière d'amufement; cela s'accordera avec la figure d'Iroquoife que vous aurez, & avec votre caractère. Voilà, Mademoifelle, tout ce que j'ai pu imaginer de plus galant & de plus convenable; je vous avouerai que je fuis fort content de l'invention qui eft particulière, & je crois que vous le ferez auffi quand vous y aurez bien penfé,

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