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A MADEMOISELLE DE V........

Lorfqu'elle avoit la petite vérole, & qu'il lui avoit enfeigné un remède qui la devoit empêcher d'être marquée,

LETTRE XXVI.

J'APPRENDS

de

'APPRENDS avec une joie incroyable que mon remède fait fon effet, & je ne puis m'empêcher, Mademoiselle vous écrire pour m'en féliciter. Je voudrois feulement qu'il me fût permis de fuivre ma lettre, & d'aller m'exposer à gagner du mauvais air auprès de votre lit. Il eft vrai que je ne rifquerai pas beaucoup; je fuis fi accoutumé à refpirer auprès de vots un air très-dangereux, que je crois que la pefte ne me feroit pas de peur; tout au plus je gagnerois la petite vérole. Affurément elle tiendroit bien, & laifferoit des marques très-profondes; elle me cauferoit des délires & des tranfports au cerveau affez fréquens; je n'en ferois pas quitte pour des années entières de fouffrance: mais avec tout cela, elle feroit

le plus doux plaifir de ma vie. Du moins voilà les effets qu'a produit en moi ce que j'ai pris de vous jufqu'à préfent, & je ne raifonne de la petite vérole que par comparaifon à une autre maladie que j'ai gagnée. Si vous avez peine à la deviner, demandez à votre Médecin quelle elle peut être; il vous le dira bien fur les fymptômes que je vous mande, & ce billet pourra fervir de mémoire instructif pour une confultation.

A LA MÉ M E.

LETTRE XXVIL

ENFIN, Mademoiselle, tous vos mi

roirs vous aflurent de ce que je vous avois déjà prédit, & vous avez le plaifir de voir que vous n'êtes aucunement marquée. Songez que vous me devez le plus beau teint du monde, & que les rofes & les lis dont il eft compofé m'appartiennent. J'ai confervé ces fleurs, je les ai cultivées; feroit-ce à un autre à les cueillir? Peut-être même vous me devez vos yeux, & tous nos cœurs sa vent affez quels yeux ce font que les

vôtres. Pour votre nez, il eft certain que vous m'avez l'obligation de ce qu'il n'eft pas groffi, & il vaudroit autant que vous me le duffiez entièrement. Ne vous offenfez point de ce que je vous préfente un miroir fi exact de tout ce que vous me devez vous n'êtes pas d'une générofité qui me puiffe difpenfer d'une pareille exactitude; & quoique toute votre personne me soit préfentement engagée, je ne fais fi je pourrai faire valoir toutes mes prétentions légitimes, & fi je ne trouverai pas bien des non-valeurs. N'allez pas dire qu'il n'y a tout au plus que le vifage qui me foit obligé, & que tout le refte n'étoit point en péril d'être endommagé par la petite vérole. Le visage, c'est tout; c'eft par le vifage qu'on eft belle; c'eft lui qui eft caution pour tout ce qui ne fe voit pas, & même fa beauté fe répand fur tout ce qui fe voit. Il me femble qu'un beau bras n'eft point beau, s'il n'appartient à un beau visage. Ainfi, qui a des droits fur le visage, en a fur tout; & quand même les miens fe borneroient-là, ou que l'on m'y réduiroit, je tâcherois à prendre patience: mais auffi comme un vifage eft propre à bien des chofes, je vous avoue que je ne le difpenferois d'aucune des fonctions

dont

dont il eft capable. Mes menaces ne vous font-elles point de peur, & n'euffiezvous point mieux aimé avoir la petite vérole tout du long? Vous en euffiez rapporté un vifage qui n'eût rien dû à perlonne. Cependant, ne vous effrayez point; je tâcherai à vous traiter de forte que vous n'ayiez point de regret de n'avoir pas été gâtée par la petite vérole.

Je fuis fi généreux, que j'ai oublié à vous compter un des plus confidérables articles que vous me deviez, & je fuis réduit à ne le mettre ici que par apoftille. Je me vois chargé de la haine de toutes les belles femmes, qui favent que mon remède vous a préfervée d'être marquée. Elles avoient déjà fondé de grandes espérances fur votre petite vérole. Elles prétendoient bien qu'après cela, il n'y auroit plus rien de divin à votre beauté, & que votre vifage, auffi bien que le leur, ne feroit plus que celui d'une belle mortelle ; car il ne vous pouvoit arriver pis que d'en être réduite là. Il faudra que je me cache quand vous reparoîtrez. Toutes ces femmes. me veulent autant de mal que fi c'étoit moi qui les effaçaffe, & ma condition ne feroit pas plus mauvaise, quand je ferois une fort jolie fille. Comment l'enTome I Rr

tendez-vous, Mademoiselle ? Ne me paierez-vous pas de l'injustice de tout votre sexe.

A MONSIEUR D'A......

LETTRE XXVIII.

JE crois, Monfieur, que je ferai bien

d'en user avec vous fur la mort de Monfeur votre beau-frère, comme j'en ai ufé avec Madame votre fœur. Monfieur fon mari étoit homme de grand mérite, fort eftimé dans fa profeffion; elle vivoit fort bien avec lui: mais enfin elle eft veuve & très riche, & encore fort jeune. Je n'ai jamais pu déterminer fi je lui ferois un compliment de condoléance ou de conjouillance. Selon la bienféance & la coutume, il ne pouvoit pas y avoir de doute; mais felon la vérité, il pouvoit fort bien y en Lavoir. Dans cette incertitude, je lui ai envoyé pour toute chose un blanc-figné. Elle m'a bien entendu, & m'a répondu en ces quatre mots, fort fpirituellement à ce qu'il me femble: Je remplirai votre blanc-figné dans fix mois,

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