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elle a enfin renoncé, pour le refte de fa vie, à faire la Comtelle. Le mari espéroit du moins être récompenfé par fa fécondité; car la fécondité eft, ce me femble, une qualité bourgeoife, & il eft vrai qu'elle en a affez, mais ce n'eft que pour produire filles fur filles. En voilà déjà quatre qui mettent leur père au défespoir. J'ai vu le temps qu'il n'étoit pas trop dévôt; mais il commence à croire aux Saints qui font avoir des garçons. Un certain Gentilhomme, du petit nombre des Huguenots qui nous reftent encore, fe trouva hier chez moi, & voulut faire au Comte D'.... quelques mauvaises plaifanteries fur fon pélerinage, comme ces Meffieurs en favent bien faire; mais il fut repouffé avec un zèle dont le Comte a lieu d'ef pérer trois ou quatre garçons de fuite. Il eft fort en colère contre la Comteffe de ce qu'il ne peut ennoblir fes fentimens jufqu'au point de lui faire souhaiter un fils avec autant de paffion qu'il en fouhaite un. Il la trouve fur cela dans une indifférence tout-à-fait roturière, & peut-être foupçonne-t-il que. c'eft faute d'être dans des difpofitions d'efprit affez élevées, qu'elle ne fait point de Comtes. La petite femme au

roit-elle bien l'adreffe de n'avoir que des filles, pour ne le pas laiffer en liberté de fe relâcher fur fes devoirs? Car alurément cet article fouffriroit une diminution notable, s'il avoit tiré d'elle un garçon ou deux; mais de fille en fille, elle le menera loin. Quoiqu'elle n'ait pas beaucoup d'efprit, je croirois volontiers qu'elle en auroit affez pour cela. Les femmes entendent fi bien leurs vrais intérêts! Ce qui tourmente le plus M. le Comte, c'eft qu'il a eu des Maréchaux de France dans fa famille. Laiffer éteindre une Maifon qui a porté de tels perfonnages! Laiffer mourir un fi grand nom! C'eft pour en mourir foimême; mais peut-être auffi que les fucceffeurs de ces grands hommes ne veulent pas être petits-fils d'un Marchand. Que fait on fi ces êtres à venir ne font point déjà délicats fur l'honneur? Quoi qu'il en foit, le pauvre Comte eft bien plaindre d'avoir pris une femme qui ne fait ni faire la Comteffe, ni faire de Comtes. Nous verrons fi le pélerinage remédiera à ce dernier malheur; pour le premier, je ne crois pas qu'il y puiffe rien.

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A MONSIEUR D'E....

JE

LETTRE XXII I.

E ne puis jamais avoir plus de befoin d'un bon confeil, mon cher Ami, & je vous le demande de tout mon cœur. On me veut marier. Me marier! Ne trouvez-vous pas déjà que cette affaire là eft trop férieufe pour moi, & que je n'en fuis point digne? Je n'ai point encore eu en ma vie une feule penfée folide, & ne m'en fuis pas plus mal trouvé. Faudroit-il commencer à en avoir? Mais à qui encore veut-on me marier? A Madame d'A..., la plus fage perfonne qui foit au monde. Il me femble que je la vois déjà réduire ma vie à une forme régulière, m'aimer par méthode, & se prescrire la loi d'avoir des enfans tous les ans. J'ai fu encore depuis peu un trait de fa vertu, qui me fait frémir. Elle avoue qu'il n'est pas poffible qu'une femme de bien n'ait quelque chofe à fouffrir pendant un long veu vage. Il n'y Il n'y a qu'une femme bien füre, & d'elle-même, & de la réputation, qui

ofe tenir de pareils difcours. Mais fongez-vous que ce feroit moi qui viendrois finir fon veuvage douloureux? Qu'en dites-vous ? ne trouvez-vous point de témérité à cette entreprife? Ce qu'il y a de fâcheux, c'eft que le parti, à parler raisonnablement, eft très-bon en toutes manières, & que je fuis réduit à la néceffité d'entrer dans une vraie délibéra tion, & très-menacé de faire une fottife, en n'écoutant pas les propofitions qu'on me fait. De plus honnêtes gens que moi les recevroient à genoux. On m'affure que la Dame voudra bien penser à moi; peut-être le propofe t elle comme un plaifir de m'apprendre à vivre fagement. S'il faut que cela lui réuffiffe, je suis perdu. Je ne fais pas ce que je devien⚫ drai, s'il arrive qu'on me faffe avoir de la raifon. J'ai fongé s'il n'y auroit point lieu d'efpérer que je la déréglerois plutôt qu'elle ne me morigineroit; beau deffein à prendre en époufant une femme! Mais je ne puis pas même me flatter de cela; je fens qu'elle s'attirera de moi un certain refpect, qui lui donnera une grande fupériorité fur moi. Je ne crains point d'étre gouverné, je ne crains que d'être rendu fage. On me donnera des charges, des enfans, des vues & des

deffeins: je ne puis feulement foutenir cette idée-là. Que Madame d'A.... n'at'elle, à l'heure qu'il eft, quelque procès qui la ruine, ou quelque petite vérole qui la gâte! Que je ferois obligé à un événement qui me mettroit hors d'état de penser à cette affaire-là, fans qu'il y eût de ma faute! Car ni je ne la veux faire, ni je ne veux avoir à me reprocher de ne l'avoir pas faite. Vous ne fauriez croire combien je fuis changé depuis quatre jours que j'ai cette agitation dans l'efprit. Je n'avois jamais tant pensé; je vois que cet exercice-là m'eft extrêmement contraire.

AU MÊME.

LETTRE

MON

X X I V.

ON mariage eft rompu, Dieu merci: il eft vrai qu'il y a de ma faute; mais mon bonheur eft fauvé devant les hommes, & je ne prétends mettre que vous feul dans ma confiance. J'allais chez Madame d'A..., entraîné malgré moi par la bonté de l'affaire qu'on me propofoit, tremblant, interdit, & dé

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