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ne fongeoit pas à l'amaffer pour elle, mais pour F... qu'elle ne haïffoit pas, & qu'elle devoit époufer inceffamment; car on comptoit fur une prompte retraite du bon homme. Vaine prudence humaine, s'écrieroit fort à propos un Orateur en cet endroit ci! Le vieux mari vit encore; il a ufé la paffion & la conftance de F..., qui s'eft enfin marié. Un autre lui a fuccédé, qui, après quel ques années, a auffi renoncé à une femme dont le mari s'eft fi fort opiniâtré à vivre. Vous voilà fur les rangs: fur ma parole, le bon homme vous laffera comme les. autres; vous ne tâterez de fon bien ni des charmes de fa veuve Je ne doute point que la petite femme ne tâche à mettre en ufage tous les moyens d'homicide qu'a une jeune perfonne à l'égard d'un vieillard; mais à voir qu'il ne s'en porte pas plus mal, je juge qu'il n'eft plus capable d'être tué de cette façon là & qu'il ne fait que rire des careffes meurtrières qu'il reçoit. Combien croyezvous qu'il le réjouifle de le voir plus de fanté que vous n'avez tous de perfévérance? Il a déja vu changer deux ou trois fois la cour de fa femme, & il eft encore vivant. Il n'eft nullement jaloux des foins que l'on rend à cette Belle? Il a

?

que

fur cela une tranquillité qui me défefpéreroit, fi j'avois le même deffein vous, & que je prendrois pour une in fulte très-fenfible. Il femble qu'il le tienne fûr de vivre & de vous pouffer à bout, & de voir votre fucceffeur. L'automne approche, & vous allez avoir des espérances plus flatteufes que jamais; vous ne foupirez qu'après les mauvailes faifons, & votre amour ne médite que catarres & fluxions fur la poitrine, & apo. plexies. Cependant, je mets en fait qu 'il fe tirera de l'automne, & que la chûte des feuilles ne vous apportera rien. Le vieillard eft malin: il ne mourra point que la beauté de fa femme ne foit paffée; il vous la laiffera flétrie & confumée par une fi longue attente, & finira fes jours par ces traits de plaifanterie. Pour moi, fi j'étois en votre place, je ne m'engagerois dans cette paffion, & ne me remplirois la tête des deffeins que vous avez, qu'après une bonne confultation de Médecins, qui m'affureroient de la prochaine mort du mari, ou qui me promettroient de m'en défaire dans un certain temps. Eh quoi, il vaudroit autant être amoureux de la femme de Mathufalem. Etoit-elle jolie, que vous fachiez?

A

A MONSIEUR DU

DU P...

LETTRE XXI.

LE Comte D'.... est enfin marié;

mais malgré les quatre cents cinquante mille francs qu'il a déja touchés, en attendant le refte, je vous garantis qu'il n'eft guère content. Il voudroit bien faire oublier aux autres, & se faire oublier à lui-même qu'il a époufé la fille d'un Marchand, c'est-à-dire, qu'il auroit bien, envie qu'elle prît des airs de femme de qualité: mais la nature & l'habitude font incomparablement plus fortes en elle que la nouvelle dignité de Comteffe. Elle n'eft point accoutumée à tous ces différens Officiers qu'elle a préfentement, & elle n'a pas encore bien pu apprendre à diftinguer leurs fonctions. Elle fut bien étonnée la première fois qu'elle vit apporter les plats. fur la table par un homme qui avoit fon chapeau à la tête & l'épée au côté; & comme on lui avoit bien dit de prendre des manières hautes & fières, elle lui dit devant tout le monde qu'il Tome I.

Qq

fervit plus respectueufement, & ôtât fon chapeau; à quoi elle ajouta quelques plaifanteries fur l'inutilité de l'épée dont le. Maître d'Hôtel eut bien de la peine à s'empêcher de rire, & dont le mari devint rouge depuis la tête jufqu'aux pieds. Il est tous les jours expofé à de pareilles chofes, & dès qu'elle ouvre la bouche, vous le voyez qui pâlit, & qui tremble de ce qu'elle va dire. Je ne doute point que tous les jours en particulier il ne lui faffe répéter fon rôle de Comteffe. Apparemment c'eft à cela que s'emploie la plus grande partie du temps qu'ils paffent feuls enfemble: trifte condition pour celle qui reçoit les leçons! Auffi n'en profite-t-elle pas beaucoup. Je désespère qu'il la puisse jamais dreffer aux grands airs; elle est petite, trapue, graffe, un vifage large, le nez affez plat. Vous voyez bien que cette figure-là n'est point propre à être élevée aux manières de Comteffe. On eût pu faire quelque chofe d'une perfonne maigre, qui eût eu une taille fine, & un grand nez un peu aquilin. La race des Comtes D'... n'eût pas été gâtée comme elle va l'être infailliblement. Vous y allez voir entrer un air bourgeois, qui n'enfortira de dix généra¬

tions: ils auront des figures courtes, & de ces groffes jambes que vous favez que Madame... prend pour des dérogean. ces de nobleffe. Ce fera bien affez, fi les fix ou fept cents mille francs qui entrent dans la maison D'....y durent autant que feront ces tailles roturières. Peutêtre cependant les pourra-t-on rectifier par cinq ou fix demoiselles de fuite. prifes dans de bonnes maisons bien rui nées; autrement le mal est fans remède.

AU ME M E.

LETTRE XXII.

CE matin font partis de chez moi

Monfieur le Comte & Madame la Comteffe D'..., qui vont en pélerinage à quatre lieues d'ici, pour tâcher d'obte nir un garçon. Ce pauvre Comte eft bien malheureux; fa vanité a toujours fouffert depuis fon mariage; fa femme n'a jamais pu remplir les titres dont elle eft ornée: il paroît qu'elle a fuccombé fous te poids, & qu'après quelques vains efforts, fuivis de rechûtes continuelles

Kaj

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