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que tous les inftrumens de l'orchestre tiroient de longs foupirs, & que les flûtes pouffoient mille fanglots, c'étoient des éclats de rire dans notre Loge que nous ne pouvions retenir, & qui nous euffent à bon droit fait paffer pour fous. Je lui reprochai qu'elle étoit bien senfible, & elle me répondoit que ce n'étoit que de la pitié: mais quand les fcènes de Pfyché & de l'Amour vinrent, de bonne foi elle ne le fut pas moins, & il n'étoit plus queftion de pitié. Un air de joie douce & vive étoit peint fur fon vifage, & vous jugez bien que fa beauté n'y perdoit pas; & enfin, preffée par le plaifir qu'elle reffentoit, il falloit qu'elle fe foulageât par un foupir, peut-être le premier de fa vie, & fans doute d'un trop grand prix pour être donné à une fiction. J'étudiai tous les mouvemens que la nature produifit en elle; je lui vis faire pendant toute cette Pièce, qui eft assez variée, comme un petit cours de fentimens, & je n'en connois guère dont fon cœur n'ait fait l'épreuve dans les trois heures que nous fûmes-là, Je vous le garantis pour être d'une affez bonne trempe, & je ne défefpère pas que dans peu nous n'ayions d'autres nouvelles à vous en donner, Au fortir de là,

nous la menâmes fouper chez Madame votre fœur. Le repas fut des plus propręs, & la Compagnie fort agréable; cependant elle rêva toujours. Elle ne s'étoit point encore remile de toutes les petites agitations qu'elle avoit effuyées; la mufique rempliffoit encore les oreilles, Pfyché & l'Amour n'étoient point fortis de fon efprit. Nous la priâmes bien de ne pas trouver mauvais de fe voir fervie par des Laquais qui ne reffembloient guère à des Zéphyrs; & le foir que je la ramenai jufques dans fa chambre, je lui dis que fi je ne la laiffois pas dans ce moment là au milieu d'une troupe de Nymphes, du moins je lui pouvois promettre qu'elle habiteroit toute la nuit dans le Palais enchanté, & qu'elle feroit Pfyché plus de vingt fois. Elle m'avoua le lendemain qu'elle l'avoit été; mais elle ne voulut point m'avouer qu'elle eût vu un grand jeune Amour bien fait, qui lui eût dit les plus tendres choses du monde. Cependant quel moyen d'être Pfyché fans l'Amour? Je vous laiffe à juger fi cela eft poffible.

ནང་སྤྱི་

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A MONSIEUR DE...

SI

LETTRE XVIII

I vous m'en croyez, Monfieur, partez dès que vous aurez reçu ma Lettre, & venez voir votre aimable Parente apprendre à jouer du Thuorbe. Je suis affuré qu'elle vous rendra les vingt-cinq ans que vous regrettez quelquefois. Ce n'eft pas qu'elle joue déjà bien de cet inftrument; elle n'a garde depuis le peu de temps qu'elle s'y exerce mais c'eft qu'on eft touché de voir combien elle en jouera agréablement, & qu'on en eft ému par avance. N'attribuez point cela à la prévention que j'ai pour elle; j'entends déjà les fons qu'elle tirera du Thuorbe dans quelques mois, ils me percent déjà le cœur. Mais ce qu'elle a de très-agréable, fans y compter les efpérances de l'avenir, c'eft l'attitude modefte & en même temps touchante qu'elle prend en jouant. Un des plus beaux bras du monde coule fur l'inftrument d'un mouvement jufte & mefuré: une main, digne de ce bras, fait

voler les doigts fur l'extrémité des cordes; de beaux yeux parlent pendant ce temps-là, & difent plus que l'inftrument même; & des inflexions de téte douces & placées à propos repréfenteroient, pour ainfi dire, tout l'air qu'elle joue, quand on ne l'entendroit pas. Lorfqu'elle jouera mieux, le Thuorbe accompagnera parfaitement fon chant, mais la perfonne accompagnera du moins auffi-bien le Thuorbe. Peut-être que le plaifir que j'ai à la voir jouer eft redoublé, parce qu'il eft de bon augure de lui voir embraffer quelque chofe, quoique ce ne foit qu'un. Thuorbe ; mais enfin je vous garantis qu'elle a la meilleure grace du monde à embrasser ce qu'elle embraffe. Ce feroit dommage qu'un fi beau talent ne s'exerçât un jour fur quelques fujets animés, & de bonne foi je crois que ce n'eft qu'un prélude & un effai. Elle prendra l'habitude de tenir tendrement entre fes bras quelque chofe qui répondra tendrement; & comme elle deviendra toujours plus délicate fur les réponses, il lui faudra celle d'un Amant, ou tout au moins d'un mari amoureux. Venez l'entendre avant que cela arrive, & même avant qu'elle foit plus habile fur le Thuorbe; car

alors

alors vous pourriez attribuer à l'art, ou à une longue étude, la perfection dont elle feroit mais préfentement on a le plaifir de voir un heureux naturel avec qui l'art ne partage prefque rien, & qui même fait effort pour le paffer toutà-fait de fon fecours; & vous ne fau riez croire combien cet effort eft aimable.

AU MEM E.

LETTRE XIX.

NOTRE Carnaval n'a pas trop bien

commencé, je ne fais ce qui nous arrivera à la fin. Il y a trois jours que M. le Comte de P.... donnoit le bal à Madame de la C.... Mademoiselle de V... en fut priée, & du fouper auffi. Je n'avois garde de manquer au Bal: mais ce n'étoit pas affez, je fis fi bien que je fus auffi du fouper. Si vous êtes allez pénétrant pour deviner la raifon qui me faifois fouhaiter avec tant d'empressement d'en être, je vous l'avouerai, Madame de la C..., Reine du Bal & de la fête, étoit fort parée: elle portoit Tome 1.

PP

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