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parce qu'elle en a, & qu'elle vous aime; je voudrois bien favoir fi elle en eft plus jeune, parce que vous l'êtes, vous qui l'aimez tant. J'avoue qu'on fe fait de l'efprit avec les gens qui en ont, & qu'on ne fe rajeunit pas avec ceux qui font jeunes: mais vous ne vous faites pas l'efprit avec Madame de M...; vous prenez le fien tout fait, parce que comme il vient d'une perfonne qui vous eft extrêmement chère vous croyez y avoir une forte de droit, & vous vous parez des jolies chofes que vous lui avez oui dire. C'est ce qui vous trompe; elles ne prouvent non plus votre efprit, que le fard que Madame de M.... met tous les jours marque fa jeuneffe. Tout cela s'applique pardehors, & ne vient point du dedans. Si vous voulez nous prouver que vous ayiez profité avec elle, apprenez à dire des chofes qui ne foient point d'elle; & même afin qu'on ne vous foupçonne pas' de lui rien dérober, apprenez à louer avec agrément & avec délicateffe: c'est ce qu'elle n'a jamais fait. Je gage qu'à vous-même elle ne vous a jamais rien dit ...de doux ni de flatteur; feulement elle jette fur le refte du genre humain des plaifanteries amères où vous n'êtes pas

Tome I.

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compris, & vous êtes réduit à vous contenter de cela, comme des plus tendres difcours qui puiffent fortir d'une bouche chérie. Apparemment c'eft ainfi que Tifiphone & Alecto font l'amour, lorfqu'il arrive que ces jolies Demoifelles font en commerce de galanterie, & que les ferpens dont elles font coiffées radouciffent leurs fifflemens & tâchent à faire les yeux doux. J'espère qu'une comparaison fi outrée mettra ma Lettre en fûreté, & que vous ne la facrifierez pas à l'objet de votre flamme. Je ne ferois pourtant pas fâché que vous le fiffiez; je fuis fûr qu'on vous haïroit de l'avoir seulement reçue.

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N me mande que vous avez depuis peu un Rival, & que vous ne lui voulez pas céder. Vous moquez - vous? Connoiflez-vous fi peu le bonheur que

votre fortune vous envoie? Faites ré-flexion que vous allez être le dernier Amant de Madame de M....; car présen

tement les amours ne fe preffent plus guère autour d'elle: rien n'eft, ce me femble, plus défagréable que de porter les derniers encens fur un autel qui tombe en ruine, & je ne me plairois point du tout à finir l'Hiftoire amoureufe d'une Dame quelle qu'elle fût. Je vous voyois extrêmement menacé d'effuyer cette honte-là, & j'en étois au défefpoir pour vous; mais voici un homme qui fe préfente pour vous l'épargner, & vous ne profitez pas d'une rencontre fi heureuse? En vérité je ne vous comprends pas. Peut-être que de voir la place difputée, c'eft ce qui vous excite à la conferver: moi je trouve au contraire que vous devriez prendre adroitement, pour la quitter, le mo̟ment où elle eft difputée; il y auroit quelque honneur à avoir joui d'une chofe dont un autre eût pu encore être jaloux, & vous rejetteriez fur votre Rival le déshonneur d'en être à l'avenir poffeffeur fi pailible. Vous avez encore une petite réflexion à faire, c'est que fi vous négligez l'occafion qui s'offre, Madame de M.... pourra bien ne la pas négliger; & fi vous ne fentez pas l'avantage d'avoir un Rival, elle fentira bien celui d'avoir un nouvel Amant.

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Vous avez vingt-cinq ans; elle en a je n'oferois dire combien, & il feroit dit qu'elle vous auroit fait une infidélité ? Cela ne feroit pas fupportable. Cependant il y a bien de l'apparence que ce malheur vous arrivera, fi vous n'y donnez ordre. Je crois qu'elle vous trouve préfentement l'efprit affez formé, & qu'elle fera bien aise de le former à quelqu'autre. Vous deviendriez un prodige, & vous feriez trop au-deffus du refte des hommes, fi vous étiez plus longtemps le feul qui profitaffiez de fes excellentes leçons. Il eft jufte que ceux qui en ont befoin vous fuccèdent. Sérieufement on lui eft bien obligé de la bonté qu'elle a de répandre affez également l'efprit.

A MONSIEUR.....

LETTRE XIV.

IL faut, mon cher Monsieur, que je

vous ouvre mon cœur, & que je vous faffe part d'un chagrin très-férieux que j'ai, dont je crains pourtant que vous ne faffiez que rire. Vous m'avez vu

extrêmement touché de Mad.... J'avois fait une exception pour elle au peu d'inclination que j'ai en général pour les perfonnes mélancoliques; fa mélan colie me paroiffoit promettre quelque chofe de paffionné & de piquant: je ne me trompois pas; je fuis venu à ne lui point déplaire, mais j'en fuis bien puni. Quoique je fois pour elle d'un attachement & d'une affiduité très-exemplaires, je n'entends fortir de fa bouche que des plaintes. Il eft vrai qu'elle les fait avec beaucoup d'efprit, & qu'il y paroît un grand raffinement de tendreffe mais elle en fait toujours. S'il arrive, ce qui eft affez rare, qu'elle foit contente, ne croyez pas qu'elle en parle; elle n'a point d'expreffions pour la joie & pour le plaifir, cette langue-là lui eft tout-à-fait inconnue: & quand par malheur je la fais appercevoir qu'elle eft contente, elle commence auffi-tôt à fe plaindre avec beaucoup d'éloquence, de ce que je lui donne fi peu de fujets de fatisfaction, qu'il faut que je prenne foin de les lui faire remarquer. Imaginez-vous que c'est une Ariane qui n'eût eu rien à dire à Théfée tant qu'il eût été fidèle, mais qui, dès qu'elle auroit été abandonnée dans

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