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blier dans Paris que toutes les femmes euffent à engager leurs Amans de la manière la plus füre dont elles pourroient s'avifer, & qu'elles veillaffent de près à la garde de leurs captifs: car à votre arrivée on ne va entendre parler que de chaînes rompues, & de Maîtreffes abandonnées. Je fuis perfuadé qu'après cet avis, il y auroit une partie des Amans qu'on fe hâteroit de favorifer, & une autre partie qu'on traiteroit plus mal qu'à l'ordinaire, felon les différentes maximes qu'ont les Dames pour conferver leurs conquêtes; je crois pourtant que la plupart des hommes y gagneroient. Enfin, Mademoiselle, il est très certain que votre fortie du Couvent eft un événement très-confidérable dans le monde qui aime & eft aimé, & qu'il y doit caufer une grande révolution. Une jeune Divinité de seize ans, comme vous, s'y eft bientôt fait connoître pour ce qu'elle eft; & dès qu'elle fe fait voir, tout tombe à fes genoux. Pour moi, fi je ne fuis pas tombé aux vôtres avant tous les autres mortels qui vous adoreront, fongez que c'eft la grille qui m'en a empêché: car ce n'eft point la coutume d'adorer

de loin de fi jolies Divinités; on ne tombe point à leurs genoux fans les

embraffer.

A M. LE CHEVALIER DU B.

LETTRE X I.

QUE direz vous, mon pauvre Che

valier, de ce que je vais vous attaquer fur une des plus belles chofes que vous ayiez jamais faites? Vous êtes amoureux de Madame de M.... Affurément ce ne font pas les fens qui vous la font aimer, je crois qu'il n'y en a pas un feul qui ne dépofe contre elle; mais elle a beaucoup d'une certaine forte d'efprit, & c'eft-là le mérite qui vous touche. Rien n'eft plus louable que ce mépris des beautés fenfibles & matérielles, & ce goût vif pour les beautés fpirituelles & invifibles. Il y a mème beaucoup plus qu'un fimple mépris pour les unes, & un goût violent pour les autres, vous allez à ces beau és invifibles & fpirituelles, au travers des laideurs matérielles & fenfibles qui fe préfentent-en votre chemin. Sans doute votre gran.

deur d'ame en éclate beaucoup davantage, & je croirois volontiers que vous êtes entré en conteftation de fpiritualité avec quelque ange. Cependant c'eft cela même qui ne peut étre approuvé dans un fiècle auffi corrompu que le nôtre; ne faites point l'ange à vingt-cinq ans, mon pauvre Chevalier, & fur-tout ne le faites point pour une perfonne auffi éloignée de l'être. Puifque vous croyez que cette femme là a tant d'efprit, imitez-la; je vous donne ma parole qu'elle ne vous aime pas pour votre efprit. En euffiez-vous autant que feu Voiture, vous auriez encore befoin auprès d'elle de la jeunesse & des agrémens dont elle eft accompagnée. Prenez les maximes qu'elle a fur l'amour, & vous n'aurez bientôt plus d'amour pour elle. Vous prétendez, que le commerce de cette Dame vous fera une réputation d'efprit; détrompez-vous : vous êtes jeune & bien fait, on ne prendra point le change. Peut-être parce qu'elle raille affez généralement de tout le monde, vous vous croyez au-deffus de tous ceux dont elle a plaifanté avec vous, & vous êtes agréablement flatté par l'exception que fait de vous une perfonne qui fait fi bien déméler les. ridicules. Mon cher Chevalier, gardez

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il

vous bien de prendre le paiement de vos foins pour un effet de votre mérite; y a bien de la différence entre méri ter & acheter. Ces manières de diftinction qu'on a pour vous, vous les avez. achetées, & affez cher. Encore fi l'achat. une fois fait, c'étoit pour le refte de votre vie, paffe; mais il faut le renouveller bien fouvent. Selon que je vous vois poffédé de la vertueufe paffion d'avoir de F'efprit, je crois que fi on vous condam-noit à vous mettre dans la Philofophie ou dans les Mathématiques, vous le feriez.. Du moins est-il certain que ce couragelà ne doit pas manquer à l'Amant de Madame de M.... Quelle entreprise peutêtre au-deffus de lui? Adieu, mon cher Chevalier; n'eftimez pas tant l'efprit s'il fe peut, & fongez à en avoir à meil¬ leur marché.

..

AU ME ME..

LETTRE XI I

TREMBLEZ à la vue de cette Lettre, je vais vous prêcher plus que jamais On me mande que vos amours vous

brouillent avec tout le monde. Mada me de M.... en use avec vous, comme fit Catilina avec ceux qu'il avoit engagés dans fa conjuration. Il leur fit boire du fang humain, afin qu'ils ne puffent jamais rompre la liaison qu'un fi grand crime formeroit entr'eux. Madame de M..... vous fait auffi avaler tout le venin qu'elle a contre les humains en général elle vous remplit l'efprit de fes plaifanteries que vous ne manquez pas de répéter; & plus vous vous faites d'ennemis, plus vous êtes lié à elle. Voilà de jolis nœuds d'une tendre paffion.

Vivre avec votre Iris dans une paix profonde,

Et ne compter pour rien tout le reste du monde.

C'eft-là apparemment ce que vous vous propo ez. J'avoue que rien ne feroit plus agréable, fi ce n'étoit l'Iris; & je n'aimerois pas une paix fi profonde avec elle Je vous affure que vous vous préparez une folitude qui ne différera guère de celle de la Thébaïde, fans compter les auftérités que vous aurez à pratiquer. N'allez pas vous ima. giner que vous en ayiez plus d'efprit,

parce

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