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fera finie. En un mot, on fe laffe d'être héros, & on ne se laffe point d'être riche. Vous n'avez point vu vingt mille livres de rentes faire des inconftans comme toutes les belles en font. Je fais que ces raisonnemens vous paroîtront affez groffiers, & qu'ils font démentis par toute la Métaphyfique amoureufe. Je fuis fâché que l'expérience que j'ai du monde ne me permette pas de conferver des idées, que je trouverois, auffibien que vous, plus nobles & plus délicates. Ce n'eft pas ma faute, fi je ne crois pas que l'amour fuffife pour le bonheur de quelqu'un ; j'aurois affez d'envie de le croire: mais pourquoi l'amour a-t-il trompé à mes yeux mille gens à qui il avoit promis qu'il les mettroit feul en état de fe paffer de tout? Et fi l'amour trompe, à plus forte raifon, l'amour qui devient ménage, Vous vous figurez peut être que vous trouverez mille agrémens & mille complaifances dans la perfonne que vous aurez époufée, parce qu'elle devra tout à un homme qui lui aura facrifié fa fortune; mais prenez garde que ce ne foit là juftement ce qui gâtera votre mariage. Il pourra arriver fort aifément qu'on ne répondra pas à l'idée que vous conce→

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vrez de l'obligation que l'on vous aura. Je ferois bien fâché d'avoir une femme à qui je fuffe en droit de faire les reproches que vous pourrez faire à la vôtre. Il me femble qu'on eft bien malheureux d'avoir des matières de plaintes, outre celles que le mariage fournit naturellement. Une femme ne doit déjà que trop à fon mari; pourquoi en voulez-vous une qui vous devra encore davantage? Songez que par- là elle fera plus mariée avec vous qu'une autre ne l'eût été, & que par conféquent elle vous rendra moins heureux. Vous ne favez pas quel fupplice ce fera pour vous, que de n'ofer jamais vous plaindre d'elle; il faudra, pour foutenir avec honneur ce que vous aurez fait, que vous paroiffiez toujours charmé de fes manières pour vous, même quand elles vous feront enrager dans l'ame. Pour moi, je vous avoue que je ne voudrois pas me priver de la liberté de pefter hautement contre ma femme, quand j'en aurois envie. Faites un peu de réflexions fur ces raifons, mon cher coufin; mais avant que de vous déterminer toutà-fait, abftenez-vous de la lecture des Romans. Je ne vous ai point fait un fermon à la manière d'un père ou d'un

oncle farouche, je ne fuis pas affez fage pour avoir droit de prendre ce ton: cependant je crois vous avoir dit à-peuprès tout ce que vous pourroient dire des gens ou plus fages ou plus chagrins que moi.

AU MÊME.

LETTRE XLIII.

Vous m'avez écrit en vrai style d'A

mant. Selon le portrait que vous me faites de votre Maîtreffe, Vénus feroit bienheureuse fi elle lui reffembloit; mais ce qui vous touche le plus en elle, eft juftement ce qui me feroit le plus fufpect, je veux dire fon efprit. Si elle en avoit moins que vous ne dites, je vous pardonnerois de vous attacher autant que vous faites; mais je meurs de peur qu'avec l'efprit qu'elle a, elle ne connoiffe trop les avantages qu'elle peut tirer de votre paffion, & n'entende trop bien les intérêts. Vous ferez toujours riche, quoi qu'il ar rive, du moins affez riche pour elle qui n'a rier; cela peut donner de l'amour à une perfonne d'efprit. Vous devriez bien

démêler fes véritables fentimens. Vous gouverne-t elle? Prend-elle de l'empire fur vous? Se fert-elle de fon pouvoir pour vous difpofer au mariage, & pour vous affermir dans le généreux deffein d'être déshérité? Il est vrai que je fuis fou de vous faire toutes ces questions. On mène comme on veut un homme auffi amoureux que vous l'êtes, & il ne s'en apperçoit pas. Mais ne pourriezVous point quitter pour quelques mo mens les yeux de votre amour, & examiner le procédé de votre Maîtreffe? Ne foyez pas charmé pour lui entendre dire qu'elle eft bien malheureuse de mettre de la divifion entre M. votre père & vous ; qu'elle ne mérite point que vous lui faffiez le facrifice d'un bien confidérable; qu'il vaut mieux que vous rompiez avec elle, & que vous ne la revoyiez jamais : ce ne font-là que des difcours; & quand même ils feroient foutenus par quelques larmes, ces difcours ne feroient encore rien. Mais obfervez, fi quand elle vous repréfente l'inconvénient de perdre vingt mille livres de rentes pour elle, elle n'évite point d'approfondir trop la matière ; fi elle ne coule point fur cela légérement; fi dans le même temps qu'elle vous ex

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horte à fuivre votre intérêt, elle ne vous infinue point adroitement des raifons de n'en rien faire; fi elle fe rend aifément aux prières que vous lui faites de ne vous parler plus fur ce ton; enfin fi elle n'eft point généreuse seulement pour le paroître, & fi elle ne cherche point à en avoir l'honneur auprès de vous, fans en effuyer le danger. Elle eft dans une fituation où elle ne peut donner des louanges à la grandeur d'ame, qui ne foient des preuves prefque sûres qu'elle vous trompe; & toutes les fois qu'en termes généraux elle vous anime à un amour fincère & défintéreffé, cela veut dire que le fien ne l'eft pas. Elle ne vous aime point, à moins qu'elle ne faffe de vrais efforts pour vous bannir de fa vue; & je crois qu'elle ne fauroit mieux vous marquer fon peu de tendreffe pour vous, qu'en vous époufant. Je vous plains, mon pauvre coufin, d'avoir à vous précautionner contre une perfonne que vous aimez mais quand il ne feroit queftion que d'amour, la délicateffe feule vous engageroit à étudier avec foin les manières que l'on a avec vous; & outre cela, il est question de votre fortune, qui eft une fort bonne raifon pour vous faire redoubler votre délicateffe.

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