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vanité feroit flattée, fi vous m'accordiez des graces qui vous doivent tant coûter !

A MONSIEUR D'A...

LETTRE XLI.

PUISQUE vous êtes destiné à passer

quelque temps à.... vous faites bien de me demander des confeils fur votre conduite; je connois la Ville, je puis vous en donner d'affez bons. Je vais tâcher à vous peindre les chofes, de forte que vous pourrez tout reconnoître avec ma lettre à la main. La Ville eft petite, & votre mérite eft grand; cependant, je doute que votre mérite puiffe être eftimé dans toute la Ville. Elle eft divifée en deux partis, qui reffemblent pour l'animofité aux Guelphes & aux Gibelins. On fiffle dans l'une de ces cabales ce qui eft adoré dans l'autre. Je crois que bientôt elles fe diftingueront par les couleurs & par les armoiries. La fource de cette grande haine, fut un habit que Madame du T... avoit pris beaucoup de peine à inventer. Madame

de S... en fit des plaifanteries, & fur cela elles en vinrent au point de faire déclarer tous leurs Amis, & de n'en laifler aucun dans la neutralité. Les deux Dames font à la tête des deux partis. S'il y a une Fête chez l'une, dans le même temps on en fait la critique chez l'autre : on n'a de l'efprit auprès de l'une, qu'autant qu'on fait tourner l'autre en ridicule. Dès que vous arriverez, les deux factions n'épargneront rien pour vous attirer chacune à elle; car un Etranger qui fe détermine pour l'une ou pour l'autre, eft d'un grand poids, & principalement un homme de Paris: on croit qu'il repréfente le goût de Paris entier. Quand je dis qu'on le croit, je veux dire qu'on le croit dans la faction victorieufe ; dans l'autre on n'en croit rien: on foutient que cet homme-là ne fe connoît pas en gens; &, fût-il de Paris, on avance hardiment qu'il y a à Paris Jes plus mauvais connoiffeurs de France, auffi bien que les meilleurs. Ainfi comptez que d'abord vous ferez extrêmement couru; mais que fi vous faites choix d'un des deux partis, l'autre fe mettra à vous examiner par tous les endroits imaginables, & méme par

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votre nobleffe. Si elle paffe là, elle paffera bien à Malte. Il n'y aura trait dans votre vie qu'on ne rappelle: on écriroit plutôt dans tous les lieux où vous avez été, pour avoir des mémoires de vos dits & geftes. Le meilleur feroit de vous conferver toujours neutre, en faifant efpérer à l'une & à l'autre faction que vous vous déclarerez pour elle; mais j'avoue que cette conduite eft très-difficile à tenir, peu de négociateurs au monde en feroient capables. S'il faut que vous vous déterminiez, voici du moins les portraits des deux chefs de parti que je vous envoie, afin que vous vous déterminiez plus aifément. Il n'eft point queftion de beauté chez l'une ni chez l'autre des Dames; il ne s'agit que de l'efprit, des airs du monde, & principalement des habits. Il n'appartient de parler de leurs habits qu'à leurs Marchands, qui profi. tent de la noble émulation qu'elles ont l'une contre l'autre fur cette matière-là. Pour l'efprit, Madame du T. . . . la plus vif & plus étourdi, & Madame de S.... plus lent & plus repofé. Auffi elles tâchent bien à profiter de leurs avantages: l'une par un ridicule perpétuel, & quelquefois affez jufte, qu'elle

jette fur l'autre ; & l'autre, par un mépris affecté, qui fe contente de peu de paroles, mais fort empoifonnées. Ceux qui fe piquent de bel-efprit font entrés dans le parti de la première, & la dernière a mis dans le fien ceux qui se piquent davantage d'être 'honnêtes gens. Si vous voulez être d'une cohue fouvent fort confuse, mais auffi affez réjouisfante, allez chez Madame du T.... Si vous voulez voir des gens plus férieux, & lier des converfations plus régulières, & en récompenfe plus fatigantes & plus guindées, allez chez Madame de S.... Mais enfin, avant que de vous déclarer pour l'une d'elles, faites provifion de plaifanteries fur l'autre. Je crois déjà deviner le parti que vous fuivrez; la cohue vaut mieux pour peu de temps: j'aimerois mieux l'autre maifon pour un commerce qui devroit avoir de la fuite. Adieu; mandez-moi au plutôt comment vous vous ferez gouverné.

A

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Vou

LETTRE XLII.

ous m'embarrassez fort, mon cher coufin, en me demandant confeil fur vos affaires. D'un côté, vous êtes fort amoureux, & de l'autre, M. votre père vous menace très-férieufement de vous déshériter, fi vous époufez la Demoiselle dont vous êtes amoureux. En vérité, je ne fais que vous dire. Il y a fur cette matière - là deux partis à prendre ; le parti héroïque, qui eft de préférer la belle tendresse à tout ; & le parti bourgeois, qui eft de ne vouloir pas perdre vingt mille livres de rentes pour une Maîtreffe. C'eft à vous à vous confulter. Vous avez fans doute beaucoup plus d'inclination à faire le héros; mais la difficulté n'eft pas de l'être à préfent, c'eft de l'être à l'avenir. Je vous confeillerois de fuivre votre grandeur d'ame, fi vous étiez sûr qu'elle ne vous abandonnât point; mais vous ne fauriez compter fur elle, peut-être ne la retrouverez-vous plus dès que l'affaire Tome 1,

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