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mes qui ne font pas fi belles; j'étudie l'agrément de fes manières pour y être fenfible; je trouve, ou je mets de l'efprit dans les moindres chofes que je lui entends dire; enfin, après avoir bien excité mon cœur, il me femble que je l'aime; je fens je ne fais quoi pendant un inftant: mais dans l'inftant qui fuit, il eft fûr que je ne fens rien. Mon pauvre Marquis, pourquoi faut il qu'on aime, ou qu'on n'aime pas toujours, ou qu'on n'aime pas tous deux en même temps, pour finir en même temps? Je fuis fi chagrin contre l'amour, qu'à l'heure qu'il eft je voudrois l'exterminer du monde.

AU MÉM E.

LETTRE XXI V.

ENFIN, Madame de L. M. & moi,

nous avons pris une forme de vie; nous fommes convenus de ne fonger plus l'un à l'autre fur le pied d'amour, & de vivre en bonne amitié. J'étois fort content de ce traité-là; cependant je vous affure qu'il n'eft pas fi aifé à exécuter que je

l'avois cru, nca que j'aie des intentions de recommencer le perfonnage d'Amant, mais c'eft que le perfonnage d'un homme qui a été Amant, & qui ne veut plus être qu'ami, eft très-difficile. Je ne fais comment parler de nouvelles à une femme à qui j'ai tant parlé de tendreffe: nos converfations me paroiffent d'un ennui mortel, pour peu que je me fouvienne de ces converfations vives que nous avions; & par malheur je ne puis m'empêcher de m'en fouvenir. Je ne ferois point embarraffé à entretenir une autre fur le beau temps & fur la pluie; & je le fuis cruellement quand j'en veux entretenir Madame de L. M. La vue feule defon appartement me rappelle des idées qui me font trouver ridicule tout ce que je lui dis. Je vais chez elle par une forte de devoir qui me gêne beaucoup, quoiqu'elle foit de très-bonne compageie. J'entre dans .fa chambre d'un air interdit, & je tiens encore cela des commencemens de mon amour. J'ai le férieux d'un Amant timide, & plein d'une paffion qu'il n'ofe déclarer. C'eft ainfi que l'on finit d'ordinaire par où l'on a commencé, & que les vieillards rentrent en enfance. La Dame de fon côté a toutes les peines du monde à prendre avec moi

les manières qu'elle voudroit. Elle tâche à me traiter comme les autres gens qu'elle voit; mais, fans s'en appercevoir, elle me traite plus froidement, & m'adresse plus rarement la parole. Quand elle me l'adreffe, on remarque bien qu'elle s'y eft préparée, & ce qu'elle me dit elt plus concerté & moins naturel. Je vois bien qu'il lui feroit plus aifé & même plus commode de me haïr que de m'aimer à demi, & que les paffages les plus difficiles ne font pas ceux qui le font d'un fe fentiment à un autre qui lui eft tout oppofé, mais à un autre qui lui reffemble. Qu'on m'eût dit, il y a un an, que j'euffe dû craindre un jour d'être tête à tête avec Madame de L. M. je ne l'euffe pas cru. Cependant quand je vais chez elle, & qu'il n'y a qu'une perfonne ou deux, ma plus grande frayeur eft qu'on ne fe lève, & qu'on ne nous laiffe feuls ensemble. Que deviendrois-je, bon Dieu! & de quoi lui parlerois-je ! J'ai éprouvé cet embarras une fois, je vous jure que j'en fuois: il me prit comme une paralyfie d'ef prit, qui m'en ôta l'ufage tout d'un coup; j'eus des vertiges, la tête me tourna, & je demeurai court, fans pouvoir dire à -peine quatre paroles. Auffi pour faire mes vifites, je prends le temps que la

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foule y eft, cette foule contre laquelle j'ai autrefois tant pefté. Plût au Ciel que Madame de L. M. pût s'engager dans quelque paffion nouvelle qui l'occupât, & qui lui fît perdre un refte d'attention qu'elle a fur moi! Il me femble que fi elle me faifoit une infidélité complette, j'en aurois plus de liberté avec elle, & que nous en oublierions bien mieux le paffé. Il faut de l'amour pour effacer tout-à-fait des traces d'amour. Je vois chez elle un Cavalier de mérite qui la trouve fort aimable; il me feroit plaifir de me fuccéder. Ce que je crains, c'est que mon exemple ne faffe tort aux autres Hommes, & que je n'aie rendu la Dame plus difficile à perfuader fur la fidélité. Cependant, je veux croire qu'une paffion n'épuise pas un cœur, & qu'on n'eft pas allez fage pour n'être la dupe de l'amour qu'une fois. A vous dire le vrai, je ne voudrois pas qu'elle eût à me reprocher qu'il a tenu à moi que no. tre tendresse n'ait été éternelle, & je serois bien aile qu'elle me donnât lieu de Jui foutenir qu'elle avoit l'ame disposée à d'autres paffions, & que je n'ai fait que prévenir fon changement; car je fens quelquefois ma confcience chargée d'avoir abandonné une fort jolie femme,

& cependant vous favez combien je fuis innocent, & combien je me fuis prie moi-même d'être fidèle. Adieu, mon cher Marquis ; je vous manderai fi je suis affez heureux pour avoir un fucceffeur. Vous êtes mon confident quand je n'ai plus d'amour; tant que j'en ai, aucun mortel n'entre dans ces mystères.

AU MEME.

LETTRE X X V.

MES fouhaits font accomplis, j'ai un fucceffeur. Quand je n'aime plus j'ai autant d'envie de n'être plus aimé, que j'en ai d'être aimé quand j'aime. Je vous affure que j'ai defiré avec un égal empreffement la tendreffe & l'indifférence de Madame de L. M. Enfin, je les ai obtenues toutes deux l'une après l'autre; c'eft tirer d'une perfonne tout ce qui s'en peut tirer. Je ne fais comment font faits ceux qui peuvent aimer fans être aimés, ni ceux qui fe plaifent à être aimés fans aimer; l'amour n'eft bon que dans le partage. C'eft la plus plaifante chofe du monde que les difpofitions où

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