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moiselle votre fille étoit une héritière en laquelle le nom finit, & qu'elle eût tout le bien de la Maifon de S..., vous auriez regret que ce bien-là fortît de la famille, & vous tâcheriez à obtenir une dispense pour la faire époufer à un parent d'une autre branche. Mais préfentement elle a de la beauté & des agrémens, qui font plus rares que le bien & qui fortiroient de la famille, pour n'y rentrer peut-être jamais. Pour moi, qui ai l'honneur de vous appartenir, quoique ce ne foit que par femmes, je ne laiffe pas de m'intéreffer extrêmement à la beauté de la Maifon de P.... N'al. lez point, je vous prie, embellir une famille étrangère, en donnant Mademoiselle de P.... à une autre qu'à M. de S..., ni peut-être enlaidir votre famille, en obligeant M. de S... à faire un autre choix. Voyez combien toute la Maison de L... eft laide; il lui faut plus d'un fiècle pour en revenir. Profitons de cet exemple; puifque nous tenons de la beauté chez nous, prenons foin de l'y conferver.

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A MONSIEUR DE S.

LETTRE XX..

J'APPRENT

APPRENDS avec toute la joie imaginable, mon cher coufin, que votre difpenfe eft obtenue; il ne vous en a coûté que quelque petite fomme d'argent, avec laquelle vous avez réparé le malheur d'être parent de Mademoifelle de P... On a déclaré qu'elle pouvoit déformais ne vous regarder plus comme un homme de fa famille, & vous traiter en étranger. Mais qu'est-ce que vous traiter en étranger ? C'est être tout à vous, & ne vous refufer rien. Je voudrois bien être étranger à ce prix-là. Vous qui n'êtes plus fon parent, vous ferez bien diftingué dé ces malheureux qui le font encore. Jouiffez de la difpenfe que Rome vous a donnée, mon cher coufin; mais fongez à quoi elle vous engage, & faites bien voir que ce n'eft pas en vain que la Capitale du monde s'eft mêlée de vos affaires. Une permiffion venue de fi loin, doit opérer de grands effets ici.

Sur-tout levez à Madame de P... tout le fcrupule qu'elle pouvoit avoir de vous donner Mademoiselle fa fille, & perfuadez-la qu'elle ne pouvoit trouver un autre gendre qui fit auffi bien l'acquit de fa confcience dans le Sacrement; car il la faut prendre par les endroits de dévotion.

A MONSIEUR le C. D. L. R.

LETTRE XXI.

NE E me demandez point par où j'ai fu tout ce que je vais vous dire ; il fuffit que je le fais, & que je puis vous donner de bons confeils. Vous aimez, & vous êtes aimé; mais vous avez une forte de tendreffe fi propre à faire finir bien vite celle que l'on a pour vous, que je vous affure que vous ne ferez pas encore aimé dans deux mois. Vous ne perdez pas de vue votre Maîtreffe, vous ne la quittez pas un moment; s'il vient quelqu'un chez elle, vous lui faites bien fentir qu'il vous interrompt. Pendant des journées entières que vous la voyez, vous ne lui parlez que de

votre amour, & vous lui en parlez d'une manière toujours languiffante & paffionnée. Encore un coup, fi vous êtes aimé dans deux mois, je crierai miracle. La Dame a préfentement des forces pour vous fuivre ; mais vous aurez bientôt épuifé tout ce qui eft dans fon cœur, & vous ferez tout étonné qu'il ne lui fournira plus rien pour vous. On n'a de part & d'autre qu'une certaine mesure de tendreffe; il la faut ménager: ceux qui ne lavent pas aimer, la prodiguent imprudemment. On fe plaint des abfences, & on ne fait que fon devoir, quand on s'en plaint. Cependant, pourvu qu'elles ne foient pas trop longues, elles font tous les biens du monde aux Amans: elles renouvellent un amour qui vieilliroit; & s'il languiffoit, elles le réveillent. Ce feroit à la vérité pouffer la chofe un peu loin, que de fe des abfences tout exprès: procurer mais enfin, lorfque le hafard nous en procure, nous devons pefter contr'elles, & foupçonner en même temps que nous pourrions bien leur avoir de l'obligation. Vous faites mal de vous fervir de toute la liberté que vous avez de voir votre aimable Maîtreffe à toute heure, & des journées entières. Ce que

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vous gagnez par une fi grande affiduité, vous le perdrez fur la durée de votre commerce. Vous ramafferez en un jour ce qui pourroit être répandu dans toute une femaine. C'eft une autre faute de la même espèce, de ne parler que d'amour à ce que vous aimez. Quelque plaifir qu'on prenne à entendre le détail de vos fentimens, il eft impoflible que vous ne tombiez dans une infinité de redites, & les redites ont un droit d'ennuyer qu'elles ne perdent jamais. Je gage qu'au fortir d'avec vous, la Dame, peut-être fans s'en appercevoir, refpire & reprend haleine. L'art des converfations amoureufes eft qu'elles ne foient pas toujours amoureufes. Il faut faire de petites forties, après quoi les retours vers ce qu'on aime font beaucoup plus agréables. Mais ce que je ne puis du tout vous pardonner, c'est d'être toujours langoureux. Mettez-vous dans L'efprit que les femmes veulent qu'on les aime, mais en même temps qu'on les divertiffe; & que qui fait l'un fans l'autre, ne fait prefque rien: & peut-être choifrroient elles plutôt d'être diverties fans qu'on les aimât, d'être aimées fans qu'on les divertît. La langueur a fes ufages; mais quand

que

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