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qu'ils les aient apprifes de vous. Je fuis d'une foibleffe étrange; je n'oferois plus entendre un ruiffeau qui gazouille, que cela ne m'aille au cœur. Quelquefois dans mes promenades, en m'entretenant avec votre idée, je la tutoie. N'en foyez pas fcandalifée. Votre idée m'eft devenue extrêmement familière.

A MONSIEUR C...

LETTRE X I.

EST-IL vrai, Monfieur, que vous perdez l'efprit? On nous a dit que vous devenez Philofophe, mais d'une Philofophie la plus extraordinaire du monde. Vous ne croyez plus qu'il y ait de couleurs; vous foutenez que les bêtes font des machines comme des horloges; enfin, vous renversez tellement toutes chofes, que l'on ne fait plus où l'on en eft. J'en parlois l'autre jour à Madame de B.... qui eft fort de vos amies, & qui en vérité a bien regret à votre raifon. Elle étrangleroit Defcartes, fi elle le tenoit. Auffi faut-il avouer que fa Philofo hie eft une vilaine Philofophie; elle enlaidit

toutes les Dames. S'il n'y a donc point de teint, que deviendront les lis & les rofes de nos Belles. Vous aurez beau leur dire que les couleurs font dans les yeux de ceux qui les regardent, & non dans les objets; les Dames ne veulent point dépendre des yeux d'autrui pour leur teint: elles veulent l'avoir à elles en propre; & s'il n'y a point de couleur la nuit, M. de N... eft donc bien attrapé, qui eft devenu amoureux de Mademoiselle D. L. G. fur fon beau teint, & l'a époulée ? Il feroit fort fâcheux pour lui de croire tenir le plus beau blanc & le plus bel incarnat du monde, & de ne tenir rien. Nous fimes encore un raisonnement, Madame de B.... & moi, qui affurément vous embarraffera. Vous dites que les bêtes font des machines, auffi-bien que des montres? Mais mettez une machine de chien & une machine de chienne l'une auprès de l'autre; il en pourra réfulter une troifième petite machine: au lieu que deux montres feront l'une auprès de l'autre toute leur vie, fans faire jamais une troifième montre. Or, nous trouvons par 'notre Philofophie. Madame de B... & moi, que toutes les chofes qui étant deux, ont la vertu de fe faire trois, font d'une noblesse

bien élevée au-deffus de la machine. Nous vous donnons du temps pour nous répondre; nous favons bien qu'il faudra que vous confultiez vos livres. Madame de B.... vous avertit par moi, que quand vous viendrez ici, elle ne vous recevra point chez elle, fi vous ne faites réparation à fon teint; & moi je vous affure que je fuis une machine montée à vous eftimer & à vous aimer toujours.

A MADAME D....

Qui prétendoit avoir entretenu quatre heures un Esprit familier, qui parloit par la bouche d'une petite Fille, à laquelle il s'étoit attaché.

LETTRE XII.

JE commence, Madame, à connoî

tre les gens de l'autre monde : ils ont les mêmes goûts que ceux de ce monde-ci; ils recherchent votre converfation auffibien que nous. Nous pourrez vous bien fouffrir, nous autres fimples Mortels, après vous être accoutumée aux Elprits? Tome I. D'd

Ils vous diftinguent de la manière du monde la plus honnête. D'ordinaire ces Meffieurs-là font brufques; ils ouvrent vos rideaux, tirent votre couverture, vous donnent quelques foufflets, & on ne fait ce qu'ils deviennent. Ils démeubleront toute une chambre, fans dire pourquoi. Enfin, je n'avois jamais été content de leur procédé, & je trouvois qu'ils ne venoient ici que pour faire des tours de laquais, où le plus fouvent il n'y avoit pas le mot pour rire. Auffi y en a-t-il quelques-uns d'entr'eux qui le rangent volontairement à l'écurie, & ne le jugent dignes que de panser les chevaux. Mais enfin, il s'eft trouvé un honnête Efprit, qui, fans battre, ni faire de vacarme, a bien voulu entrer dans une conversation réglée. Et dans quelle converfation? dans une converfation de quatre heures. Il faut que vous ayiez bien du mérite. Ces gens-là n'ont jamais dit quatre paroles fuivies. Ils ne font que donner des nafardes, parce qu'ils ne daignent entretenir perfonne; & vous, ils vous entretiennent quatre heures. Vous êtes la première qui ayiez eu un tête-à-tête tranquille avec un Efprit, lui dans fon fauteuil, & vous dans le vôtre. Mais voyez comme

cet Esprit fait vivre: il n'a ofé d'abord s'adrefler à vous; il s'eft attaché à une petite fille, par la bouche de qui il vous a entretenue. Il me femble que je vois quelqu'un de vos Amans qui commence par gagner votre Demoiselle. Affurément l'Esprit a de grandes déclarations à vous faire, puifqu'il prend ces voies-là. Il ne vous a encore parlé que de matières générales, pour ne vous pas effrayer. Vous dites que vous n'avez rien fu tirer de lui fur les affaires de l'autre monde: eh! mon Dieu, je vois bien fa politique. Vous êtes affez aimable pour lui faire trahir tous les fecrets du Pays d'où il vient mais il veut vous vendre ces confidences-là un peu cher; j'avoue que j'en ferois autant en fa place. Du moins vous l'aurez bien interrogé fur ce monde-ci. Je crois vous tenir affez au cœur, pour me flatter que vous lui aurez demandé de mes nouvelles, & que vous aurez voulu favoir de lui la vérité de tout ce que je vous proteste. Il n'aura pas manqué de vous dire que j'en protefte autant à bien d'autres; qu'une véritable paffion & moi, nous fommes des chofes incompatibles; que je ne faurois aller au-delà de l'amitié un peu égayée: mais je vous prie

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