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y a long-temps que je vous cache. Je fuis bien fâché de ne vous la pouvoir plus diffimuler, & d'être réduit à vous apprendre une nouvelle qui vous déplaira peut-être; mais enfin, je me reprocherois de ne vous l'apprendre pas, & ma confcience en murmureroit trop. Il y a aujourd'hui juftement un mois, Mademoiselle, que je vous aime. Vous prendrez cela comme il vous plaira ; vous vous fâcherez, vous vous mettrez en colère: pour moi, je n'ai voulu que faire l'acquit de ma confcience; après cela, je ne m'inquiète de rien. Je tiens qu'il n'y a rien de plus injufte que de voir une aufli aimable perfonne que vous, fans l'aimer. L'amour eft le revenu de la beauté, & qui voit la beauté fans amour, lui retient son revenu d'une manière qui crie vengeance. Je ne pourrois pas dormir, fi je me fentois l'ame chargée de ce péché là. Vous me direz que je dois vous aimer fans vous le dire. J'entends bien votre expédient, Mademoifelle; mais vous favez que quand on paye, on eft bien aife d'en ti rer quittance, ou de prendre acte comme on a payé. Je m'acquitte de l'amour que je vous dois, mais je déclare en même temps que je m'en acquitte. Que

fais je? Vous viendriez peut-être quelque jour m'inquiéter là-deffus; il n'est rien tel que de prendre les fûretés. Vous auriez beau me dire que je n'aurois rien à craindre. Mon Dieu, on ne fait ce qui peut arriver; vous changerez peutêtre d'humeur. Enfin, il eft für que quand vous faurez que je vous aime, il n'y aura rien de gâté.

Vous

A LA MÉME.

LETTRE VII.

ous vous êtes bien gendarmée de ma déclaration; vous êtes bien fatisfaite de vous-même; votre vertu a faitson tinta. marre:mais voulez-vous gager qu'au bout

du

compte vous m'aimerez? Oui, je fais bien ce que je dis ; je fais bien ce que je fens, qui me répond que je me ferai aimer. N'ayez point fi bonne opinion de votre indifférence; j'ai de la conftance pour vaincre quatre indifférences comme la vôtre. Le temps ne me coûte rien, en fait d'auffi jolies perfonnes que vous. Faut-il des années? Hé bien, des années, foit. Je n'ai rien de plus agréable

à faire. Vous ne m'accorderez aucunes graces? Je vous jouerai le tour d'aimer jufqu'à vos duretés. Vous ne me ferez que des graces très-légères? elles me paroîtront d'un très-grand prix, parce qu'elles partiront de vous. Vous m'oppoferez des Rivaux? Je les ferai tous déferter par mes affiduités, & par le défespoir ou je les mettrai de vous pouvoir rendre autant de foins que moi. Enfin, prenez tel parti qu'il vous plaira je ferai enrager votre laffitude; & après bien du temps, comblée de fervices, de fidélité, de tendresse, de respect, vous ne faurez plus de quel côté vous tourner, & il faudra m'aimer par laffitude, Ce qu'il y aura d'admirable, c'eft que quand vous m'aimerez, je ne vous en aimerai pas moins. Vous allez compter cela pour rien; mais facheź que c'eft une grande promeffe que je vous fais. Vous vous imaginez, yous autres Belles, qu'il ne faut faire aucune difficulté de laiffer-là vos Amans des 'années entières fans les aimer; & après cela, vous vous avifez, quand il vous plaît, d'aimer à votre tour: mais qu'ar rive-t-il? Ils ont commencé d'aimer plutôt que vous; ils finiffent plutôt, & yous achevez la carrière toutes feules.

Vous n'aurez point cet inconvénient-là à craindre avec moi. J'aime fort bien, quoique je fois aimé. Si vous ne m'en croyez pas, c'eft un point de fait qui gît en expérience: éprouvez-le.

A LA MÊME.

LETTRE VIII.

DEPUIS

EPUIS que je fuis votre Amant déclaré, j'ai fait bien du progrès auprès de vous. Vous ne voulez plus être un moment feule avec moi; vous ne me recevez plus à votre toilette; vous ne fouffririez pas que je vous euffe pris le bout du doigt. Bon, Mademoiselle, cela va bien; j'avance. Vous me retranchez toutes les faveurs que vous m'accordiez par nonchalance ou par mégarde: je n'aurai plus rien qui ne fignifie quelque chofe. Il eft vrai qu'il faut retourner fur mes pas, & que vous me remettez au beau commencement; mais n'importe. Par la voie que j'avois prife, on avance beaucoup d'abord, & on eft après tout étonné qu'on n'avance plus du tout; au lieu que par la nou

velle voie que vous me faites prendre, on avance très-lentement, mais on avance toujours. Il n'eft rien tel que les méthodes régulières. Voyez où en font Cyrus & Aronce au commencement du premier Tome; cependant ces Héros-là, avec leurs pas de tortue, ne laiffent pas d'arriver au douzième. J'ai feulement un petit confeil à vous donner. On voit que vous me traitez plus mal qu'à l'ordinaire, & on devine par-là que je vous aime, & qu'il doit y avoir quelque chofe entre vous & moi. Vous pourriez même me traiter fi mal, qu'on croiroit que vous m'aimeriez. Ne publiez point notre commerce, Mademoiselle, je vous en conjure. Ayez devant le monde plus de difcrétion que vous n'en avez, & faites-moi quelques faveurs qui fauvent votre réputation. Eft ce à moi à être plus difcret que vous ? Eft-ce aux Hommes à faire ces fortes de prières-là aux Dames. Admirez, s'il vous plaît, com; bien je fuis éloigné d'avoir les maximes ordinaires. D'autres, qui ménageroient moins l'honneur des Belles, vous prieroient de leur continuer vos rigueurs; mais pour moi, je ne fuis point de ces Fanfarons-là. Tome I.

Cc

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