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craindre quand vous étiez Prince. Croyez que les hommes ne fe décourageront point; cela ne leur arrivera jamais. Puifque les Modernes ne découvrent pas la vérité plus que les Anciens, il eft bien jufte qu'ils aient au moins autant d'espérance de la découvrir. Cette espérance est toujours agréable, quoique vaine. Si la vérité n'est due ni aux uns, ni aux autres, du moins le plaifir de la même erreur leur eft dû.

DIALOGUE V.

LA

DUCHESSE DE VALENTINOIS ANNE DE BOULE N,

A. DE BOULEN.

J'ADMIRE

'ADMIRE Votre bonheur. Il femble que Saint-Valier votre père ne commette un crime que pour faire votre fortune. Il eft condamné à perdre la tête; vous allez demander fa grace au Roi. Etre jolie, & demander des graces à un

jeune Prince, c'eft s'engager à en faire, & auffi-tôt vous voilà Maîtreffe de François Ier

LA DUCHESSE. Le plus grand bonheur que j'aie eu en cela, eft d'avoir été amenée à la galanterie par l'obligation où eft une fille de fauver la vie à fon père. Le penchant que j'y avois pouvoit ailément être caché fous un prétexte fi honnête & fi favorable.

A. DE BOU. Mais votre goût fe déclara bientôt par les fuites; car vos ga. lanteries durèrent plus long-temps que le péril de votre père.

LA DUC. Il n'importe. En fait d'amour, toute l'importance eft dans les commencemens. Le monde fait bien que qui fait un pas, en fera davantage; il ne s'agit que de bien faire ce premier pas. Je me flatte que ma conduite n'a pas mal répondu à l'occafion que la fortune m'offrit, & que je ne pafferai pas dans l'Hiftoire pour n'avoir été que médiocrement habile. On admiroit que le Connétable de Montmorency eût été le Miniftre & le Favori de trois Rois; mais j'ai été la Maîtreffe de deux, & je prétends que c'eft davantage.

A. DE BOU. Je n'ai garde de difcon

venir de votre habileté, mais je crois que la mienne l'a furpaffée. Vous vous êtes fait aimer long-temps, mais je me fuis fait époufer.. Un Roi vous rend des foins: tant qu'il a le cœur touché, cela ne lui coûte rien. S'il vous fait Reine, ce n'eft qu'à l'extrémité, & quand il n'a plus d'efpérance.

LA DUC. Vous faire époufer, n'étoit pas une grande affaire; mais me faire toujours aimer, en étoit une. Il eft aifé d'irriter l'amour, quand on ne le fatisfait pas; & fort malaifé de ne pas l'éteindre, quand on le fatisfait. Enfin, vous n'aviez qu'à refuser toujours avec la même févérité, & il falloit que j'accordasse toujours avec de nouveaux agré

mens,

A. DE BOU. Puifque vous me preffez fi fort par vos raifons, il faut que j'ajoute à ce que j'ai dit, que fi je me fuis fait époufer, ce n'est pas pour avoir eu beaucoup de

vertu.

LA DUC. Et moi, fi fi je me fuis fait aimer très-conftamment, ce n'eft pas pour avoir eu beaucoup de fidé lité.

A. DE BOU. Je vous dirai donc en

core, que je n'avois ni vertu, ni ré putation de vertu.

LA DUC. Je l'avois compris ainfi, car j'euffe compté la réputation pour la vertu même.

A. DE BOU. Il me femble que vous ne devez pas mettre au nombre de vos avantages, des infidélités que vous' fites à votre Amant, & qui, felon toutes les apparences, furent fecrettes ; elles ne peuvent fervir à relever votre gloire. Mais quand je commençai à être aimée du Roi d'Angleterre, le Public, qui étoit inftruit de mes aventures, ne me garda point le fecret, & cependant je triomphai de la Renommée.

LA. DUC. Je vous prouverois peutêtre, fi je voulois, que j'ai été infidelle à Henri II, avec affez peu de mystère pour m'en pouvoir faire honneur; mais je ne veux point m'arrêter fur ce pointlà. Le manque de fidélité fe peut ou cacher, ou réparer: mais comment cacher, comment réparer le manque de jeuneffe? J'en fuis pourtant venue à bout. J'étois coquette, & je me faifois adorer: ce n'eft rien; mais j'étois âgée. Vous, vous étiez jeune, & vous vous laiflâtes couper la téte. Toute grand'

mère que j'étois, je fuis affurée que j'au rois eu affez d'adreffe pour empêcher qu'on ne me la coupât.

A. DE BOU. J'avoue que c'eft-là la tache de ma vie; n'en parlons point. Je ne puis me rendre fur votre âge même, qui étoit votre fort: il étoit affurément moins difficile à déguifer que la conduite que j'avois eue. Je devois avoir bien troublé la raifon, de celui

qui se résolvoit à me prendre pour fa femme; mais il fuffifoit que vous euffiez prévenu en votre faveur, & accoutumé peu-à-peu aux changemens de votre beauté, les yeux de celui qui vous trouvoit toujours belle.

LA DUC. Vous ne connoiffez pas bien les hommes. Quand on paroît aimable à leur yeux, on paroît à leur efprit tout ce qu'on veut, vertueufe même, quoiqu'on ne foit rien moins ; la difficulté n'eft que de paroître aimable à leurs yeux auffi long-temps qu'on voudroit.

A. DE BOU. Vous m'avez convaincue; je vous cède: mais du moins que je fache de vous par quel fecret vous réparâtes votre âge. Je fuis morte, & vous pouvez me l'apprendre, fans craindre que j'en profite,

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