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DIALOGUE II I.

MARIE STUART, DAVID RICCIO.

D. RICCIO,

Non, je ne me confolerai jamais de

ma mort.

M. STUART. Il me femble cependant qu'elle fut affez belle pour un Muficien. Il fallut que les principaux Seigneurs de la Cour d'Ecoffe, & le Roi mon mari lui-même confpiraflent contre toi; & l'on n'a jamais pris plus de mesures, ni fait plus de façon pour faire mourir aucun Prince.

D. RIc. Une mort fi magnifique n'étoit point faite pour un miférable Joueur de luth, que la pauvreté avoit envoyé d'Italie en Ecoffe, 11 eût mieux valu que vous m'euffiez laiffé paffer doucement mes jours à votre Mufique, que de m'élever dans un rang de Miniftre d'Etat, qui a fans doute abrégé ma vie.

M. STUART. Je n'euffe jamais cru

te

te trouver fi peu fenfible aux graces que je t'ai faites. Etoit-ce une légère diftinction, que de te recevoir tous les jours feul à ma table? Crois-moi, Riccio, une faveur de cette nature ne faifoit point de tort à ta réputation.

D. Ric. Elle ne me fit point d'autre tort, finon qu'il fallut mourir pour l'avoir reçue trop fouvent. Hélas! je dînois tête à tête avec vous, comme à l'ordinaire, lorfque je vis entrer le Roi, accompagné de celui qui avoit été choifi pour être un de mes meurtriers, parce que c'étoit le plus affreux Ecoflois qui ait jamais été, & qu'une longue fièvre quarte dont il relevoit, l'avoit encore rendu plus effroyable. Je ne fais s'il me donna quelques coups; mais autant qu'il m'en fouvient, je mourus de la feule frayeur que fa vue me fit.

M. STUART. J'ai rendu tant d'honneur à ta mémoire, que je t'ai fait mettre dans le tombeau des Rois d'Ecoffe.

D. RIC. Je fuis dans le tombeau des Rois d'Ecoffe?

M. STUART. Il n'eft rien de plus vrai. D. RIC. J'ai fi peu fenti le bien que cela m'a fait, que vous m'en apprenez maintenant la première nouvelle. O mon luth! faut il que je t'aie quitté, Tome I.

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pour m'amufer à gouverner un Royaume! M. STUART. Tu te plains? Songe que ma mort a été mille fois plus malheureufe que la tienne.

D. Ric. Oh! vous étiez née dans une condition fujette à de grands revers; mais moi, j'étois né pour mourir dans mon lit. La Nature m'avoit mis dans la meilleure fituation du monde pour cela point de bien, beaucoup d'obfcurité, un peu de voix feulement, & de génie pour jouer du luth.

M. STUART. Ton luth te tient toujours au cœur. Hé bien, tu as eu un méchant moment; mais combien as-tu eu auparavant de journées agréables? Qu'euffes-tu fait, fi tu n'eufles jamais été que Muficien? Tu te ferois bien ennuyé dans une fortune fi médiocre.

D. RIC. J'eufle cherché mon bonheur dans moi-même.

M. STUART. Va, tu es un fou. Tu t'es gâté depuis ta mort par des réflexions oifives, ou par le commerce que tu as eu avec les Philofophes qui font ici. C'est bien aux hommes à avoir leur bonheur dans eux-mêmes!

D. RIC. Il ne leur manque que d'en être perfuadés. Un Poëte de mon Pays a décrit un Château enchanté, où des

Amans & des Amantes fe cherchent fans cefle avec beaucoup d'empreffement & d'inquiétude, fe rencontrent à chaque moment, & ne fe reconnoissent jamais. Il y a un charme de la même nature fur le bonheur des hommes: il eft dans leurs propres penfées, mais ils n'en favent rien; il fe préfente mille fois à eux, & ils le vont chercher bien loin.

M. STUART. Laille-là le jargon & les chimères des Philofophes. Lorfque rien ne contribue à nous rendre heureux, fommes-nous d'humeur à prendre la peine de l'être par notre raison? D. RIC. Le bonheur mériteroit pourtant bien qu'on prît cette peine-là.

M. STUART. On la prendroit inutilement; il ne fauroit s'accorder avec elle: on ceffe d'être heureux, fi-tôt que l'on fent l'effort que l'on fait pour l'être. Si quelqu'un fentoit les parties de fon corps travailler pour s'entretenir dans une bonne difpofition, croiriez-vous qu'il fe portât bien? Moi, je tiendrois qu'il feroit malade. Le bonheur est comme la santé: il faut qu'il foit dans les hommes, fans qu'ils l'y mettent; & s'il y a un bonheur que la raifon produife, il reffemble à ces fantés qui ne fe foutiennent qu'à force de remèdes,

& qui font toujours très-foibles & trèsincertaines.

DIALOGUE IV.

LE TROISIÈME FAUX DÉMÉTRIUS, DESCARTES,

DESCARTES.

JE dois connoître les Pays du Nord prefque auffi bien que vous. J'ai paffé une bonne partie de ma vie à philoso pher en Hollande; & enfin, j'ai été mourir en Suède, Philofophe plus que ja

mais.

LE FAUX DÉ. Je vois, par le plan que vous me faites de votre vie, qu'elle a été bien douce; elle n'a été occupée que par la Philofophie; il s'en faut bien que je n'aie vécu fi tranquillement.

DES. Ça été votre faute. De quoi vous avifiez-vous de vouloir vous faire Grand Duc de Mofcovie, & de vous fervir dans ce deffein des moyens dont vous vous fervites? Vous entreprîtes de vous. faire paffer pour le Prince Démétrius, à

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