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peur; ce grand nombre de Rivales ne vous eût point accommodée. Peut-être auffi craigniez-vous que parmi tant de femmes aimables, il n'y en eût beaucoup qui ne fiffent que fervir d'ornement au Serrail?

J. DE Gon. Vous me donnez-là de jolis fentimens.

So. Qu'est-ce que le Serrail avoit donc de fi terrible?

J. DE GON. J'y euffe été bleffée au dernier point de la vanité de vous autres Sultans, qui, pour faire montre de votre grandeur, y enfermez je ne fais combien de belles perfonnes, dont la plupart vous font inutiles, & ne laiffent pas d'être perdues pour le refte de la terre; d'ailleurs, croyez vous que l'on s'accommode d'un Amant, dont les déclarations d'amour font des ordres indifpenfables, & qui ne foupire que fur le ton d'une autorité abfolue? Non, je n'étois point propre pour le Serrail: il n'étoit point befoin que vous me filfiez chercher; je n'euffe jamais fait votre bonheur.

So. Comment en êtes-vous fi fûre? J. DE GON. C'est que je fais que vous n'euffiez pas fait le mien.

So. Je n'entends pas bien la confé

quence. Qu'importe que j'euffe fait votre bonheur ou non?

J. DE GON. Quoi! vous concevez qu'on puiffe être heureux en amour par une peronne que l'on ne rend pas heureufe: qu'il y ait, pour ainfi dire, des plaifirs folitaires qui n'aient pas befoin de fe communiquer, & qu'on en jouiffe quand on ne les donne pas ? Ah! ces fentimens font horreur à des cœurs bien faits.

So. Je fuis Turc; il me feroit pardonnable de n'avoir pas toute la délicateffe poffible. Cependant, il me femble que je n'ai pas tant de tort. Ne venez-vous pas de condamner bien fortement la vanité?

J. DE GON. Oui.

So. Et n'eft-ce pas un mouvement de vanité, que de vouloir faire le bonheur des autres ? N'eft-ce pas une fierté infupportable de ne confentir que vous me rendiez heureux qu'à condition que je vous rendrai heureufe auffi? Un Sultan eft plus modefte; il reçoit du plaifir de beaucoup de femmes très aimables, à qui il ne le pique point d'en donner. Ne riez point de ce raisonnement; il eft plus folide qu'il ne vous paroît. Songez-y;

étudiez le cœur humain, & vous trouverez que cette delicateffe que vous ef timez tant, n'est qu'une espèce de rétribution orgueilleufe: on ne veut rien devoir.

J. DE GON. Hé bien donc, je conviens que la vanité eft néceffaire.

So. Vous la blâmiez tant tout-àl'heure ?

J. DE GON. Oui, celle dont je parlois; mais j'approuve fort celle-ci. Avezvous de la peine à concevoir que les bonnes qualités d'un homme tiennent à d'autres qui font mauvaifes, & qu'il feroit dangereux de le guérir de fes défauts?

So. Mais on ne fait à quoi s'en tenir. Que faut-il donc penfer de la va

nité?

J. DE GON. A un certain point, c'eft vice; un peu en-deçà, c'est vertu.

DIALOGUE II.

PARACELSE

MOLIÈRE.

MOLIÈRE.

N'Y

'Y eût-il que votre nom, je ferois charmé de vous, Paracelfe! On croi roit que vous feriez quelque Grec ou quelque Latin, & on ne s'aviferoit jamais de penfer que Paracelle étoit un Philofophe Suiffe.

PARACELSE. J'ai rendu ce nom aussi illuftre qu'il est beau. Mes Ouvrages font d'un grand fecours à tous ceux qui veulent entrer dans les fecrets de la Nature, & fur-tout à ceux qui s'élèvent jufqu'à la connoiffance des Génies & des Habitans Elémentaires.

Mo. Je conçois aifément que ce fontlà les vraies Sciences. Connoître les hommes que l'on voit tous les jours, ce n'eft rien; mais connoître les Génies que l'on ne voit point, c'est toute autre chofe,

PA. Sans doute. J'ai enfeigné fort exactement quelle eft leur nature, quels

font leurs emplois, leurs inclinations; leurs différens ordres, quel pouvoir ils ont dans l'Univers.

Mo. Que vous étiez heureux d'avoir toutes ces lumières! Car à plus forte raifon vous faviez parfaitement tout ce qui regarde l'homme ; & cependant beaucoup de perfonnes n'ont pu feule. ment aller jufques-là.

PA. Oh! il n'y a fi petit Philofophe qui n'y foit parvenu.

Mo. Je le crois. Vous n'aviez donc plus rien qui vous embarrassat fur la nature de l'ame humaine, fur fes fonctions, fur fon union avec le corps?

PA. Franchement, il ne fe peut pas qu'il ne refte toujours quelques difficultés fur ces matières; mais enfin on en fait autant que la Philofophie en peut apprendre.

Mo. Et vous n'en faviez pas davantage?

PA. Non. N'eft ce pas bien affez?

Mo. Affez? Ce n'eft rien du tout. Et vous fautiez ainfi pardeffus les hommes. que vous ne connoifliez pas, pour aller aux Génies ?

PA. Les Génies ont quelque chofe qui pique bien plus la curiofité naturelle.

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