Page images
PDF
EPUB

défiances, malgré nos craintes et nos murmures, nous nous sentons destinés.

Eh, qu'est-ce donc qui s'oppose à ce que nous nous rapprochions par degrés de notre véritable fin? nos préjugés et le déréglement de nos passions. Nous cherchons le bonheur hors de son principe; nous le cherchons hors de nous; et pour ne parler en cet instant-que de nous-mêmes, c'est dans notre cœur qu'il doit établir avant tout le siège de son empire; c'est par le cœur que l'homme peut être heureux, comme c'est par lui seul qu'il peut être vraiment grand. Des biens extérieurs qui ne dépendent pas de nous, des joies empruntées qui se dissipent par une suite ordinaire de la même cause qui les a produites, des richesses qu'on peut nous ravir, des grandeurs factices qui ne sont rien moins que nous (1), qui nous sont étrangères; tous ces biens futiles, qui dégradent le plus souvent notre ame, au lieu de la perfectionner et de l'ennoblir, peuvent-ils servir en nous de fondement solide au contentement et à la félicité? Je ne suis donc pas surpris de l'inutilité de

[merged small][ocr errors]

FABLES de la Motte, 1. 4, Fable g.

nos recherches ; nous courons après des ombres, tandis que la réalité nous échappe.

Si le bonheur se formoit de quelques instans de notre vie, qui de nous ne seroit déjà parvenu à en jouir, et ne pourroit se flatter d'en jouir encore? Mais nos plaintes mêmes prouvent assez que ce ne sont pas des joies fugitives et passagères qui nous rendent heureux. Il faut, pour le bonheur, une somme de biens qui soit telle qu'elle se répande sur la vie entière; il faut des biens qui tempèrent jusqu'aux amertumes, jusqu'aux maux dont elle est mêlangée, et les changent pour nous en des avantages réels; que dirai-je enfin? il nous faut des biens tellement indépendans tellement inhérens à nous-mêmes, que rien, hors de nous, ne soit capable de nous les faire perdre; de ces biens dont la jouissance puisse s'accroître par l'usage que nous en ferons, et dont chaque circonstance, quelle qu'elle puisse être, augmente pour nous le prix. Mettre le bonheur à cette épreuve, y attacher des conditions qui paroissent si difficiles à remplir, ce n'est pas sans doute, chers amis, vouloir vous induire en erreur.

Mais, pour nous faire une idée plus précise du bonheur dont la nature humaine nous rend susceptibles, essayons de crayon ner les principaux traits de l'image fidèle, du

défiances, malgré nos craintes et nos murmures, nous nous sentons destinés.

Eh, qu'est-ce donc qui s'oppose à ce que nous nous rapprochions par degrés de notre véritable fin? nos préjugés et le déréglement de nos passions. Nous cherchons le bonheur hors de son principe; nous le cherchons hors de nous; et pour ne parler en cet instant-que de nous-mêmes, c'est dans notre cœur qu'il doit établir avant tout le siège de son empire; c'est par le cœur que l'homme peut être heureux, comme c'est par lui seul qu'il peut être vraiment grand. Des biens extérieurs qui ne dépendent pas de nous, des joies empruntées qui se dissipent par une suite ordinaire de la même cause qui les a produites, des richesses qu'on peut nous ravir, des grandeurs factices qui ne sont rien moins que nous (1), qui nous sont étrangères; tous ces biens futiles, qui dégradent le plus souvent notre ame, au lieu de la perfectionner et de l'ennoblir, peuvent-ils servir en nous de fondement solide au contentement et à la félicité? Je ne suis donc pas surpris de l'inutilité de

(1) De tes aïeux la mémoire honorable,
L'autorité de ton emploi,

Ton palais, tes meubles, ta table;
Tont cela, pauvre homme, est-ce-toi ?

FABLES de la Motte, 1. 4, Fable 9.

nos recherches ; nous courons après des ombres, tandis que la réalité nous échappe.

Si le bonheur se formoit de quelques instans de notre vie, qui de nous ne seroit déjà parvenu à en jouir, et ne pourroit se flatter d'en jouir encore? Mais nos plaintes mêmes prouvent assez que ce ne sont pas des joies fugitives et passagères qui nous rendent heureux. Il faut, pour le bonheur, une somme de biens qui soit telle qu'elle se répande sur la vie entière; il faut des biens qui tempèrent jusqu'aux amertumes, jusqu'aux maux dont elle est mêlangée, et les changent pour nous en des avantages réels; que dirai-je enfin? il nous faut des biens tellement indépendans, tellement inhérens à nous-mêmes, que rien, hors de nous, ne soit capable de nous les faire perdre; de ces biens dont la jouissance puisse s'accroître par l'usage que nous en ferons, et dont chaque circonstance, quelle qu'elle puisse être, augmente pour nous le prix. Mettre le bonheur à cette épreuve, y attacher des conditions qui paroissent si difficiles à remplir, ce n'est pas sans doute, chers amis, vouloir vous induire en erreur.

Mais, pour nous faire une idée plus précise du bonheur dont la nature humaine nous rend susceptibles, essayons de crayon ner les principaux traits de l'image fidèle, du

`tableau ravissant que je m'en suis formé. Je le dessinerai d'après les modèles que j'en ai eus sous les yeux, d'après mes propres études, d'après mon cœur; et il ne me sera pas difficile d'y appliquer par la suite les conditions que je viens d'établir.

Des idées saines sur ce qui nous intéresse le plus, et une juste appréciation de la valeur ́des choses; les sentimens les plus agréables, tes joies les plus intimes et les plus pures; une paix presque inaltérable, l'égalité d'ame la plus constante; de doux soulagemens dans nos peines; la perspective la plus riante et la plus flatteuse; dans l'ordre social, les vertus les plus nobles, des affections touchantes les charmes les plus vrais; telle est l'idée que je me fais du bonheur, et plus elle se réalise, plus nous sentons en effet que nous sommes heureux.

[ocr errors]

On en conviendra sans doute avec moi. Mais les uns commenceront par hier qu'il soit possible, dans cette vie si mêlangée, de jouir d'un bonheur semblable, et le renvoyant de nouveau dans la région des chimères, n'y appercevront tout au plus qu'un systême. Les autres, arrêtés tout-à-coup par un préjugé aujourd'hui trop à la mode, car les modes sont parmi nous ce qui sert le plus, sinon à établir, du moins à étendre et à for

« PreviousContinue »