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mes. Une journée de compagnie séduisante et dangereuse, a suffi à un grand nombre, dit Muratori, pour leur ravir le fruit de bien des années de vertu: eh, à combien de jeunes personnes n'a-t-il fallu qu'une heure d'entretien, et moins encore, ou simplement qu'un mauvais exemple, pour les perdre.

Engagez Mademoiselle Célinie à mettre le même choix dans ses lectures. Mais combien ce choix est difficile aujourd'hui, et combien une jeune personne a besoin d'être guidée, en ce genre, par quelqu'un qui réunisse, à un gout sûr, les vraies lumières et la sagesse ! On veut tout lire; et la plupart des ouvrages, les plus vantés de nos jours, sont un poison, pour les principes comme pour les mœurs, pour l'esprit comme pour le cœur. Il en est peu qui ne renferment, au moins dans le détail, quelques maximes fausses, et capables souvent de laisser une impression funeste pour toute la vie, ou qui n'offre une peinture du vice et des passions, qui leur ouvre dans le cœur une route facile ; peut-être, tout en ayant l'air de prêcher la vertu. » Jamais fille sage, dit Rousseuu, n'a lu de romans «. Jamais aussi elle n'ouvre un livre, sans s'ètre informée, de bonne part, si elle peut l'ouvrir en toute sûreté. Eh, que de maux a fait parmi nous,

la fureur de tout lire! Puissiez-vous, Madame, pour tout ce qui intéresse la pureté du cœur, nourrir de plus en plus, dans Mademoiselle votre fille, cette fleur de délicatesse, qui devient malheureusement si rare, et qu'on ne peut perdre cependant, sans qu'une telle perte entraîne communément presque toutes les autres. Des plus petites précautions, a si bien dit l'auteur même que nous venons de citer, dépendent les plus grandes vertus, et sur-tout la pureté, qui les nourrit toutes.

Ne pouvant pas tout dire, je ne vous parlerai plus, Madame, que d'un dernier article, bien important en genre d'éducation; c'est celui qui consiste à fégler l'imagination, que Saint François de Sales appeloit, à juste titre, la folie de la maison. Apprenez à Mademoiselle Célinie à en craindre, à en discerner, à en prévenir les illusions. La plupart des hommes, et les femmes encore plus, la mettent, presque toujours, à la place de leur raison. On veut tout voir, tout comprendre, juger de tout par l'imagination; et elle est le plus mauvais juge qu'on puisse choisir; et il y a mille choses qui ne sont pas de son ressort, ой elle n'a que faire, et dont elle ne peut se mêler, elle qui veut se mêler de tout, sans

qu'elle nous précipite dans les plus grands

écarts.

Cette imagination est le foyer où s'enflamment les plus vives passions, les plus folles amours, comme les haines les plus violentes et les plus injustes; elle change les objets et les altère, les grossit au-delà de toute mesure, ou les rapetisse au gré de nos caprices, de nos intérêts, et de nos penchans. C'est donc un des grands secrets de la véritable sagesse de savoir lui imposer silence, de la maîtriser, de lui mettre un frein, lorsqu'elle bondit, comme un coursier ardent et fougueux, pour nous emporter avec elle loin de la raison et de la vérité. Dès que nous serons parvenus à la calmer, et que nous examinerons de sang froid les objets auxquels elle attache tant d'importance, nous serons étonnés de les voir si différens de ce qu'elle nous les montroit par ses exagérations et ses prestiges.

L'imagination nous donne de vaines espérances, des joies trompeuses; et plus souvent encore, elle nous tourmente par les inquiétudes et les craintes qu'elle se forme. Tout l'agite, tout l'effraie; elle se fait un mal présent, d'un mal non-seulement éloigné, incertain, mais qui même, vraisemblablement, n'arrivera jamais. Elle voit du danger

partout: il semble que tout menace sa vie ou son repos. Cette extrême foiblesse, qui naît, pour l'ordinaire, d'une mauvaise éducation, car il y en a de bien des sortes, nous rend petits et ridicules. On le sait ; et on ne veut pas même prendre la peine qu'il en coûteroit pour cesser de l'être, et pour devenir plus raisonnable. Le remède à de si grands tourmens, à de si grands travers, et en général à tous les écarts de l'imagination, ainsi qu'à toutes les habitudes, à tous les vices qu'elle fomente, ce sont ces mêmes pratiques de renoncement dont nous avons déjà parlé. Qu'on s'y essaye, qu'on s'y forme peu à peu, dans des choses plus faciles d'abord, d'où l'on passera à des actes plus difficiles; et bientôt on deviendra maître de soi; on acquerra le plus bel empire, celui que le vrai sage sait prendre sur lui-même. L'imagination sera captive sous le joug de la raison, au lieu de nous rendre esclaves; on la fera taire, on dissipera ses fantômes; on brouillera ses folles images, et j'ose dire, d'après l'expérience que j'en ai faite, qu'on parviendra, si on le veut fortement, à la dominer à un tel point, qu'on puisse, au besoin, la replier, pour ainsi parler, et la fermer comme un livre.

Sur tous ces objets, si intéressans et si

propres à faire de Mademoiselle Célinie, tout ce que vous désirez, Madame, qu'elle soit un jour; vous gagnerez tout auprès d'elle, par l'insinuation, par la persuasion, en lui donnant des avis, moins en mère qu'en amie, ou plutôt comme la mère la plus tendre; car pourroit-elle avoir une amie plus affectionnée, plus vraie, et plus attachée à son bonheur, qu'une mère telle que yous? Mais souvenons-nous toujours, qu'en dernière analyse, rien n'aura plus de pouvoir sur elle, pour la porter au bien et l'aider à y persévérer, que la Religion.

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