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dont elles troublent l'harmonie et altèrent les ressorts. Il ne se laisse point dévorer par l'ambition, ronger par l'envie, tourmenter par la cupidité, énerver par la mollesse, tyranniser par de folles amours, consumer lentement par les excès de la débauche. Il n'éprouve pas cette susceptibilité de l'amourpropre, qui nous rend toujours à charge aux autres et à nous-mêmes ; qui, d'après l'esquisse que nons en avons déjà tracée, ne trouve rien de juste et de vrai que ce qu'il pense, rien de bien que ce qu'il fait ; qui contrarie sans cesse, et que tout contrarie; qui n'est point satisfait s'il ne domine, et qui se laisse dominer honteusement par quiconque le flatte et a trouvé le secret de lui plaire. L'orgueil ne l'enfle pas. Plus il est Chrétien, et plus il est modeste, plus il est humble, sans pusillanimité et sans foiblesse. Il n'est point enivré de ses succès, ni abattu par les disgraces. Il n'est ni transporté hors de lui par les violens accès de la colère, ni déchiré par les remords, ni agité par la crainte, ni séduit par de trompeuses espérances. Il goûte cette paix inaltérable, qui, selon l'expression d'un écrivain sacré, est un festin continuel, et sans laquelle le cœur demeure flétri au sein des voluptés. Il jouit de lui-même, dans la sécurité d'une conscience pure et

sans tache; il ne conçoit que des pensées, sages, et elles sont pour lui un plaisir de tous les momens: chacune d'elles est un trait de lumière ou un sentiment. Il se voit dans l'ordre, et cette vue délicieuse répand sur toute sa vie un charme inexprimable. S'élevant, de degré en degré, vers la perfection dont sa nature, toujours perfectible, le rend capable, s'étudiant à imiter, autant qu'elle le comporte et qu'il est en lui, le souverain modèle de tout ce qui est beau, de tout ce qui est bon, de tout ce qui est parfait, et s'en rapprochant de jour en jour par l'accroissement de ses lumières, par le développement de toutes ses facultés, par la pratique de toutes les vertus, de celles sur-tout auxquelles il est appelé, soit par son état, soit par les circonstances où il se trouve; chaque pas qu'il fait dans la noble carrière où il est entré, ajoute à son bonheur.

Il a pu lui en coûter d'abord. Il a eu des penchans à redresser, des habitudes à surmonter, des passions à vaincre, bien des combats à soutenir; mais il a vaincu enfin, et il s'applaudit à chaque instant de sa victoire. Tels sont en lui les heureux fruits de la recherche de la vérité, de l'amour de l'ordre et de la sagesse.

Mais n'a-t-il eu besoin que de sa raison

pour parvenir à une fin si désirable! O mes amis ! nous avons vu combien cette raison est foible et impuissante sans la Religion. C'est à elle, plus qu'à nos lumières naturelles et à nos efforts, qu'il appartient de réaliser le tableau si touchant que je viens de vous offrir. C'est elle qui a seule le pouvoir de fixer notre esprit, toujours flottant au milieu des opinions humaines, et qui assure par-là son repos; c'est elle qui affermit en nous la vertu, en la faisant porter sur des fondemens solides (1); qui, par les motifs et les secours qu'elle nous présente, nous donne, pour combattre et pour vaincre, des forces que nous chercherions en vain dans nousmêmes; qui réforme en nous une nature changeante, vicieuse et dépravée, en la ramenant aux loix sages et constantes d'une nature droite et bien ordonnée; qui dissipe, par son éclat, les illusions continuelles que font à notre imagination et à nos sens les faux biens qui nous enchantent, et qui nous apprend à mettre à leur place des

(1) Ce n'est pas assez que la vertu soit la base de notre conduite, si nous n'établissons cette base même sur un fondement inébranlable. N'imitons pas ces Indiens qui font porter le monde sur un grand éléphant, et puis l'éléphant sur une tortue ; et quand on leur demande, sur quoi porte la tortue, ils ne savent que dire «. Rousseau.

biens plus réels, seuls capables de remplir

notre cœur.

C'est elle enfin, qui, dans les maux inséparables de notre condition présente, nous fait trouver les consolations les plus douces, jointes à l'aimable et ravissante perspective du souverain bonheur qui doit combler tous

nos vœux.

CHAPITRE VI I.

Des consolations dans les maux de la vie, et de l'heureux terme de nos espérances.

LES sentimens

si agréables par euxmêmes, qui nous unissent à Dieu et à nos semblables, la pratique de la vertu, l'amour de la vérité, de l'ordre et de la sagesse, nous procurent dans cette vie, les biens les plus désirables, et nous épargnent une foule de chagrins et de méprises; mais ils ne nous mettent pas toujours à l'abri des douleurs, des calamités et des revers. Il est même des tems fâcheux et critiques, où il suffit d'être un peu plus éclairé que la multitude, et d'aimer l'ordre et la vertu, pour être en but à la

haine, à la calomnie, et aux plus horribles persécutions.

De quelque nature que soient les maux' qu'on éprouve, où ira-t-on chercher un adoucissement à sa peine, et des consolations réelles? Ah! mes amis ! qu'ici la raison se taise, ou qu'elle avoue son insuffisance.

Nous dira-t-elle, avec quelques disciples du Portique, que la douleur n'est point un mal? affectera-t-elle, ainsi que l'ont fait quelques uns d'entre eux, une insensibilité stoïque, démentie par la nature, et qui n'est que le dernier retranchement de l'orgueil, réduit à une ridicnle exagération de ses forces, pour masquer sa foiblese? Nous apportera-t-elle pour motif de consolation la fatale nécessité des choses? Comme si c'étoit pour moi un soulagement, dans mes maux, que d'être contraint de les endurer! Se bornera-t-elle à me faire envisager la mort comme le terme de mes souffrances? Mais jusqu'au moment où la mort viendra trancher le fil de mes jours, sa douloureuse attente me rendra-t-elle moins à plaindre ; et lors même qu'elle se présentera, quelque malheureux que je sois, par un sentiment trop naturel ne la prierai - je pas encore de

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