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7t. Il n'est nécessaire d'avoir une entière certitude à l'égard des biens et des maux considérables: la seule possibilité, et encore plus la vraisemblance, suffit pour engager une personne raisonnable à se priver de quelques petits biens, et même à souffrir quelques maux légers, en vue d'acquérir des biens beaucoup plus grands, ou d'éviter des maux beaucoup plus fâcheux.

La raison veut en effet qu'au défaut de la certitude, nous prenions la probabilité pour règle de nos jugemens et de nos déterminations, sur-tout quand il s'agit pour nous d'un très-grand intérêt; car alors, la probabilité est l'unique lumière, le seul guide que nous ayons; et à moins qu'il ne vaille mieux errer à l'aventure que de suivre un guide; à moins qu'on ne soutienne qu'il faut éteindre notre lampe, quand nous sommes privés de la lumière du soleil; il est raisonnable de nous conduire par la probabilité, lorsque l'évidence ou la certitude nous manquent. On parvient encore mieux au but, à l'aide d'une

prix par des mesures inégales ». Essay concerning human understanding, liv. 2, ch. 21, §. 63.

Si la douleur de colique, dit Montaigne, nous venoit avant l'ivresse, nous nous garderions de trop boire; mais la volupté ; pour nous tromper, marche devant e nous cache sa suite «. Essais, liv. 1, ch. 38.

foible clarté, que si l'on restoit dans les ténèbres ( 1 ).

8t. Il ne faut rien négliger pour faire pren. dre à notre esprit le goût des vrais biens; en sorte que la considération des biens excellens, et reconnus pour tels, en excite en nous le désir, et nous fasse faire les efforts nécessaires pour en acquérir la possession.

Cette dernière règle vient naturellement à la suite des autres, pour en assurer l'exécution, et nous en garantir les effets. Il ne suffit pas d'avoir éclairé l'esprit sur la nature des biens et des maux qui peuvent nous rendre véritablement heureux ou malheureux; il faut encore rendre ces principes actifs et efficaces, en formant la volonté à se déter

(1) Presque toute la vie humaine roule sur les vraisemElances. C'est ainsi, dit Sénèque, que nous semons D que nous entreprenons sur mer des voyages de long cours, que nous allons à la guerre, que nous nous marions, que nous élevons des enfans. Quoique l'événe ment de toutes ces choses soit incertain, il suffit pour nous déterminer que nous ayons quelqu'espoir de réussir. Qui répondra à celui qui sème qu'il aura une bonne récolte, à celui qui se met en mer qu'il arrivera au port, au guerrier qu'il remportera la victoire, à l'époux qu'il aura une femme honnête, au père que ses enfans tourneront à bien? Nous nous laissons conduire où la raison nous mène, et non l'évidence. Si nous attendions celle-ci pour agir, notre vie entière se passeroit dans l'inaction. De Benef.1. 4, ch. 33.

miner par goût et par habitude, conformé ment aux conseils d'une raison éclairée. Et que l'on ne pense pas qu'il soit impossible de changer les inclinations et de réformer les goûts. Il en est du goût de l'esprit comme de celui du palais. L'expérience montre que l'on peut changer l'un et l'autre, et faire en sorte que nous trouvions enfin du plaisir dans des choses qui nous étoient désagréables. On commence avec peine, et par des efforts de raison; ensuite on se familiarise peu à peu avec elles; des actes réitérés nous les rendent plus faciles; la répugnance cesse; on les voit d'un tout autre oil qu'on ne les voyoit ; et l'usage enfin nous fait aimer ce que nous regardions auparavant avec aversion. Tel est l'effet des habitudes; elles font trouver insensiblement tant de commodités et d'attraits dans ce que l'on a coutume de faire, qu'on a de la peine à s'en abstenir ( 1 ).

(1) Locke s'exprime ainsi sur ce même sujet : » C'est une erreur de s'imaginer que les hommes ne sauroient changer leurs inclinations jusqu'à trouver du plaisir dans les actions pour lesquelles ils ont du dégoût, s'ils veulent s'y appliquer de tout leur pouvoir. En certains cas, un juste examen de la chose produira ce changement; et dans la plupart, la pratique, l'application, et la coutume feront le même effet..... Quoique chacun soit convaincu, par sa propre expérience, qu'il peut en venir là, c'est néanmoins un devoir que les hommes négligent

Les principes que nous venons de poser, pour nous conduire au bonheur, sont tels qu'une raison éclairée et tranquille, dégagée des préjugés et du trouble des passions, ne peut s'empêcher d'en reconnoître la vérité. Mais qu'il est peu d'hommes assez sages pour se détromper des fausses idées qu'ils se sont faites, pour renoncer aux penchans qui les entraînent, et pour écouter la raison, lors même qu'elle leur parle du bonheur !

Cependant, chers amis, si ces hommes qui dédaignent de la consulter se rendoient plus attentifs à sa voix, que de regrets ne s'épargneroient-ils pas? Pour nous éviter un si cruel repentir, traçons, en peu de mots, les principales sources de nos erreurs. C'est beaucoup faire que de parvenir à les bien connoître, afin de réussir plus sûrement à nous prémunir contre elles. Apprendre à de venir plus sages, c'est apprendre à devenir plus heureux.

si fort dans la conduite qu'ils tiennent par rapport an bonheur, qu'on regardera peut-être comme un paradoxe si je dis que les hommes peuvent faire que des choses ou des actions leur seront par la suite plus ou moins agréables, et par-là remédier à cette disposition d'esprit à laquelle on peut justement attribuer une partie de leurs égaremens «. Essay concerning, etc. 1. 2, ch. 21, §. 69.

SECTION III.

Des causes principales de nos erreurs.

PREMIÈRE SOURCE D'ERREURS, L'INDIFFÉRENCE POUR LA VÉRITÉ. Nous ne sentons pas assez le rapport essentiel qui est entre elle et notre bonheur. Nous supposons vrai tout ce qui nous flatte, au lieu de considérer que ce qui nous paroît tel et qui pourroit être faux en soi, ne mériteroit pas alors le cas que nous en faisons. Quoique nous n'appercevions que la moindre partie de l'espace que nous devons parcourir, nous croyons trop aisément que, quelque trajet qu'il nous reste à faire, il nous conduira sûrement au port: affrontant, sur une barque fragile, tous les dangers d'un élément perfide, nous suivons au hasard la première route qui se présente, pour peu que nous nous y trouvions engagés par l'attrait des richesses, de la domination ou du plaisir; et nous ne nous inquiétons pas si, à quelque distance du rivage, nous n'irons pas échouer contre un écueil où se briseront tous nos projets et toutes nos espérances.

A l'indifférence pour le vrai, tiennent la nonchalance et l'insouciance, le défaut d'examen ou une étude superficielle, la précipitation et les jugemens anticipés, la présomp

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