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seulement des évêques, mais encore des curés et de tous les autres ministres inférieurs. Je ne doute pas qu'il ne le fasse d'une manière digne de sa générosité, comme je ne doute pas aussi que l'on voudra bien rendre aux églises et aux ecclésiastiques tous les biens qui ne sont pas aliénés. Il n'y a aucune raison d'en faire le sacrifice.

Le premier consul acceptait pour le gouvernement l'obligation de pourvoir à la subsistance du clergé. Aussi quand le pape eut consenti à déclarer que ni lui ni ses successeurs ne troubleraient les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés, prit-il l'engagement d'assurer un traitement convenable aux évêques et aux curés. « Cette idée d'un clergé salarié que la pratique nous a rendu familière, écrit le cardial Mathieu, était alors une nouveauté, qui bouleversait les traditions les plus anciennes. L'Eglise, en effet, s'était constituée avant les grands états modernes ; elle était plus riche qu'eux; elle leur donnait au lieu de recevoir, et ses biens qui consistaient principalement en immeubles, étaient partagés en portions déterminées appelées bénéfices, que les titulaires, tous inamovibles, administraient librement. On n'imaginait point alors un curé s'en allant, chaque trois mois, un petit papier à la main, toucher une petite somme au guichet d'un percepteur des contributions. C'est à la constitution civile du clergé que Bonaparte empruntait ce système » dont les inconvénients sautent aux yeux. Ces inconvénients avaient été relevés par le pape Pie VI dans son bref du 10 mars 1791.

Spina demandait, du moins, nous venons de le voir, que ceux des biens ecclésiatiques qui n'avaient pas été aliénés fussent restitués à l'Eglise. Le principe de cette restitution fut d'abord accepté par le gouvernement consulaire et formulé dans les premières rédactions du concordat, mais il ne trouva pas place dans la rédaction définitive et Bonaparte ne donna plus sur ce point que de vagues assurances.

Comme atténuation à la mesure si grave de l'abandon des propriétés qui avaient constitué le patrimoine de l'Eglise de France et qui étaient passées par aliénation en des mains étrangères, Consalvi et di Pietro demandaient que l'Eglise fut déclarée libre de recevoir les subventions volontaires des fidèles et de bénéficier des fondations perpétuelles qu'ils voudraient faire en sa faveur. Le gouvernement consentit à promettre qu'il prendrait des mesures pour rendre ces fondations possibles. Il en coûtait peu, ce semble, de faire semblable promesse et il n'en eût pas coûté davantage de la tenir. Et pourtant « la liberté promise n'a jamais été accordée qu'avec des restrictions qui la rendent précaire et presque illusoire. Le fantôme de la mainmorte n'a cessé de hanter l'esprit de nos jurisconsultes et, au sujet de la propriété ecclésiastique, la législation canonique et la lėgislation civile se trouvent dans un désaccord qui crée beaucoup de difficultés et de cas de conscience épineux... Notre droit administratif est tout imprégné de défiance contre la propriété ecclésiastique, tout hérissé de précautions et de défenses qui la restreignent. On dirait un outillage de guerre qui va toujours se perfectionnant et dont une section de notre Conseil d'Etat est l'arsenal. Il y a là des fils de Calvin, des fils de Jacob, des fils de la Veuve, pleins de science juridique, qui s'appliquent à rationner sévèrement l'Eglise, à réprimer les fantaisies déréglées des mourants et à protéger la société civile contre les envahissements de la générosité cléricale. Tout le monde reconnaît qu'ils s'acquittent supérieurement de cette tâche et qu'ils n'abandonneront pas la place de sitôt ce Capitole est bien gardé1. »

Notre ancienne France comptait 136 diocèses d'importance fort inégale. Le diocèse d'Orange n'avait que 20 paroisses, celui de Rouen en avait 1.388, celui d'Amiens

Cardinal Mathieu, Le Concordat de 1801, pp. 95-97.

800. Cette diversité s'expliquait historiquement, chacun de ces diocèses ayant été fondé dans des circonstances et par des initiatives diverses, et l'Eglise n'avait pas considéré le pays comme un échiquier à diviser en compartiments d'égale dimension. Aujourd'hui même, dans l'Italie du centre et du sud, les diocèses ont si peu d'étendue que le Souverain Pontife Léon XIII, recevant plusieurs curés de Paris et apprenant de l'un d'eux que sa paroisse comptait 60.000 âmes, pouvait répliquer: cela ferait trois évêchés d'Italie.

L'Assemblée constituante avait voulu que les divisions de la France ecclésiastique fussent en concordance avec les divisions administratives et que le nombre des diocèses égalât, sans le dépasser, le nombre des départements. Au mois d'août 1790, le cardinal de Bernis, ambassadeur de France à Rome, avait présenté au SaintSiège, au nom de Louis XVI, une proposition dans ce sens. La négociation aurait probablement abouti, mais l'acceptation par le roi de la constitution civile du clergé en rendait la continuation impossible. Cette constitution admit le principe qu'il y aurait un évêque par département et c'est sur cette base que fut organisé l'épiscopat schismatique qui prétendait se substituer à l'épiscopat préexistant.

Soit par mesure d'économie, soit pour amoindrir l'importance du corps épiscopal en France, Bonaparte ne voulait pas le rétablir sur l'ancien pied; il voulait même, comme les faits le démontrèrent bientôt, le réduire bien plus que l'Assemblée constituante n'avait prétendu le faire. Le principe même de la réduction fut accepté par les conseillers du Souverain Pontife, non que la réduction leur parût nécessaire, mais parce que, ainsi que le disait di Pietro, il valait mieux rétablir un certain nombre d'évêques que de n'en point avoir du tout. La nouvelle circonscription fut effectuée en 1802, par application du principe posé par le concordat et plus de 70 ci

tés se trouvèrent déchues de leur qualité de villes épiscopales. Le nombre des sièges nouveaux ne s'éleva qu'à soixante. On était tombé d'un inconvénient problématique dans un inconvénient certain. Sous la Restauration, en 1823, trente sièges furent relevés à la suite d'un accord entre le pape Pie VII et Louis XVIII. Ce sont les évêchés que l'on affecte d'appeler non-concordataires, mais qui existent, comme les autres, en vertu d'une convention intervenue entre le gouvernement français et le Saint-Siège.

Qui désignerait les évêques? Bonaparte répondait : moi d'abord, mes successeurs ensuite. Il revendiquait ainsi ce que le droit canonique appelle le patronage. « Le pape et les évêques seuls ont le droit de conférer les pouvoirs spirituels et les emplois ecclésiastiques, mais ils peuvent abandonner à d'autres le choix des personnes qui en seront investies. Ce droit, distinct de l'institution canonique, était exercé, avant la Révolution, sur tous les bénéfices par des patrons ecclésiastique ou laïcs tels que le roi, les seigneurs, les grands dignitaires de l'Eglise, quelquefois même, à la fin de l'ancien régime, par de simples paysans qui nommaient, par exemple, des chanoines et des chapelains sous la réserve de l'approbation et de l'institution données par l'autorité religieuse. Il n'était pas rare que le seigneur d'un village choisit son propre curé. Le patronage était devenu la récompense de ceux qui avaient fondé un bénéfice, bâti ou doté une église ou rendu quelque service à la religion'. »

La prétention de Bonaparte parut dangereuse à Rome. Le gouvernement français était-il assez digne de confiance pour qu'on pût lui conférer le droit qu'il réclamait, et en supposant qu'il le fût, que savait-on des gouvernements futurs? « Ce droit de nomination...,

Cardinal Mathieu, Le Concordat de 1801, p. 132.

disait Mgr di Pietro, serait extrêmement périlleux parce qu'on pourrait nommer des indignes ou même des incrédules, et qu'une fois la nomination publiée il serait difficile de la faire changer, car une longue expérience nous apprend que plusieurs fois des princes catholiques et craignant Dieu, ont refusé de pareils. changements. Jamais la nomination aux évêchés n'a été accordée qu'à ceux qui font profession de la religion catholique, apostolique et romaine et elle a toujours été refusée aux hérétiques et aux schismatiques. » Les né gociateurs Romains n'auraient pas répugné à accorder le droit de présentation à un gouvernement qui nécessairement et de par la constitution du pays, aurait été catholique. Mais tout autre était alors le gouvernement français. Constitutionnellement, rien ne s'opposait à ce que les consuls qui, actuellement, détenaient le pouvoir et qui se déclaraient catholiques, eussent pour successeurs des juifs, des protestants, des athées. « Vous n'ignorez pas, écrivait Spina, que le privilège de nommer aux évêchés, indiquant une espèce de patronage, n'a jamais été accordé par le Saint-Siège qu'aux souverains catholiques d'une nation également catholique... Par cette raison, ni le roi de Prusse, ni l'empereur de Russie ne jouissent du droit de nommer aux évêchés dans ces états... ni le roi d'Angleterre... même dans le Canada 1».

1

Bonaparte répondait que jamais en France le chef de l'état ne pourrait être que catholique. Puis sur l'insistance de Consalvi, il consentit à une réserve en vertu de laquelle dans le cas où un de ses successeurs ne serait

1 Néanmoins, en fait, dans ces états hérétiques et schismatiques, la promotion d'un prêtre à l'épiscopat a lieu, en général, à la suite d'une entente amiable entre le gouvernement du pays et le Saint-Siège, sans que ce gouvernement puisse se prévaloir d'un véritable droit de présentation. Cet expédient était rappelé par Spina comme pouvant être pratiqué pour la France, si l'on n'arrivait pas à établir dans le concordat même, une règle précise.

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