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place dans sa relation. Rien donc, à Avitacum, ne rappelait les innombrables statues de personnages historiques et de dieux, les soixante-onze bustes qui avaient fait d'une splendide villa des environs de Toulouse un véritable musée rien ne rappelait non plus les superbes fresques de la villa des Pontius, près de Bordeaux'. Nulle part même, dans la décoration d'Avitacum, le marbre n'était employé. Tout, nous dit-on, y montrait une simplicité grave, décente, et même austère.

Dans cette maison du sage vécut l'ancien préfet, entre son fils Ecdicius3, dont il dirigeait l'éducation, à la fois rude et lettrée comme avait été la sienne, et sa fille Papianilla, qui touchait à l'âge d'être mariée. Cependant les sollicitudes du père de famille, les soins du propriétaire, le désir légitime du repos, n'absorbaient pas tellement Avitus qu'il ne se tint attentif à tous les bruits de la guerre et de la politique. Les années qui suivirent sa sortie de charge furent parmi les plus critiques que l'Empire ait traversées. Dans l'Orient romain, que gouverne le faible Théodose II, les Huns font leur apparition, sous la conduite du terrible Attila. En Occident, apanage de Valentinien III, la Bretagne et l'Espagne sont définitivement perdues pour Rome. De terribles fléaux s'abattent en même temps sur la Gaule et sur l'Italie : Valentinien III est obligé de porter une loi contre les pères qui, affolés par la famine, vendaient leurs enfants*. Nul doute qu'Avitus n'ait suivi avec inquiétude et tristesse ces lamentables événements. Mais, en politique avisé, il ne néglige pas d'entretenir d'intimes relations

Voir Bulletin de la Société des Antiquaires de France, 1899, p. 231, 228. * Sidoine Apollinaire, Carm. XXII, 158-168, 200–203.

La naissance d'Ecdicius avait été en Auvergne l'occasion de réjouissances publiques. Sidoine Apollinaire, Ep., III, 3. Voir, dans la même lettre, les détails sur l'éducation à la fois rude et lettrée qu'Avitus donna à son fils en souvenir de celle qu'il avait reçue lui-même.

• Valentinien III, Novelle XXXII (année 451).

avec ses voisins barbares. Fréquents sont les messages entre Avitacum et Toulouse. Plus d'une fois le roi Théodoric recourut à l'ancien préfet, toujours prêt à mettre son expérience et son savoir au service du prince visigoth. Celui-ci ne s'en tint pas là: appréciant de plus en plus, par ce commerce avec Avitus, la civilisation de Rome', il le pria de se charger de l'éducation d'un de ses fils, lequel fut, tout enfant3, élevé à Avitacum, puis, à Clermont, initié au droit romain et aux lettres latines*. Il faut avouer que le v° siècle vit des situations bien étranges, et celle d'un ancien préfet du prétoire, d'un ancien général romain, d'un des membres les plus considérables de l'aristocratie gauloise, devenant le père nourricier et le précepteur de l'héritier d'un roi barbare, hier encore armé contre Rome, n'est point parmi les moins singulières de cette époque paradoxale.

Le moment arrive où l'amitié d'Avitus et du roi Goth va sauver la Gaule romaine.

(A suivre).

Paul ALLARD.

1 « Tractare solebam

Carm. VII, 471-472.

Mihi romula dudum

Res Geticas olim... » Sidoine Apollinaire,

Per te jura placent... » Ibid., 495–496. « Teque ipsum... hoc pectare fotum Hæ flentem tenuere manus, si forsitan altrix-Te mihi, quum nolles, lactandum tolleret... » Ibid., 481-483. « ... Parvumque ediscere jussit — Ad tua verba pater docilique prisca Maronis Carmine molliret Scythicos mihi pagina mores. Ibid., 496-498.

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LES INIQUITÉS

DU

PROCÈS DE CONDAMNATION DE LA VÉNÉRABLE JEANNE LA PUCELLE

(Suite)'

XXI

Ce même jour, lundi 28 mai, avait lieu ce que l'instrument judiciaire dénomme procès de rechute; pure dénomination, ce n'est pas un procès, c'est la séance la plus criminelle de toute celles qui constituent le monument d'iniquités. Puisque Cauchon voulait constater la rechûte, c'est-à-dire la révocation de ce qu'il prétendait s'être passé à Saint-Ouen, il aurait dû choisir de préférence comme assesseurs, ceux qui avaient vu de plus près le procès. Il aurait dû les faire comparaître nombreux en face de la recluse, pour qu'ils fussent en état de mieux la confondre. Ce fut tout le contraire. Les assesseurs furent beaucoup moins nombreux; ils furent choisis parmi les mieux disposés à seconder sans les dévoiler les vues perverses du Caïphe.

Il n'y eut que sept assesseurs, alors que l'on en avait vu quarante, cinquante, soixante et même plus dans des séances précédentes. Trois Nicolas Bertin, Julien Klosquet, Jacques Lecamus paraissent pour la première et unique fois. On peut juger des dispositions des deux premiers, qui sont inconnus, par celles de Lecamus. C'était un chanoine de Reims, si attaché à la domination anglaise que, pour ne ne pas subir la domination française, il avait volontairement quitté Reims. Le quatrième,

V. numéros de mars, avril, mai, juin et juillet.

Hayton, un des secrétaires du roi d'Angleterre, avait, probablement comme espion, assisté à de nombreuses séances précédentes; le cinquième était Thomas Courcelles, le bras droit de Cauchon, d'après Quicherat; le sixième Isambart de La Pierre, compagnon du viceinquisiteur Lemaître, ne pouvait pas penser et agir autrement que son prieur, juge avec Cauchon; le septième était le geôlier en chef, Jean Griz. L'on ne pouvait mieux choisir afin d'envelopper dans le silence le nouveau guêt-apens qui allait être commis.

Ce n'est pas Manchon qui, dans un tel milieu, pouvait résister aux injonctions de Cauchon lui ordonnant de ne coucher au procès-verbal que ce qu'il lui dicterait. Le pauvre homme était tout tremblant des menaces de la veille, c'est lui-même qui nous l'apprend. Il n'aurait pas osé rentrer au château, nous dit-il, s'il n'avait été rassuré par le comte de Warwich, qui le conduisit jusqu'à la prison. Son procès-verbal se ressent de son trouble. Pour constater qu'il renferme une omission capitale, il suffit de le rapprocher de sa déposition vingtcinq ans après. Dans cette dernière, il parla ainsi :

On demanda à Jeanne en ma présence pourquoi elle avait repris l'habit d'homme; elle dit l'avoir fait pour la défense de sa pudeur, parce qu'elle n'était pas en sécurité en ses habits de femme, avec les gardes qui avaient voulu attenter à sa vertu ; ce dont plusieurs fois elle avait fait des plaintes à ces mêmes seigneurs évêque et comte » (169). Le procès porte qu'à la question quand et pourquoi elle avait pris l'habit d'homme elle a répondu « Il n'y a guère que j'ai pris l'habit d'homme et laissé l'habit de femme Pourquoi l'avezvous pris et qui vous l'a fait prendre? - Je l'ai pris de ma volonté et sans nulle contrainte, et j'aime mieux l'habit d'homme que l'habit de femme promis et juré de ne pas le reprendre.

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Vous aviez Oncques je n'ai

compris faire le serment de ne pas le reprendre.- Pour

quelle cause l'avez-vous repris ? - Etant parmi les hommes, il m'était plus convenable de le reprendre et d'avoir habit d'homme que d'avoir habit de femme. » (V, 436). Comme on le voit, il n'est pas question de violences souffertes, d'attentats récents. La Vénérable n'a jamais fait de réponse niaise; il y aurait quelque chose de niais dans une situation pareille, de dire qu'elle a repris l'habit viril, parce qu'elle le préférait, ou même par une simple raison de convenance.

Elle allégua que ces violences avaient suivi la reprise de l'habit de femme, ainsi que cela ressort de la déposition d'Isambart de la Pierre: « Ladite Jeanne s'excusait de ce qu'elle avait revêtu habit d'homme en disant et affirmant PUBLIQUEMENT QUE LES ANGLAIS LUI AVAIENT FAIT OU FAIT FAIRE EN LA PRISON BEAUCOUP DE TORT ET DE VIOLENCES

quand elle ÉTAIT VÊTUE EN habits de femme, et de faiT LA VIT ÉPlourée, son visaGE PLEIN DE Larmes, défigurĖ et outragÉ ». (V, 135) Elle apparaissent ainsi avec un nouveau trait de ressemblance avec son divin fiancé dont le visage sortit si défiguré et si outragé des soufflets et crachats reçus durant la nuit passée au Prétoire. De La Pierre, parle de la séance du lundi à laquelle il assistait. Les historiens se trompent donc, alors qu'esclaves du procès-verbal, ils écrivent qu'une raison de pudeur mal placée, lui fit taire ce qu'elle dit le matin du supplice devant Tout mouillé (145) et devant Ladvenu (143). Dans ses quatre dépositions le confesseur de Jeanne atteste tenir de la bouche de sa pénitente la vraie raison de la reprise du précédent costume: Ex ore ejusdem Johannæ audivit quod quidam magnus Dominus introivil carcerem dictæ Johannæ et lentavit eam vi opprimere, et hoc erat causa, ut asserebat, quare resumpserat habitum virilem (144). Les expressions sont encore plus crues dans la déposition en Français, ainsi que dans celle de Toutmouillé. Cette raison capitale, la vraie, elle ne pouvait pas, elle ne devait pas la laisser

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