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REVUE CATHOLIQUE

DES INSTITUTIONS ET DU DROIT

(XXXII ANNÉE)

LES GARANTIES ACTUELLES DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE

ET L'INVIOLABILITÉ DU DOMICILE

Rapport au XXVIIe Congrès des Jurisconsultes Catholiques.

Qu'il y a d'ironie dans certains rapprochements! A la fin du XVIIIe siècle, les Français « éclairés », affranchis des superstitions et des préjugés du passé, saluaient l'aube de la liberté sur les ruines de l'ancien régime. Liberté, liberté chérie! tous les cœurs palpitaient pour elle, et le sceptique qui aurait refusé son concours à la divinité nouvelle se serait attiré bien certainement, avec les huées de la populace, les anathèmes des «< philosophes ».

Au début du xx° siècle, le sceptique prend sa revanche. Il a tous les « intellectuels » avec lui.. Les psychologues ont commencé par nier le libre arbitre. Les criminalistes ont fait écho et supprimé la responsabilité. Voici que les biologistes, avec M. Elie Metchnikoff', nous avertissent qu'en progressant vers le vrai but de l'existence, les hommes perdront beaucoup de leur liberté. »

Commentant et développant cet aphorisme, M. de Roberty écrit dans la revue philosophique :

« Il faut que les idées métaphysiques sur la liberté <«< reculent et disparaissent. Ces notions sont dignes <«< tout au plus de la première phase évolutive de la << conduite humaine, période où celle-ci demeure igno«rante, empirique, impulsive, contradictoire. »

1 Etudes sur la nature humaine,

* Revue philosophique, novembre 1903.

Il n'est pas jusqu'aux littérateurs proprement dits qui ne donnent leur note dans ce concert. Un académicien, qui se pique pourtant de demeurer incorrigible libéral, commence sa théorie du libéralisme en affirmant que l'homme n'a pas de droit, et qu'il ne sait pas même ce que veut dire un droit de l'homme.

Tels sont les symptômes; tels sont plutôt, car j'en omets, quelques-uns des symptômes de ce que l'on a déjà nommé la crise du libéralisme.

Nous ne sommes pas, quant à nous, des spectateurs assez désintéressés de cette crise pour que notre dilettantisme s'en amuse. Nous ne pouvons laisser mettre en péril, sans les défendre, les droits de l'homme, parce que nous croyons à leur existence, ayant pour cela sans doute d'autres raisons, de plus intimes, de plus profondes et pour tout dire de plus religieuses que n'en saurait avoir M. Faguet.

C'est pourquoi il est particulièrement opportun à l'heure présente de soumettre à une critique précise les garanties que nos lois assurent à la liberté, ou plutôt, car la liberté dans la langue du droit est un mot bien vague et les libertés seules y ont une signification précise, à la liberté individuelle, principe et fondement de toutes les autres, et à l'inviolabilité du domicile qui en est le corollaire nécessaire.

Nous diviserons cette étude en trois parties, et nous passerons successivement en revue les garanties de la liberté individuelle, les garanties de l'inviolabilité du domicile, enfin les sanctions de ces garanties.

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Mais il faut auparavant résoudre une question préjudicielle.

QUESTION PREJUDICIELLE

Nous parlons de garanties légales. Où donc, dans quels textes de loi sont-elles inscrites?

La première réponse qui vient à la pensée, c'est d'aller les chercher dans le texte fameux où la Révolution les a solennellement consignées. Et s'il fallait s'en tenir là, nous aurions alors à nous demander quelle peut être aujourd'hui la force légale de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, à présent que les constitutions dont elle formait le préambule sont depuis longtemps abrogées, et que nos lois constitutionnelles actuelles ne font plus même aux « principes de 1789 la discrète allusion qu'on pouvait lire encore dans la Constitution de 1852.

Mais, en réalité, cette question est fort oiseuse. Car les garanties précises et juridiquement utilisables, ce n'est pas la Déclaration qui saurait les fournir, mais bien les lois de détail qui ont mis en œuvre ses principes.

Lorsque les hommes de 1789 eurent rédigé la Déclaration, ces grands illusionnistes crurent avoir fondé la liberté. Ils n'avaient fait que la proclamer, laissant à d'autres la tâche autrement délicate de l'organiser sur la table rase qu'ils avaient préparée. Ce devait être l'œuvre d'une autre équipe, plus pratique, plus réaliste, celle de l'an VIII et de l'Empire. Rappelons-nous cette origine quand nous chercherons dans nos Codes les règles, les seules règles, que nous puissions encore aujourd'hui faire valoir devant les tribunaux, pour la garantie de nos droits et de nos libertés.

Pourtant, c'est bien avec la Déclaration des droits de l'homme qu'il faut vider une première querelle, car s'il existe dans l'organisation de nos libertés une lacune plus grave que toutes les autres, c'est bien à la pensée maîtresse de la Déclaration que nous avons le droit de nous en prendre.

Dans le système de la Déclaration, la loi est l'expression de la souveraineté du peuple. Le peuple est souverain, donc la loi est toute puissante. Elle n'a point de limi

tes et ne peut pas errer. L'individu a tous les droits, sauf contre la loi qui, au contraire, a tous les droits sur lui. En sorte que, s'il est protégé contre l'arbitraire gouvernemental, s'il est investi contre lui du droit d'insurrection, devant l'arbitraire légal il reste désarmé.

Arbitraire légal! Mais cette association d'idées ne serait jamais venue à l'esprit d'un Constituant.

Montesquieu cependant avait déjà bien vu que d'être libre seulement jusqu'à la loi, ce n'est plus être libre, si cette loi est celle d'une majorité toute puissante, et qu'il n'y a précisément de droits de l'homme assurés que ceux qui sont placés hors de l'atteinte de la loi. C'est lui qui avait écrit cette phrase prophétique : «Il pourra arriver que la Constitution sera libre et que le citoyen ne le sera pas. >>>

Mais 1789 appartient plus au Contrat social qu'à l'Esprit des Lois, et fort ingénument ses porte-paroles ont mis dans leur charte, à côté l'un de l'autre, le principe de la liberté individuelle et le principe contraire de la souveraineté du peuple; l'un et l'autre conçus comme ils savaient le faire, de la façon la plus absolue et sans aucune préoccupation du relatif que réclament cependant les choses d'ici-bas.

Depuis lors, cette cohabitation incommode a subsisté. Comme on pouvait s'y attendre, les querelles de voisinage n'ont pas manqué. Mais la souveraineté du peuple a toujours eu l'avantage en fin de compte, puisque tout ce qu'obtient contre elle le droit individuel, c'est d'ellemême qu'il l'obtient, de sa bienveillance, de sa modération.

Je ne m'attarderai pas à développer une critique que tant de penseurs venus de points si opposés, un Joseph de Maistre, un Taine, un Le Play, un Renan ont tour à tour renouvelée.

Il me suffit d'avoir marqué dès le début de ce travail

qu'une garantie essentielle fait défaut à chacune de nos libertés : la garantie contre l'arbitraire de la loi.

Ouvrons maintenant nos lois, et, telles qu'elles sont, voyons comment elles règlementent l'usage de notre liberté individuelle.

PREMIÈRE PARTIE

GARANTIES DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE.

La liberté individuelle, j'entends par là le droit d'aller et venir, de demeurer où il me plaît, et de faire généralement tout ce qui ne nuit pas à autrui.

Ma liberté individuelle est atteinte dès qu'on m'interdit de circuler ou de séjourner à mon gré. Elle est atteinte plus gravement lorsqu'on me fait subir quelque violence matérielle. Elle l'est surtout lorsqu'on s'empare de ma personne, c'est-à-dire lorsqu'on m'arrête ou que l'on me détient.

Mais comme il n'est pas de liberté dont les hommes n'abusent, en l'exerçant contre leurs semblables, il est des restrictions nécessaires de la liberté individuelle. La loi pose ces restrictions, et quand elle ne les pose que pour prévenir ces abus, elle échappe à tout reproche de tyrannie.

Faut-il ajouter que la loi peut encore restreindre la liberté du citoyen quand il ne s'agit plus de prévenir un empiètement direct et immédiat sur le droit de son voisin, mais quand il s'agit de parer à des périls plus éloignés et plus généraux, à des périls qui menacent non plus les droits individuels de chacun, mais la sécurité et l'existence même de la société ? C'est au service militaire que je songe; c'est aussi aux réquisitions diverses qui arrachent, bien souvent contre son gré, le témoin ou le juré à son foyer et à ses occupations. La Déclara

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