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un rêve qui n'aurait jamais sa réalisation. Que de fois tout ce qu'ils avaient édifié avec tant de labeurs, de peines, de larmes et de sang a été détruit, sapé, anéanti ! Que de fois le résultat de leur effort persévérant a-t-il semblé à tous, être le néant et devoir être toujours le néant! Que de défaites continuelles ils ont subies! La victoire cependant a fini par luire sur le monde. Qui pourrait prétendre aujourd'hui que cette victoire n'a pas été le fruit de ces défaites que cette victoire-là qui a changé le monde n'a pas été remportée par ces vaincus de trois siècles !

Voilà la grande leçon que nous donne la terre bénie que nous foulons aux pieds.

Aussi, pour la lutte que nous allons reprendre nous ne rapporterons pas seulement d'ici une provision, nouvelle de foi, de courage, de force nous emporterons aussi l'espérance. L'espérance, pour nour chrétiens, nous ne devrions jamais l'oublier, c'est un devoir; puisque notre religion sublime ne s'est pas contentée de la donner à l'homme comme soutien, qu'elle a voulu la lui imposer comme une vertu.

XXXI-II

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Rapport sur l'ensemble de l'œuvre des Congrès des Jurisconsultes

PRÉSENTÉ PAR M. HENRY LUCIEN-BRUN A LA SÉANCE SOLENNELLE DE CLOTURE

EMINENTISSIME SEIGNEUR'

MESSEIGNEURS

MESSIEURS,

Ce n'est pas sans une légitime émotion, émotion s'ajoutant à bien d'autres, que je viens prendre la parole devant une assemblée que ma présomption, dans ses rêves les plus ambitieux, n'aurait pu ni entrevoir ni espérer; une assemblée que m'envieraient en tremblant les plus illustres orateurs. Je n'ai qu'une excuse, pour me présenter ainsi devant vous c'est l'obéissance. L'obéissance, c'est bien ici qu'il faut en parler, dans cette ville où réside la plus haute de toutes les autorités, la seule à laquelle on puisse toujours obéir avec empressement et avec joie, parce que cette autorité est la seule qui ne se trompe jamais, la seule qui soit toujours paternelle.

L'obéissance, Monseigneur, est une vertu, aussi exiget-elle parfois certains sacrifices; mais c'est d'elle qu'il faut dire Ubi amatur non laboratur, aut si laboratur, labor amatur. Cette parole de saint Augustin semble avoir été écrite pour le jour où il s'agit d'obéir à un désir de Votre Grandeur, quand on est d'autre part fort peu préparé à y répondre dignement.

1 Son Eminence le cardinal Macchi. Son Eminence le cardinal Vivès y Tuto avait annoncé qu'il assisterait à cette séance solennelle. Mais retenu au dernier moment, il a témoigné son regret de n'avoir pu s'y rendre. S. E. Mgr Gasparri. S. G. Mgr de Cabrières.

Vous m'avez surpris, Monseigneur, en me demandant ce rapportau dernier moment. Vous m'avez encore surpris à bien d'autres points de vue, et de la part de tout autreque de Votre Grandeur, je croirais que c'est une fineironie qui a laissé le soin de parler de nos traditions au seul membre du Comité qui soit plus jeune que notre œuvre elle-même. Mais vous saviez, Monseigneur, que le mot tradition n'a rien qui m'épouvante. Il y a tant de traditions que nous aimons! Et pour ne parler que de celles des Congrès et de la Revue, je ne sais vraiment à qui elles sont le plus chères, ou à celui qui vous parle et qui y est attaché par les liens indissolubles de la filiation, ou à Votre Grandeur qui y est attachée par le lien aussi sacrẻ et plus touchant encore de l'adoption qu'Elle a bien voulu faire.

Je veux donc voir, Monseigneur, dans la mission que vous m'avez confiée, une preuve de plus d'une bonté paternelle à laquelle je suis accoutumé depuis longtemps.

J'y veux voir aussi une pensée plus haute; j'y veux voir une leçon donnée à la jeunesse appelée non seulement à respecter les traditions qu'elle laisse trop souvent aujourd'hui dans un oubli volontaire, mais appelée encore à en prêcher le respect, et cela à juste titre, car c'est elle qui devra les garder fidèlement, et c'est pour elle surtout qu'elles seront précieuses.

Vous me réserviez encore une surprise, Monseigneur, c'est celle de me faire mon discours ce matin, et vous saviez bien que, après les avoir entendues une fois, c'est par cœur que je retiendrais vos paroles.

Mais ici se présente une nouvelle difficulté : « Tout a été dit et l'on vient trop tard. » Et je n'oserais répéter, de peur d'en affaiblir l'autorité, les paroles de Votre Grandeur.

Je vais néanmoins essayer de remplir mon devoir d'obéissance.

L'origine de nos Congrès vous a été rappelée jeudi dans le magnifique discours de notre cher Président.

Au lendemain de nos malheurs, quelques catholiques trompés dans les espérances qu'ils avaient formées pour le relèvement de leur pays, et voyant la France oublieuse des leçons de l'adversité se livrer aux mains des hommes néfastes qui la conduisent à sa perte, pensèrent qu'il était plus que jamais nécessaire, à mesure que se développait une législation antireligieuse, de proclammer hautement les règles immuables du droit chrétien.

C'est cette pensée qui a dicté le choix du sujet de nos Congrès.

Un seul a eu pour sujet une question d'ordre exclusivement pratique, le 21°, réuni à Paray-le-Monial en 1897 La défense religieuse sur le terrain juridique ».

Trois autres ont eu des sujets un peu en dehors du cadre habituel de nos études : Questions relatives à la réforme de l'instruction criminelle, du Code pénal et de l'exécution des peines (Aix-en-Provence, 1893). — Les impôts (Paris, 1894). Des économies, véritable solution des questions budgétaires (Lyon, 1896).

-

Mais dès le quatrième Congrès', le premier dont le compte rendu ait été inséré intégralement dans la Revue, les Jurisconsultes catholiques précisaient ouvertement la nature de leurs travaux et le but de leurs études Les droits de l'Etat ».

En parlant des droits de l'Etat, les jurisconsultes n'avaient pas pour but principal de les étendre et de les défendre, mais bien plutôt d'en tracer les limites. La même préoccupation les guidait lorsque à Reims, en 1882, ils traitèrent de : « La liberté et l'Etat. »

La même pensée de défense de la liberté contre les empiètements de plus en plus menaçants de l'Etat se

1 Angers, 1879.

montrait de nouveau à Dijon en 1884: « Le césarisme et le socialisme d'Etat. »

Les empiètements de l'Etat et la tyrannie qui en résulte se manifestent surtout sous la forme de l'arbitraire administratif et judicaire. C'est ce que nous avons étudié à Lyon en 1899.

L'une des formes les plus odieuses de l'arbitraire est celle qui frappe l'exercice de la vertu chrétienne par excellence. Le 24° Congrès, à Lille en 1900, revendiqua les droits de la Charité, et son libre exercice.

Mais en protestant contre l'arbitraire de l'Etat-dieu, les jurisconsultes catholiques n'oubliaient pas de rechercher les moyens d'y remédier. L'un de ces moyens est la décentralisation. Le 11° Congrès, à Lille en 1886, étudia cette importante question, et dressa tout un plan de décentralisation, qui pourra servir beaucoup aux réformes d'un bon gouvernement... ., quand nous en aurons un.

L'arbitraire de l'Etat atteint les individus dans leur personne. C'est ce qui attira l'attention des jurisconsultes dans leur 27° Congrès : « Les principes de gouvernement et la protection des droits privés. >>

L'arbitraire atteint encore l'individu dans sa propriété. Trois Congrès furent consacrés à ce sujet ; Nantes 1883: La propriété. » — Montpellier, 1901 « le socialisme d'Etat et la propriété. » « Le rôle social de la propriété. »

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Angers, 1890:

J'attire particulièrement l'attention sur ce dernier Congrès où furent précisées les doctrines de l'école, dite école d'Angers, dont l'illustre Evêque de cette ville fut le chef et notre Revue, l'organe. Espérons qu'il n'y aura bientôt plus que l'école du Motu proprio.

L'étude de la propriété appelait naturellement l'étude de ce qui la crée; aussi le 14° Congrès étudia-t-il à Arras en 1889 : « La législation chrétienne du travail.»

Parmi les libertés que nous réclamons à l'Etat, non comme une concession bienveillante, mais comme un

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