Page images
PDF
EPUB

beau et courageux rapport qu'il a soumis les 16 et 23 mai 1903 à l'Académie des sciences morales et politiques.

§ 2.

Hors le cas de flagrant délit, comme il n'y a plus la même urgence à se saisir du délinquant, comme aussi les présomptions de culpabilité sont moins fortes, la loi montre plus d'égards pour la liberté des inculpés. Et cela, sans distinction aucune selon que le prévenu possède ou non un domicile connu où l'on a quelques chances de le retrouver. Nous reconnaîtrons tant que l'on voudra qu'il y a là une lacune, une fissure de la loi, et nous ne nous indignerons pas trop fort si l'on arrête, sans la moindre formalité, des inculpés vagabonds qu'il n'est peut-être que ce moyen de garder à la disposition de la justice. Il n'en est pas moins vrai que ce sont encore là des arrestations arbitraires.

1° Hors le cas de flagrant délit, la loi ne donne qualité pour procéder aux arrestations qu'aux huissiers et agents de la force publique.

2o Ces agents doivent être porteurs d'un ordre de justice appelé mandat d'amener, de dépôt ou d'arrêt.

Ce mandat doit être signé et scellé par le magistrat qui l'a délivré.

Il doit contenir la désignation de la personne contre qui il est décerné.

Le mandat d'arrêt, qui entraîne des conséquences plus graves que les autres, doit contenir, en outre, l'énonciation du fait pour lequel il est décerné et la citation de la loi qui déclare que ce fait est un crime (C. instr. crim., 95, 96).

3o Avant de procéder à l'arrestation, les agents porteurs du mandat doivent le notifier, c'est-à-dire d'abord le montrer et le lire au prévenu, puis lui en remettre une copie (C. instr. crim., 97).

Ainsi seront évités des méprises, des abus de pouvoir et des usurpations de qualité trop faciles, car les <«< agents de la force publique » commis par la loi aux arrestations peuvent être, après tout, d'assez minces fonctionnaires, dont il serait aisé à de mauvais plaisants de contrefaire le rôle.

4o Mais la vraie garantie réside dans l'autorité qui dispose, par les mandats qu'elle décerne, de la liberté des citoyens. C'est, disons-nous, l'autorité judiciaire,et, comme il y a, dans la magistrature, deux ordres bien distincts: le parquet qui poursuit, et les juges qui jugent, c'est aux juges, c'est-à-dire aux magistrats dont les habitudes professionnelles risquent le moins d'altérer l'impartialité et la sérénité, à ceux enfin dont l'indépendance est le mieux assurée par l'inamovibilité, que la loi réserve, en principe, le droit de lancer les mandats. C'est le juge d'instruction qui les signe seul, pour la plupart; c'est quelquefois le tribunal tout entier, ou la Cour d'appel, ou le premier président. (Art. 193, 216, 484, C. instr. crim.).

Ce n'est qu'au cas de flagrant délit, car il faut bien alors qu'après s'être saisi de l'inculpé on le puisse maintenir en détention préventive pendant que la justice vaquera à l'information, ce n'est qu'au cas de flagrant délit que le procureur de la République peut signer un mandat d'arrêt ou de dépôt. (G. Instr. crim., 40). Encore avons-nous vu pour quelle brève durée.

§ 3.

[ocr errors]

Et cependant, si le procureur de la République, fonctionnaire amovible, avocat de la société dont le rôle est de requérir et non pas de juger, présente moins de garanties d'impartialité et d'indépendance que les magistrats du siège, du moins il est, comme eux, placé sous le contrôle de ses chefs hiérarchiques. Il est toujours un membre de ce grand corps judiciaire qui est le pro

tecteur naturel de la liberté des citoyens parce qu'il ne peut céder à la haine et à la passion sans s'avilir.

Mais quel titre semblable le préfet, dans les départements, et le préfet de police à Paris peuvent-ils invoquer pour justifier le droit que leur confère l'article 10 du Code d'instruction criminelle de signer eux aussi des mandats d'amener ?

Nous touchons-là un des points les plus graves de cette étude.

L'article 10 fait dans notre Code d'instruction criminelle un singulier effet. On dirait d'un corps étranger qu'on y aurait inséré par violence, mais qu'on n'aurait pu lui assimiler. Le Code d'instruction criminelle suppose essentiellement le principe de la séparation des pouvoirs, non pas entendu seulement à la façon mitigée dans laquelle quelques théoriciens modernes veulent le diluer, mais à la façon classique de Montesquieu et de la Déclaration des droits. Il suppose que le pouvoir exécutif est distinct du pouvoir judiciaire et qu'ils ne peuvent pas empiéter l'un sur l'autre. Il prend le plus grand soin de distinguer ce qui est du domaine de l'exécutif, pour l'écarter, et ce qui est du ressort du judiciaire, pour le retenir. S'il traite de police, c'est de police judiciaire exclusivement, et non de police administrative, et l'on n'y peut rien comprendre si l'on ne fait d'abord la distinction que le code du 3 brumaire an IV posait explicitement et que Treilhard reproduisait encore dans l'exposé des motifs 1:

[ocr errors]

«La police administrative a pour objet le maintien « habituel de l'ordre public, dans chaque lieu et dans « chaque partie de l'administration générale; elle tend << principalement à prévenir les délits. Les lois qui la «< concernent font partie du Code des administrations « civiles.

1 V. Loiré, t. XXV, p. 223.

<< La police judiciaire recherche les délits que la police « administrative n'a pu empêcher de commettre, en << rassemble les preuves, et en livre les auteurs aux << tribunaux chargés par la loi de les punir ».

Voilà pourquoi, lorsque le Code d'instruction criminelle organise la police judiciaire et qu'il est, en quelque sorte, obligé d'emprunter à l'organisation administrative quelques-uns de ses agents pour leur confier des attributions de police judiciaire, il a bien soin de placer alors ces agents sous l'autorité des cours d'appel et sous la surveillance des procureurs généraux.

Eh bien l'article 10, tel du moins que l'interprète la jurisprudence, renverse tous ces principes!

Il donne au préfet de police et aux préfets des départements le droit de faire des actes de police judiciaire, de décerner des mandats d'amener, de dépôt et aussi, malgré quelques résistances doctrinales ', des mandats d'arrêt, de procéder à des perquisitions et à des saisies.

Est-ce donc qu'il place simplement ces hauts fonctionnaires administratifs dans la série des divers officiers de police judiciaire, les soumettant au contrôle de la Cour d'appel et à la surveillance des procureurs généraux, en faisant, quant aux attributions qu'il leur confie, de simples auxiliaires du ministère public, et ne leur donnant, par conséquent, qualité pour procéder à des actes d'information, pour décerner des mandats, qu'au seul cas de flagrant délit, conformément à la règle de l'article 49?

Telle serait, assurément, l'interprétation la plus libérale et la seule respectueuse du principe de la séparation des pouvoirs. Mais telle n'est pas l'interprétation consacrée par un arrêt célèbre des Chambres réunies du 21 novembre 1853 (S. 1853, I, 774).

Pour la Cour de cassation, entre le préfet et les offi

1 V. Garraud, Traité de droit criminel.

ciers auxiliaires de police judiciaire, il n'est aucune mesure commune, aucune analogie possible, et la conséquence qu'elle en tire, c'est que les droits que les préfets tiennent de l'article 10 s'étendent même hors du cas de flagrant délit et mettent tout à la fois dans leurs mains les pouvoirs du procureur et ceux du juge d'instruction.

Cette jurisprudence porterait-elle son explication dans sa date? Il n'est que trop certain que l'article 10 fut un produit de la législation impériale. Faudrait-il dire jurisprudence impériale, à propos de l'arrêt de 1853?

Hélas! la jurisprudence plus récente est restée dans l'ornière tracée il y a cinquante ans.

C'est trop peu dire! Elle s'y est enfoncée plus profondément. On pouvait croire, même après l'arrêt de 1853, que la saisine du juge d'instruction faisait tomber celle du préfet. Un jugement du tribunal de la Seine du 27 décembre 1900 a décidé qu'il n'en est rien, et que le préfet de police peut non seulement continuer, mais ouvrir une instruction administrative parallèle à l'instruction judiciaire, quand le juge d'instruction a pris les devants (Revue pénitentiaire 1901, pages 678 et 1144).

Voilà, pour la jurisprudence. Quant au législateur, 1815, 1830, 1848, 1870 ont passé, le vieux texte césarien est toujours debout.

En 1878, sur l'initiative de M. Dufaure, garde des sceaux, la commission de revision du Code d'instruction criminelle l'avait cependant condamné. M. Dufaure tomba du ministère et fut remplacé par un républicain de nuance plus accentuée, M. Le Royer. M. Le Royer reprit le projet Dufaure et le présenta au Sénat. Mais il avait eu soin auparavant de l'émonder et de rendre au préfet de police, à lui seulement, l'usage de l'article 10. M. Ribot protesta contre cette modification et réclama si haut l'abrogation complète qu'il persuada la Chambre et que la suppression de l'article 10 y fut

XXXII-II

2

« PreviousContinue »