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tion des droits de l'homme n'avait pas songé à ce second ordre de restrictions. A lire les articles qu'elle consacre à la liberté individuelle (art. 4, 7, 9 de la Déclaration de 1789; art. 6, 9, 10, 11, 12, 13, 14 de la Déclaration de 1793), on croirait vraiment qu'elle avait oublié jusqu'à l'existence de l'Etat pour ne prendre en considération que les individus. De pareils oublis sont permis à ceux qui planent dans l'empyrée.

Mais les législateurs qui sont venus plus tard, vivant plus près des réalités, n'ont pu se dispenser de leur faire leur part. Nous n'insisterons pas sur ce point: Quelque soit l'intérêt, supposé légitime, d'ordre public ou d'ordre privé, dans lequel la loi me prive de l'usage de ma liberté, ce qu'il importe, c'est que la privation qu'elle m'impose soit strictement mesurée sur l'intérêt à assurer.

Les garanties de la liberté consisteront donc, si l'on peut ainsi dire, dans la restriction de ses restrictions. On les aura suffisamment décrites, quand on aura analysé avec une précision minutieuse les restrictions ellesmêmes, puisque tout est ici d'interprétation stricte, et que l'arbitraire commence au point précis où la loi devient silencieuse.

Nous ne parlerons des condamnés aux peines privatives de la liberté que pour écarter leur cas. Encore qu'il faille même avec eux respecter des formes précises, il n'y a pas lieu de nous y attarder. Ce ne sont pas les criminels qui nous intéressent, ce sont les innocents, et toute l'institution judiciaire est là pour garantir aux innocents qu'ils ne seront que le moins possible traités en criminels.

Mais dans quelles conditions les agents du pouvoir peuvent-ils arrêter un citoyen non encore condamné, non encore jugé ?

Autrement dit, quand une arrestation est-elle légale et quand est-elle arbitraire ?

CHAPITRE PREMIER

ARRESTATIONS JUDICIAIRES

Une arrestation n'est légale qu'autant qu'elle se produit dans un cas prévu par la loi,— qu'elle est opérée par un agent qualifié pour cela par la loi, — et que cet agent observe les formes prescrites par la loi. Ces trois conditions ne se rencontrent que dans les arrestationsjudiciaires.

I

A) Dans quel cas la loi prévoit-elle la possibilité d'une arrestation ?

Lorsqu'un crime ou un délit a été commis, et dans aucun autre cas. Une simple contravention ne justifie jamais d'arrestation, ni même un délit non puni d'emprisonnement (C. instr. crim., art. 131).

Lors donc et alors seulement qu'un attentat à la loi assez grave pour être puni par elle d'une peine plus forte que l'amende a été commis, il y a matière à arrestation judiciaire.

On ne saurait exiger, à la vérité, que l'agent mandatė par la loi pour procéder aux arrestations vérifie exactement la qualification de l'infraction au moment où il la constate. Lui demander de feuilleter le Code pénal avant de se saisir du délinquant serait aussi peu raisonnable que d'exiger en lui une infaillibilité absolue. Si donc l'agent a quelque doute sur la gravité de l'infraction, il faut bien lui permettre de s'assurer de la personne du délinquant, au moins par provision et sous réserve de plus ample examen. Mais si l'agent s'est mẻpris sur le caractère légal de l'infraction, l'arrestation ne sera pas maintenue et le juge d'instruction ne pourra pas la convertir en détention.

B) Qui peut-être arrêté ?

L'auteur présumé du crime ou du délit, ses complices présumés, et en outre les témoins qui, régulièrement cités, n'auraient pas répondu à la citation.

Cette arrestation n'a, en effet, qu'un but mettre la personne arrêtée à la disposition de la justice pour l'interroger, puis, si les charges paraissent suffisantes, pour la juger. C'est une mesure d'instruction, ce n'est pas encore une peine.

II

Qui est compétent pour procéder à une arrestation, et de quelles formes doit-elle être accompagnée ?

Ici se place la distinction capitale entre les délits flagrants et les autres.

On sait ce qu'il faut entendre par là. C'est matière de droit criminel sur laquelle il ne convient pas de nous appesantír. On sait aussi que tout délit n'est pas susceptible de flagrance, et que la loi soustrait à la procédure spéciale des flagrants délits? les délits de presse, les délits politiques, et diverses infractions? dont la procédure est réglée par des lois spéciales (loi du 30 mai 1863, art. 7).

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Au cas de flagrant délit, il faut procéder vite, pour arrêter, s'il en est temps encore, l'achèvement du crime, et dans tous les cas pour empêcher le coupable de s'enfuir. D'ailleurs il y a peu de chance qu'on commette une erreur bien grave et qu'on arrête un innocent. Voilà pourquoi la loi se départit de sa circonspection

1 V. les articles 41, 46 et 49 du Code d'instr. crim. Ces derniers assimilent au flagrant délit le cas où un chef de maison requiert, de l'intérieur, la constatation d'un délit non flagrant.

habituelle et sacrifie beaucoup des garanties dont elle entoure normalement la liberté des prévenus.

1. Elle commet le soin de procéder à l'arrestation, non plus aux seuls agents de la force publique, mais au premier venu, aux simples particuliers qui se trouvent fortuitement sur les lieux (C. instr. crim., 106).

2o Et elle leur enjoint de se saisir des coupables apparents, de leur propre chef, sans réquisition spéciale, sans la moindre formalité de signification ni de procèsverbal. Voilà pourquoi l'agent peut arrêter immédiatement la personne qui l'outrage ou qui se met en rébellion contre ses injonctions légitimes.

3o Seulement, bien entendu, ce n'est pas pour mettre les gens à l'ombre et les détenir plus ou moins longtemps que la loi donne au premier venu ce droit d'arrestation. C'est seulement pour conduire immédiatement la personne dont il s'est assurée devant le procureur de la République, ou, à son défaut, devant l'officier auxiliaire de police le plus voisin. Celui-ci accomplit les premières mesures d'instruction. Puis, s'il s'agit d'un crime, la procédure suivra la marche naturelle. Mais s'il s'agit d'un simple délit, le procureur devra traduire immédiatement l'inculpé à la barre. Il ne pourra le détenir que vingt-quatre heures au maximum, en décernant contre lui un mandat de dépôt, et devra, s'il est nécessaire, provoquer une audience spéciale du tribunal dans ce délai, car la loi entend que dans les vingt-quatre heures le tribunal, c'est-à-dire les juges et non plus le parquet, ait pris sous sa sauvegarde l'inculpé envers lequel elle ne s'est départie que provisoirement des formes ordinaires (loi du 20 mai 1863, art. 1 et 2).

Malgré les prescriptions très nettes de la loi, l'arbitraire parvient à se glisser encore entre ses mailles.

A Paris, notamment, quand les agents arrêtent un malfaiteur surpris en flagrant délit, ils ne l'emmènent

pas tout de suite devant le magistrat : Serait-ce maté riellement possible? Mais ils le conduisent au poste. Du poste, on le mène au dépôt et voilà l'arrestation convertie fort arbitrairement en détention. C'est seulement après ce stage au dépôt que l'inculpé est conduit au petit parquet de la Seine où les substituts procèdent à l'interrogatoire qui leur permettra de faire, s'il y a lieu, une détention légale de ce qui n'était jusque-là qu'une détention arbitraire.

Mais il arrive, paraît-il, que l'étape au dépôt, déjà fort irrégulière par elle-même, se prolonge hors de toute mesure. M. Goblet dénonçait naguère à la Chambre des députés une statistique fort significative: Sur 105 individus amenés devant le magistrat instructeur pendant les mois de juin, juillet, août et septembre 1881, un seulement avait été conduit après un jour de dépôt, 29 après deux jours, 32 après trois jours, 18 après quatre jours, 1 après six jours, 1 après sept, un après huit, enfin 1 après neuf jours! (Journ. offic. du 20 janv. 1884). Il est vrai que ces faits édifiants se passaient en 1884 1. Depuis lors, a-t-on corrigé ces abus?

La préfecture de police le fait plaider dans les Congrès pénitentiaires. Les déclarations de M. Puybaraud, à la réunion de la Société générale des prisons de 1901, sont très catégoriques à cet égard. Et cependant l'inquiétude subsiste, quand on sait que la préfecture de police. continue à se faire adresser à elle-même les procèsverbaux de ses agents, procès-verbaux qui devraient être transmis directement au parquet. Si la préfecture n'avait rien à cacher, elle ne craindrait pas tant de tout montrer, comme l'a si justement remarqué M. Morizot-Thibault, substitut au tribunal de la Seine, dans le

1 Au lendemain de la loi de réforme de la magistrature, et deux ans seulement après une circulaire du préfet de police du 16 janvier 1879, qui devait assurer à l'avenir l'observation scrupuleuse des prescriptions légales!

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