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LA CONSTITUTION FÉDÉRALE

DES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE DU NORD 1

On sait que la Société de législation comparée et le Comité de législation étrangère ont entrepris depuis plusieurs années la publication d'une vaste collection. des codes étrangers traduits et annotés dans notre langue, en traçant d'avance à leurs collaborateurs un plan de composition à peu près uniforme, qui a été ponctuellement suivi, surtout pour ceux de ces Codes les plus récemment promulgués.

Il était difficile et il eût été certainement insuffisant d'appliquer cette méthode trop sommaire à la publication des lois constitutionnelles de certains grands Etats qui, comme ceux de l'Amérique du Nord, se sont rapidement développés et ont acquis une puissance due peutêtre non seulement à l'activité de leur population, mais encore à l'esprit pratique, positif de la race et à l'interprétation que, sous cette influence indéniable, elle a su donner aux dispositions principales de son pacte fondamental. Il faut tenir compte à la fois de ses origines. historiques, des traditions de ses premières colonies, des besoins nouveaux nés de leur fédération et de l'usage. qu'après l'acte d'union les citoyens firent de leurs droits. et les autorités de leur pouvoir.

Chargé de ce travail délicat auquel le préparait sa connaissance approfondie de la langue et des mœurs des Etats confédérés, M. Alphonse Gourd commença par publier, en 1884-1885, deux volumes sur les chartes colo

Les chartes coloniales et les constitutions des Etats Unis de l'Amérique du Nord, par ALPHONSE GOURD, avocat à la Cour de Lyon, docteur en droit, député du Rhône, t. III, Paris, imprimé par ordre du Gouvernement à l'imprimerie nationale, 1903, 1 vol. in-8° de 746 p.

niales de l'Amérique du Nord, antérieures à la rupture des insurgents et à la proclamation de leur indépendance. Puis il dut réunir et étudier près de trois cents ouvrages sur la Constitution fédérale de 1787 et ses amendements successifs, tous sans exception d'origine. américaine ou anglaise, non qu'il dédaignât les commentaires français dont quelques-uns sont de premier ordre, mais parce qu'on n'interprète sainement la lettre d'une législation étrangère, surtout en matière de droit public, qu'en consultant le pays auquel elle est destinée sur le sens et la portée qu'il lui attribue. Entre plusieurs autres, cette unique raison suffit à expliquer la tardive apparition de ce troisième volume de 746 p. Le lecteur n'y perdra rien, au contraire; il en est peu d'aussi condensés ni d'aussi pleins, mais en même temps d'aussi intelligibles, ni d'aussi clairs. M. Gourd ne laisse aucun point douteux, nulle question sans réponse, et ses nôtes abondantes sur les amendements à la Constitution, sur les traités conclus avec les nations étrangères, sur les finances de l'Union, sur la politique fédérale seront une mine presque inépuisable de précieux renseignements pour nos futurs publicistes qui voudront étudier à nouveau cette loi suprême » dans laquelle Story voyait dès 1833 « le palladium de la liberté américaine. »

Elle ne fut pourtant pas soumise au vote populaire, ce qui indigne sans doute les modernes démocrates partisans du referendum. Bryce déclare que « la voix du peuple se serait probablement prononcée contre elle1», Je devine plus qu'il ne m'apprend les vrais motifs de son opinion; mais il est certain que, malgré l'exemple donné par quelques colonies anglaises de l'Amérique du Nord avant la déclaration d'indépendance, le pouvoir constitutionnel directement exercé par la masse des

'American Commonvealt, trad. franç., t. I, p. 48.

citoyens répugnait alors aux Américains sur les treize Etats qui formèrent originairement l'Union, deux seulement firent ratifier leurs constitutions particulières par le suffrage universel 1.

Quoiqu'il en soit, depuis que nous vivons sous le régime actuel, nous comparons volontiers nos nouvelles institutions politiques à celles de la grande « république sœur et son étonnante prospérité que Mme de Staël prédisait dès le début du dernier siècle nous inspire le facile orgueil de signaler surtout les points de ressemblance des premières avec les secondes. Il serait plus aisé et peut-être plus utile de montrer en quoi elles diffèrent, car leur désaccord porte précisément sur des matières essentielles. M. Gourd n'avait ni le devoir ni l'intention de les mettre en relief, ces divergences capitales, encore moins d'exprimer une préférence personnelle. Mais son commentaire si abondant, si fouillé, si complet, parle de lui-même pour lui; il supplée merveilleusement au silence volontaire de sa conclusion à cet égard.

Pour ses lecteurs, moins familiarisés que lui avec le droit public comparé, et qui ne sont pas tenus à observer sa réserve, voici quelques-uns des points sur lesquels la constitution des Etats-Unis s'écarte nettement de la nôtre.

Elle établit, sous la forme républicaine, un Gouvernement représentatif, mais non parlementaire, comme en France. Le régime parlementaire n'est en effet que l'exagération de la responsabilité politique et souvent solidaire des ministres qui, pour former un cabinet homogène, doivent être pris au sein du parti réunissant la majorité dans le Parlement ou au moins dans la Chambre des députés, tandis que chez les américains du

Ellis P. Oberholtzer, The referendum in America, 2e édit., New-York, 1900.

nord ils ne peuvent en faire partie (Constitution, art. 1er, sect. 6, § 2). Aux Etats-Unis, les ministres ne dépendent que du Président seul il les choisit, les conserve et les révoque à son gré; ce sont de simples agents d'exécutions qu'il associe, chacun dans son département, à sa politique générale dans la mesure qui lui convient et qui sont uniquement responsables devant lui, sauf le cas d'impeachment. Ils n'ont pas d'action propre et collective sur la direction du Gouvernement fédéral dont le Chef peut même se dispenser de les consulter1

Avec des pouvoirs en apparence plus restreints que ceux de notre Président, ce Chef de « l'exécutif américain » jouit en réalité dans leur exercice d'une pleine indépendance, parce qu'il est seul responsable. Il n'a pas, il est vrai, l'initiative des lois, même financières, à moins qu'on ne donne par erreur ce nom au rapport annuel que le secrétaire du Trésor adresse au Congrès afin de lui faire connaître l'état des revenus publics et les dépenses prévues pour l'année suivante. Il a besoin du consentement du Sénat pour faire des traités et nommer les fonctionnaires. Il n'a pas le droit de dissoudre la Chambre des représentants. Mais il a celui de Veto, c'està-dire le droit de refuser la promulgation d'une loi votée : celle-ci revient alors devant le Congrès qui délibère à nouveau ; si la loi réunit dans chaque Chambre les deux tiers des voix, le Président est forcé de la promulguer, sinon le projet tombe, il est mort-né, et le cas s'est présenté fréquemment. (Constitution, art. 1o, sect 7.)

Je suis loin de prétendre que ce système soit exempt d'abus, qu'il soit sans défauts et qu'il n'entraîne jamais dans la pratique des froissements ou des heurts. Il a été combattu sur place. Mais les Américains du Nord y tiennent en général, parce qu'ils sentent qu'une large

1 Woodrow Wilson, Congressional governement, p. 257; Gamaliel Bradfort, Congress and the Cabinet, p. 6; Bryce, op. cit., trad. franc., t.I, p.105.

démocratie exige un contre-poids, que la liberté même demande un Gouvernement fortement armé qui la protège contre les rivalités et les passions des partis, que la puissance exécutive, sortie de l'élection, ne doit pas seulement, comme on dit de l'autre côté de l'Atlantique, être «<le constable de la législative », mais qu'il est nécessaire de lui assurer, à raison de la courte durée de son mandat, une certaine stabilité. Et c'est dans ce but que leur Constitution a établi la séparation absolue des trois pouvoirs. Ici triomphe dans toute son ampleur la théorie chère à Montesquieu et aux hommes du XVIIe siècle. C'est à leur école que les rédacteurs de 1787 se sont visiblement formés.

M. Woodrow Wilson qui a une prédilection marquée pour la suprématie du pouvoir législatif a vainement attaqué ce sectionnement de l'autorité, ce découpage en petits morceaux qui limite la responsabilité, «ces freins et ces contre-poids malfaisants juste dans la mesure où ils ont réussi à s'établir dans la réalité » Les Américains ne les dédaignent nullement, et, bien qu'ils admettent, en gens pratiques, des conférences officieuses entre les représentants du Parlement et « l'exécutif », ils entendent fortifier l'action prépondérante de ce dernier plutôt que celle des politiciens. Je ne saurais leur en faire un crime, malgré la très-médiocre confiance que m'inspirent les disciples de Montesquieu comme Condorcet et ses émules de 1791. Contrairement même à une opinion naguère développée avec talent dans ce présent recueil, j'oserais prétendre que la Constitution des Etats-Unis l'emporte sur la nôtre en attribuant non seulement à une cour suprême, composée de neuf membres nommés à vie par le Président de la République, mais aux neuf cours fédérales et aux cours de district, c'est-à-dire à l'autorité judiciaire le

Op. cit., trad. franç., pp. 333 et 5.

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