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Mais les conséquences internationales de la situation nouvelle sont moins évidentes. L'attitude de la Chine n'est pas précisée encore, et le Japon, qui s'est ménagé en Corée des appuis sérieux, sinon dans le peuple, qui lui est hostile, au moins dans le gouvernement, qui s'est laissé acheter, trouve aussi des complicités indéniables aux Etats-Unis et en Angleterre. L'Allemagne, par contre, n'épargne rien pour attester qu'elle est solidaire de la Russie.

Reste la France : la question, ici, n'eût pas dû se poser; et, quand même on eût persisté à ignorer les arrangements conclus en 1901 entre Paris et Saint-Pétersbourg, pour faire contrepoids au traité anglo-japonais, quand même on serait moins fixé sur ce corollaire asiatique de l'alliance franco-russe que sur l'objectif initialement européen de cette alliance, on ne devrait pas, simplement au nom de la loyauté diplomatique et de l'honneur international, contester la solidité des liens qui nous unissent depuis douze ans à la nation amie et alliée », et qui ne sont pas moins respectables dans leurs conséquences éventuellement onéreuses que dans leurs effets avantageux. Aussi bien, si la Duplice ne nous a pas rap porté plus que cette sécurité morale qui déjà est un bienfait signalé, est-ce la faute à la Russie? La preuve est faite que, si nous avons subi les injonctions anglaises aux jours de Fachoda, c'est parce que nos gouvernants n'ont pas voulu mettre à profit les offres de concours que la Russie nous fit alors expressément et itérativement; même responsabilité leur incombe à propos de la guerre du Transvaal, lors de laquelle nous eussions. pu prendre, au regard de l'Angleterre, une offensive pour laquelle le concours de la Russie ne nous eût pas manqué davantage.

Quoi qu'il en soit, un fait demeure, d'une incalculable gravité c'est que l'alliance russe, dans l'efficacité. des obligations qu'elle nous crée, a été mise en ques

tion chez nous, officieusement par le président même du conseil des ministres, M. Combes, publiquement par M. Jaurès, l'un des chefs de la majorité ministérielle, hier encore vice-président de la Chambre, qui n'a pas craint de prononcer, au congrès socialiste de SaintEtienne, un discours où, rhéteur brouillon, il a prôné la convenance de « détendre », sinon de « dénoncer » l'alliance! Sans doute, les autres partis se sont empressés de répudier cette thèse de reniement et de parjure, et même ç'a été, pour les fractions du « bloc », jusque-là domestiquées, l'occasion de secouer quelque peu le joug et de chercher à recouvrer quelque indépendance; mais il reste que le parti socialiste, internationaliste et antimilitariste, lequel domine le gouvernement lui-même, manifeste des dispositions nettement contraires à une coopération effective à fournir à la Russie, le jour où les circonstances entraîneraient l'opportunité d'une telle coopération. Le péril d'un reniement pareil se devine aussi clairement que la honte en saute aux yeux : qui peut prévoir, en effet, l'étendue des représailles dont une telle félonie serait châtiée par la Russie de compte à demi avec l'Allemagne, toute prête à prendre dans l'amitié de la Russie la place que nous laisserions libre! Voilà pourtant à quoi nous expose la politique judéo-maçonnique, c'est-à-dire la conspiration dreyfusiste et anticléricale, c'est-à-dire la République.

Paul TAILLIEz.

Lyon.

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Le Gérant: X. JEVAIN.

Imp. X. Jevain, r. François Dauphin, 18.

REVUE CATHOLIQUE

DES INSTITUTIONS ET DU DROIT

(XXXII ANNÉE)

Qu'ont fait les Etats-Unis pour échapper à la tyrannie des majorités et sauver les libertés essentielles?'

ÉTUDE D'HISTOIRE ET DE DROIT NATUREL

Rapport au XXVIIe Congrès des Jurisconsultes catholiques.

« On nous cite les Etats-Unis, disait Joseph de Maistre, dans un moment de mauvaise humeur: je ne connais rien de plus impatientant que les louanges décernées à cet enfant au maillot2. »

L'enfant est maintenant un homme fait, et le moment est venu de le juger.

Tocqueville a certainement écrit trop tôt les EtatsUnis n'avaient alors que douze millions d'habitants; ils en ont maintenant soixante-douze. La guerre de Sécession n'avait pas eu lieu; la question des nègres n'était pas posée et la corruption électorale, ce fléau des gouvernements populaires, n'était pas encore née du développement soudain des grandes villes et des fortunes monstres.

De plus, Tocqueville, à force de voir à travers ses lunettes de vieux libéral, avait souvent mal vu, et faisait honneur au principe démocratique de succès qui

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revenaient de droit aux principes conservateurs et aristocratiques, empruntés par les fondateurs de la grande république aux vieilles traditions de la Mère-patrie. Monsieur Bodley, dans ses fortes études sur la France, a vu plus juste que Tocqueville en appelant la république américaine le grand rejeton du sujet anglais.

Après cent vingt ans d'épreuve, on pourra sans doute porter sur ces fameuses institutions un jugement plus rapide et plus décisif que celui de Tocqueville.

L'étude d'ailleurs vaut la peine d'être entreprise, car jamais on n'a, de mémoire d'homme, assisté à pareil spectacle; jamais on n'a vu ni dans l'antiquité, ni dans le moyen âge une nationalité puissante et durable en dehors des monarchies.

Athènes, Florence, Venise ne lui ressemblaient en rien. En dehors même de la question d'esclavage, si sérieuse pour la cité antique, où l'on voyait un homme libre pour dix ou vingt esclaves et où l'on ne connaissait pas d'autre moyen de produire en grand, rien ne rappelle moins l'engrenage savant et compliqué des Etats-Unis que l'organisation étroite, soit des anciennes républiques, petits volcans toujours en travail, soit des républiques du moyen-âge, où tout est réglé par quelques grands seigneurs. Chez elles aussi, la vie toujours précaire est tourmentée par des révolutions incessantes plus de mille en cinq siècles!

1

Les premiers, les anglo-saxons ont élargi les cadres de la démocratie et ont trouvé moyen de faire vivre un vaste état républicain sans aucun privilège ni pour cité ni pour individu.

Il est vrai que les circonstances étaient exceptionnelles une race d'une trempe rare, enrichie par le croisement des énergies allemandes et de la vive intelligence des Irlandais; des terres immenses vierges et

Duc de Noailles : Cent ans de République.

fécondes, des capitaux incalculables en hommes et en argent apportés par chaque paquebot, (305 millions en 1851) un sous-sol incomparable en or, en charbon, en fer et en cuivre; tous les nerfs de la guerre et de l'industrie, ramassés et sous la main.

C'est donc là qu'il faut aller pour étudier sur le vif le gouvernement populaire et voir ce qu'il peut donner et aussi ce qu'il coûte.

Eh bien, disent les meilleurs observateurs, comme M. Claudio Jannet et M. Bourget, dans son Voyage d'outre-mer, la conclusion qui se dégage de cette étude n'est pas entièrement à l'honneur du principe démocratique,

Ce qui a sauvé la démocratie américaine de la banqueroute, c'est ce qu'elle a emprunté aux vieilles traditions anglo-saxonnes d'idées conservatrices et aristocratiques.

Cette proposition demande, pour être comprise, quelques développements.

I

La constitution des Etats-Unis repose sur deux principes bien distincts, qui nous paraissent même contradictoires : la souveraineté du peuple et l'autorité suprême du droit.

Si le peuple est souverain, comment empêcher que cette suprématie ne devienne la loi brutale du nombre, de la bête du nombre, comme disait Paradol, et si la bête se fâche, quel abri restera-t-il au droit ?

Comment faire pour que le despotisme aveugle et irresponsable des majorités ne foule pas aux pieds tous les droits, toutes les libertés et qu'un parti, devenu majorité ne gouverne pas à son profit?

Eh bien, la pensée mère de la constitution des Etats

* Cf., Cl. Janet : Les Etats-Unis; il soutient formellement sa thèse.

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