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Capitaine renard allait de compagnie
Avec son ami bouc des plus hauts encornés :
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez;
L'autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits:

Là, chacun d'eux se désaltère.

Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le renard dit au bouc: "Que ferons-nous compère ?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi ;
Mets-les contre le mur: le long de ton échine
Je grimperai premièrement;

Puis sur tes cornes m'élevant,

A l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai,

Après quoi je t'en tirerai.

-Par ma barbe! dit l'autre, il est bon; et je loue

Les gens bien sensés comme toi.
Je n'aurais jamais, quant à moi,

Trouvé ce secret, je l'avoue."

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IO

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Le renard sort du puits, laisse son compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon

Pour l'exhorter à patience.

"Si le ciel t'eût, dit-il, donné

par

excellence

5 Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurais pas, à la légère,

Descendu dans ce puits. Or, adieu; j'en suis hors,
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts;
Car, pour moi, j'ai certaine affaire

10 Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.”

En toute chose il faut considérer la fin.

LA FONTAINE.

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66.

L'AUMONE.

Voici venir, amis, le dernier mois d'automne ;
Un beau jour, maintenant, est rare et passager:
Le pauvre, demi-nu, des premiers froids s'étonne;
Travaillons pour le soulager.

L'hiver sera, pour tous, plus rude qu'on ne croit,
Et déjà dans la cour, d'un ton piteux et triste,
Un tout petit enfant demande qu'on l'assiste,
En soufflant dans ses mains toutes rouges de froid.

20 Vous avez vu souvent, au seuil du presbytère
Cette femme encor jeune et d'un maintien tremblant,
Qui nourrit un enfant, pâle comme sa mère,
Et qui pleure en le consolant.

Au sortir de l'église, hier, je l'ai cherchée :
On m'a dit que, malade, et n'ayant point d'abri,
Dans la grange prochaine elle s'était couchée,
Et que l'enfant souffrait d'être si mal nourri.

Ma mère en a pleuré, puis m'a donné pour elle;
Et j'ai couru bien vite lui porter ce secours.
Mais ce n'est point assez; travaillons avec zèle,
Courage, et de tous deux nous sauverons les jours

Dans notre livre de prières,

Je l'ai lu bien souvent, amis, il est écrit

Que tous les pauvres sont nos frères,
Car ils sont, comme nous, enfants de Jésus-Christ.

La fortune, ici-bas, n'est pour nous qu'une épreuve.
Qui possède beaucoup, doit donner beaucoup d'or;
Et qui possède peu, devra donner encor;
C'est le cœur qui fait tout. Le denier de la veuve
Sera compté comme un trésor.

5

IO

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Tel est des livres saints l'enseignement suprême,
Qu'un ange suit le pauvre et veille sur ses pas;
Qu'un refus est, là-haut, puni comme un blasphème, 20
Qu'un cri de faim maudit tous ceux qu'il n'émeut pas,
Et qu'en donnant au pauvre on prête à Dieu lui-même.

Donnons, mais sans éclat, et même avec mystère,
Là-haut veille sur nous un témoin précieux.
Donnons. Ce qu'on répand d'aumônes sur la terre
S'amasse en trésor dans les Cieux.

ALEX. GUIRAUD.

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67.

LE LABOUREUR ET SES ENFANTS.

Travaillez, prenez de la peine:

C'est le fonds que manque le moins.

Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
"Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents :

Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l'endroit; mais un peu de courage Vous le fera trouver; vous en viendrez à bout. IO Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'août: Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse.

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Le père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout, si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.

D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer, avant sa mort,

Que le travail est un trésor.

LA FONTAINE.

68.

LE PREMIER LARCIN.

N'abandonnez jamais le sentier de l'honneur, 20 Enfants, je vous le dis, malheur, cent fois malheur A qui fait un pas dans le crime !

Le chemin est glissant, on n'y peut s'arrêter:
Qui se laisse une fois tenter

Est tôt ou tard entraîné dans l'abîme.

Près d'un clos entouré d'épineux arbrisseaux,
Un jeune voyageur, passant par aventure,
Vit un poirier dont la verdure

S'effaçait sous les fruits qui chargeaient ses rameaux.
Une poire le tente; il franchit la barrière,

Et déjà de ce fruit savoure la douceur,

Quand un chien se réveille, et ce gardien sévère
S'élance sur le voyageur.

Contre cet ennemi qui déjà le terrasse,

5

Le jeune homme est contraint de défendre ses jours: IO
Il redouble d'efforts, lutte, se débarrasse ;

Et sa main, d'une bêche empruntant le secours,
Etend le dogue sur la place.

Aux aboîments du chien, le maître est accouru,
Il voit son cher Azor sur la terre sanglante;
Et d'un destin pareil menaçant l'inconnu,
Du fusil meurtrier il presse la détente:

Le coup part, le plomb siffle à l'oreille tremblante
Du voyageur qu'il n'a point abattu.

Mais cet infortuné, qu'emporte la colère,
De la bêche à son tour frappe son adversaire,
Et près de son Azor le maître est étendu.
Du criminel bientôt s'empare la justice

Il pleure vainement son malheur et ses torts.

Malgré ses pleurs et ses remords

Le jeune voyageur est conduit au supplice:
"Hélas! s'écriait-il, que mon sort est cruel!
Je lègue à ma famille une affreuse mémoire ;
Je meurs comme un vil criminel,
Et ne voulais pourtant dérober qu'une poire."

VIENNET.

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