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ΙΟ

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53.

LE NID.

De ce buisson de fleurs approchons-nous ensemble.
Vois-tu ce nid posé sur la branche qui tremble?
Pour le couvrir vois-tu ces rameaux se ployer?
Les petits sont cachés dans leur couche de mousse :
Ils sont tous endormis... Oh! viens, ta voix est douce,
Ne crains pas de les effrayer.

De ses ailes encor la mère les recouvre.

Son œil appesanti se referme et s'entr'ouvre,
Et son amour longtemps lutte avec le sommeil;
Elle s'endort enfin... Vois comme elle repose!
Elle n'a rien pourtant qu'un nid sous une rose,
Et sa part de notre soleil.

Vois, il n'est point de vide en son étroit asile:
A peine s'il contient sa famille tranquille;
Mais là, le jour est pur et le sommeil est doux,
C'est assez! elle n'est ici que passagère,
Chacun de ses petits peut réchauffer son frère,
Et son aile les couvre tous.

ÉMILE SOUVESTRE.

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54.

LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT,

Perrette sur sa tête ayant un pot au lait
Bien posé sur un coussinet,

Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,

Cotillon simple et souliers plats.

Notre laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait; en employait l'argent;
Achetait un cent d'oeufs; faisait triple couvée :
La chose allait à bien par son soin diligent.
"Il m'est, disait-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison;
Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraiser coûtera peu de son;
Il était, quand je l'eus, de grosseur raisonnable;
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau?"
Perrette là-dessus saute aussi, transportée :

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Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée. 15
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,
En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait;
On l'appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?

Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;
Je m'écarte, je vais détrôner le sophi;

On m'élit roi, mon peuple m'aime;

Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant:

Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même
Je suis Gros-Jean comme devant.

LA FONTAINE.

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55.

LE MENDIANT ET L'OISEAU.

"Où vas-tu donc, petit oiseau,
Ainsi volant à tire d'aile ?
Viens me chanter ta ritournelle,
L'air est si pur, le ciel si beau !

-Je vais chercher la nourriture
Que Dieu me garde quelque part;
Mais toi, hâte tes pas, vieillard,
La nuit ramène la froidure.

J'erre seul depuis ce matin,

Et nul n'entend ma voix qui pleure ;
Tes chants pourraient me faire, une heure,
Oublier mon triste destin.

Mais dans cette saison cruelle,
L'oiseau fait taire tous ses chants.
Vois, la neige couvre les champs:
Comment chanter ma ritournelle ?

Oiseau, tu vis en paix du moins!
La nuit, tu trouves un asile,
Et, le jour, la graine facile
Qui doit suffire à tes besoins.

Moi, je frappe de gîte en gîte,
Implorant et criant, hélas !
Et le soir, quand je suis bien las,
Je n'ai pas un toit qui m'abrite.

Du pauvre, Dieu seul est l'appui ; C'est lui qui soutient ma faiblesse. Jamais sa bonté ne délaisse Quiconque espère et croit en lui.

Quand le printemps nous rend ses charmes, 5 Oiseau, tu vis libre et joyeux;

Mais pour moi, pauvre, faible et vieux,
Au monde il n'est plus que des larmes.

-Dieu ne laisse pas avoir faim
Une humble et faible créature:
Il me garde un grain pour pâture,
A toi, vieillard, un peu de pain.

Oiseau, ce grain, Dieu te le donne,
Et des refus tu n'en crains pas :
Trop heureux qui peut ici-bas
Ne rien demander à personne !

Ce grain, je le cherche, vieillard;
Comme toi je mendie et j'erre.
Sans peine on n'a rien sur la terre,
Et je ne dois rien au hasard.

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Je puis mourir loin de mon nid: Faut-il que je m'en épouvante? Pauvre vieillard, espère et chante: Dieu seul est grand; qu'il soit béni ! "

M. A. DEVOILLE.

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56.

LE LOUP ET L'AGNEAU.

La raison du plus fort est toujours la meilleure:
Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.

5 Un loup survint à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
"Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage:

Tu seras châtié de ta témérité.
10-Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vais désaltérant
Dans le courant,

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Plus de vingt pas au-dessous d'elle,
Et que, par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.

-Tu la troubles! reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
20-Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?
Reprit l'agneau; je tette encor ma mère.
-Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.

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-Je n'en ai point.-C'est donc quelqu'un des tiens,
Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos bergers, et vos chiens.

On me l'a dit: il faut que je me venge."

Là-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

LA FONTAINE.

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