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Il faut souvent chercher la mansarde et l'autel:
Nos bienfaites nous couronnent;

Car la porte du pauvre est la porte du Ciel;
Dieu rend à ceux qui donnent.

La Charité, la Foi, c'est moi qui te le dis,
Ces vertus immortelles,

Nous portent, mon enfant, jusques au Paradis,
Comme deux blanches ailes.

ANAÏS SEGALAS.

48.

L'INONDATION.

La pauvre enfant ! Comme un déluge
Elle a vu le grand fleuve entrer;
Et sur le toit, dernier refuge,
Elle a fui: voyez-la pleurer.

Jusqu'à ses pieds les vagues roulent,
Les maisons à l'entour s'écroulent.
Allons! allons! faisons-nous matelots,
Pour la sauver de la fureur des flots.

La pauvre enfant! Une autre épreuve
Au fléau se mêle déjà ;

Sa prière a dompté le fleuve,

Mais sa mère n'est plus là !

Nos bras, sur la plage voisine,

N'ont-ils sauvé qu'une orpheline?

Prions! prions! que le Dieu des douleurs,
Rende une mère à son enfant en pleurs!

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La pauvre enfant! Voilà sa mère
Qui lui rouvre ses bras chéris;
Mais les torrents, angoisse amère,
Hors ce bonheur leur ont tout pris!
Et loin, bien loin, de chaume en chaume,
La famine étend son royaume.

Donnons, donnons; quand nous avons du pain,
Il ne faut pas que nos frères aient faim!

ÉMILE DESCHAMPS.

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49.

L'HIRONDELLE ET LE MOINEAU FRANC.

Un jour le moineau franc disait à l'hirondelle: "Comment faites-vous donc, la belle,

Pour vivre ainsi sans bruit, sans haine et sans courroux?
C'est tout le contraire chez nous,

Et du matin au soir nous sommes en querelle;
Chacun de nous prétend qu'à son frère est le tort,
C'est à qui criera le plus fort:

On se bat, et la paix souvent naît de la mort.
- Pour ramener la paix, répondit l'hirondelle,
Des combats et la mort !... La manière est cruelle,
Et paraîtrait chez nous indigne d'un bon cœur.
20 Nons avons bien aussi notre moment d'humeur,
Mais fût-il encor plus terrible,

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Je sais pour l'apaiser un moyen infaillible.

-Et quel est-il, dites-moi? - LA DOUCEUR."

Pour bien vivre en famille, et d'un ami, d'un frère,
Pour désarmer la voix et vaincre la colère,
Ce moyen le plus simple est toujours le meilleur.

EDMOND DE FONTANES.

50.

LES DIX FRANCS D'ALFRED.'

Alfred était, je pense,

Un enfant tel que vous, ayant huit à neuf ans,

Bien, bien riche !... Il avait dans sa bourse dix francs,
Dix francs beaux et tout neufs.... C'était la récompense
Donnée à sa sagesse, à ses petits travaux :

Ce qui faisait encor ces dix francs-là plus beaux.

Mais l'idée arriva d'en chercher la dépense,
Car c'eût été vilain de les garder toujours:
L'argent qui ne sert pas est sans valeur aucune;
Le point est de savoir lui donner un bon cours.
On avait fait Alfred maître de sa fortune;

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Tantôt il la voyait en beau cheval de bois;

Tantôt c'était un livre... Un livre !... Alors sa mère
Souriait de plaisir, sans l'aider toutefois ;

Lui laissant tout l'honneur de ce qu'il allait faire.

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Sur le livre son choix à la fin se fixa.

Charmant enfant! Combien sa mère l'embrassa!

C'est qu'aussi c'était bien, savez-vous? C'est qu'un livre
C'est tout; c'est là dedans que l'on apprend à vivre,
A devenir un homme, à penser, à parler;

C'est là, nous, qui venons à vos jeux nous mêler,
Là que nous déposons le travail de notre âme,
Quand le Dieu tout-puissant jette en nous cette flamme.
Qui nous rend la candeur, et nous fait jusqu'à vous,
Comme à nos premiers jours, remonter pur et doux.

Vous ne comprenez pas, amis ?... Mais il faut lire,
Et plus tard vous saurez ce que j'ai voulu dire;
Et puis, lorsque vos cœurs seront bien désolés,
Vous ouvrirez un livre et serez consolés.

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51.

LE PETIT MENTEUR.

"Au loup! au loup! à moi!" criait un jeune pâtre, Et les bergers entre eux suspendaient leurs discours, Trompés par les clameurs du rustique folâtre : Tout venait, jusqu'au chien, tout volait au secours. 5 Ayant de tant de cœurs éveillé le courage, Tirant l'un du sommeil et l'autre de l'ouvrage, Il se mettait à rire, et se croyait bien fin. "Je suis loup," disait-il. Mais attendez la fin.

Un jour que les bergers au fond de la vallée, 10 Appelant la gaîté sur leurs aigres pipeaux,

Confondaient leurs repas, leurs chansons, leurs troupeaux,
Et de leurs pieds joyeux pressaient l'herbe foulée,
"Au loup! au loup! à moi!" dit le jeune garçon ;
"Au loup!" répéta-t-il d'une voix lamentable:

15 Pas un n'abandonna la danse ni la table.
"Il est loup, dirent-ils, à d'autres la leçon."
Et toutefois le loup dévorait la plus belle
De ses belles brebis;

Et pour punir l'enfant qu'il traitait de rebelle, 20 Il lui montrait les dents, déchirait ses habits; Et le pauvre menteur, élevant ses prières,

N'attristait que l'écho: ses cris n'amenaient rien.
Tout riait, tout dansait, au loin sur les bruyères.
"Eh quoi! pas un ami, dit-il, pas même un chien!"

25 On ajoute (et vraiment c'est pitié de le croire),
Qu'il serrait la brebis dans ses deux bras tremblants;
Et quand il vint en pleurs raconter son histoire,
On vit que ses deux bras étaient nus et sanglants.

"Il ne ment pas, dit-on; il tremble! il saigne ! il pleure! Quoi! c'est donc vrai, Colas?" Il s'appelait Colas.

"Nous avons bien ri tout à l'heure ;

Et la brebis est morte! Elle est mangée... hélas ! ”

On le plaignit. Un rustre, insensible à ses larmes,
Lui dit: "Tu fus menteur, tu trompas notre effroi;
Or, s'il m'avait trompé, le menteur fût-il roi,
Me crierait vainement: Aux armes!"

Mme DESBORDES-VALMORE.

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52.

LE LOUP ET LA CIGOGNE.

Les loups mangent gloutonnement.
Un loup donc étant de frairie
Se pressa, dit-on, tellement

Qu'il en pensa perdre la vie :

Un os lui demeura bien avant au gosier.

De bonheur pour ce loup, qui ne pouvait crier,

Près de là passe une cigogne.

Il lui fait signe; elle accourt

Voilà l'opératrice aussitôt en besogne.

Elle retira l'os; puis, pour un si bon tour,

Elle demanda son salaire.

"Votre salaire ! dit le loup:

Vous riez, ma bonne commère !
Quoi ce n'est pas encor beaucoup

D'avoir de mon gosier retiré votre cou!
Allez, vous êtes une ingrate :

Ne tombez jamais sous ma patte."

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LA FONTAINE.

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