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Mon tourtereau,

Et si bon et si tendre, et si jeune et si beau,
Sur un rapport de toi, cruelle,
Me soupçonna d'être infidèle,

5 Et je faillis, méchante, en mourir de douleur,
Tu fus cause de mon malheur.

Méchante, moi !... reprend la pie,

Tu te trompes, ma bonne amie;

Au fond j'ai l'âme bonne, et crois-moi, le bon Dieu
10 Sait que pour mon prochain, à toute heure, en tout lieu,
Je mettrais ma patte au feu.
Si je suis un peu cancanière,

Cela tient, je l'avoue avec humilité,
A la légèreté

15 De mon esprit étroit et de mon caractère.
Mais oser douter de mon cœur!

C'est être envers moi bien cruelle.

Eh! que m'importe, à moi? répond la tourterelle, Si ton cœur n'est entré pour rien dans mon malheur, 20 Si ta tête légère en fut seule la cause,

25

Cela ne fait rien à la chose,
Et prouve seulement,
Qu'ainsi que d'un méchant,
Il faut que l'on se garde
D'une bavarde."

35.

LE BUISSON D'AUBÉPINE.

Mère, toi qui toujours prends plaisir à m'instruire,
Me diras-tu pourquoi, dans ces champs que j'admire,
Lorsque le gai printemps rend tous les gazons verts,
Ces buissons tout là-bas de neige sont couverts ?

Ce

Mon enfant, répondit en souriant la mère,
que
tu vois là-bas est une fleur légère,
Dont la vive blancheur a pu tromper tes yeux.
Approchons, tu vas voir, rien n'est si gracieux
Que sa tige flexible en forme de guirlande,
Dont le parfum suave est celui de l'amande.
Viens, je veux en parer ton front, dont la fraîcheur
Est pour le moins égale à celle de la fleur.
Mais avant de former ta couronne enfantine,
Je veux en arracher cette cruelle épine,
Qui de notre Sauveur teignit les traits divins
D'un sang
dont son amour rachetait les humains.
Tu vois, j'ai dépouillé cette branche fleurie
De l'aiguillon cruel qui t'aurait pu blesser.
Que ne puis-je toujours des roencs de la vie
Dépouiller les sentiers par où tu dois passer!

5

IO

15

MARIE-FERDINAND HUARD.

36.

L'HORLOGE ET LE CADRAN SOLAIRE.

L'horloge, au point du jour, dit au cadran solaire : "Ne pourrais-je savoir de mon discret confrère Quelle heure il montre aux curieux ?

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- Aucune, répond l'autre, et je ne parle aux yeux Qu'au moment où Phébus, parcourant sa carrière, A longs flots verse sa lumière.

Un nuage me voile et m'arrête en mon cours.
La moitié de ta vie est ainsi malheureuse,

Reprend notre belle orgueilleuse ;
Pour moi le temps, le lieu, ni les nuits, ni les jours,
Rien ne doit empêcher que dans chaque demeure
Par un son argentin je fasse entendre l'heure.

D

20

25

Ton art est imparfait: Apprends ce que je puis.
Bon, je commence: un, deux, trois, quatre, cinq et six."
Dans l'air le son frémit encore,

Le nuage s'enfuit; le dieu du jour, vainqueur,
5 Reparaît sur son char, et son flambeau colore
Rochers, fleuves, guérets, d'un éclat enchanteur.
Le cadran de marquer sept heures et demie,
Il dit alors: "Ma chère amie,

ΙΟ

Je pourrais à mon tour prendre le ton railleur ;
Qui parle trop souvent est sujet à l'erreur."

C'est un talent bien rare, et pourtant nécessaire,
De savoir à propos se taire.

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37.

L'AVEUGLE ET LE PARALYTIQUE.

Aidons-nous mutuellement,

La charge des malheurs en sera plus légère;
Le bien que l'on fait à son frère,

Pour le mal que l'on souffre est un soulagement:
Jésus-Christ nous l'a dit: suivons bien sa doctrine.
Pour inculquer à tous cette belle maxime

Je vais conter le trait suivant:

Dans une ville de l'Asie

Il existait deux malheureux,

L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux. Ils demandaient au Ciel de terminer leur vie ; Mais leurs vœux étaient superflus : 25 Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique, Couché sur un grabat dans la place publique, Souffrait sans être plaint; il en souffrait bien plus.

L'aveugle, à qui tout pouvait nuire,
Était sans guide, sans soutien ;
Sans avoir même un pauvre chien
Pour l'aimer et pour le conduire.

Un certain jour il arriva

Que l'aveugle à tâtons, au détour d'une rue,
Près du malade se trouva.

Il entendit ses cris, son âme en fut émue,
Il n'est tel que les malheureux

Pour se plaindre les uns les autres.

"J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres ;
Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux.
-Hélas! dit le perclus, vous ignorez, mon frère,
Que je ne puis faire un seul pas.

A quoi nous servirait d'unir notre misère ?
-A quoi! répond l'aveugle, écoutez, à nous deux
Nous possédons le bien à chacun nécessaire ;

J'ai des jambes et vous des yeux;

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ΙΟ

15

Moi, je vais vous porter; vous, vous serez mon guide, Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés;

Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez;

Ainsi, sans que jamais notre amitié décide

Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,

Je marcherai pour vous, et vous verrez pour moi."

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FLORIAN.

38.

LE LIVRE DE CLASSE ET LE LIVRE

DU BON DIEU.

Près d'un saule touffu, reposant sous l'ombrage,
Un enfant, aux yeux bleus, à l'air pensif et doux,
Empruntait aux oiseaux leur innocent langage,
Pour s'adresser au livre ouvert sur ses genoux:

25

"Livre, écoute-moi bien: je voudrais te connaître,
On m'a dit que pour moi tu serais amusant,
Qu'en toi je trouverais un ami, plus qu'un maître,
Et que tu m'instruirais tout en m'intéressant.

5 Oh! je veux bien le croire, et je t'en remercie ;
Mais vois, tout chante ici, tout sourit en ce lieu :
Avant de me parler, laisse-moi, je te prie,
Lire encore une fois dans le livre de Dieu !

Dans le sien tout est beau, tout est jeune et magique;
10 Vois, le Ciel est serein, tous les champs sont dorés,
L'air est plein de parfums, le soleil magnifique,
De feuillage et de fleurs les arbres sont parés.

Tu voudrais me montrer tes charmantes images;
Va, celles du bon Dieu sont plus belles encor!
15 Je le comprends toujours, je marche dans ses pages,
Et je n'ai jamais vu tes brillants palais d'or!

Les magiciens savants, les bienfaisants génies,
N'ont rien de sa puissance et rien de sa bonté ;
Ils ont à bien mentir des peines infinies;
20 Dans le livre de Dieu, tout n'est que vérité !

Je retrouve partout ses trésors, ses merveilles,
Oh! ce sont bien les champs! ce sont de vrais oiseaux!
C'est le parfum des fruits, l'éclat des fleurs vermeilles.
Ces trésors-là, chez toi, seront-ils aussi beaux?

25 Je sais bien qu'à ton tour, tu veux me faire entendre Qu'on nous a du travail imposé le devoir;

Qu'à s'amuser toujours on ne peut rien apprendre,
Qu'enfin, je grandirai sans jamais rien savoir.

Les fleurs, les animaux, le soleil ou son ombre,
30 Les saisons, qu'à leur tour je vois toujours changer,
Dans mon livre chéri sont les maîtres sans nombre
Qui parlent pour m'instruire et pour me corriger.

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