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Satyr. 10. lib. I.

dur & forcé dans fa compofition: ne pouvant fe donner la peine qu'il faut prendre pour écrire, c'est-à-dire pour écrire bien car d'écrire beaucoup c'étoit fon grand défaut. Il étoit fort content de lui-même, & croioit avoir fait merveille, quand il avoit dicté deux cent vers en moins de tems qu'il n'en faloit pour les jetter fur le papier. En un mot, Horace le compare à un fleuve, qui parmi beaucoup de boue roule néanmoins un fable précieux.

Le jugement qu'Horace avoit porté de Lucile, excita dans Rome de grandes clameurs. Les partifans de ce dernier, outrés de voir qu'on eût ofé par ler de la forte de leur Héros, publiérent qu'Horace n'avoit médit de Lu cile que par envie, & pour fe mettre par là au-deffus de lui. Nous ne devons pas leur favoir mauvais gré de leurs plaintes, quelque injuftes qu'elles fuffent: car elles nous ont valu une excellente Satyre, dans laquelle Horace, en rendant à Lucile toute la ju£ tice qui lui eft dûe, confirme & foutient par de folides preuves le jugement qu'il en a porté.

Je fuis faché, pour l'honneur de Quintilien, qu'un Critique auffi fu

fé que lui', & d'un goût fi exact, s'écarte ici du fentiment d'Horace. Il ne peut lui pardonner d'avoir comparé les écrits de Lucile à des eaux. bourbeufes, d'ou l'on peut pourtant tirer quelque chofe de bon. Je a trouve, ditil, en lui une érudition merveilleuse, & une très-grande liberté, qui rend ses Ouvrages piquans & pleins de fel. Horace lui accorde ces derniéres qualités, qui n'empêchoient pas qu'il n'y eût dans Lucile beaucoup d'endroits vicieux, qui méritoient d'être retranchés, ou réformés. Pour l'érudition, Quintilien heurte ici directement le fentiment de Ciceron. Ses b Ouvrages, dit-il en parlant de Lucile, font affez légers: on y trouve beaucoup de plaifanterie, mais peu d'érudition. Au refte nous ne pouvons pas bien juger aujourd'hui d'un Poéte, d'ont il ne nous refte prefque rien.

S. II.

Second âge de la Poéfie Latine. L'INTER VALLE de tems dont je

par

a Nam & eruditio in eo mira, & libertas, atque inde acerbitas, & abunde falis. Lib. 1o.c.1. b Et funt fcripta illius ( Lucilii ) leviora, ut urbanitas fumma appareat, doctrina mediocris. Cic. de Finib. lib. 1. 2. 7.

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parle ici, qui s'eft écoulé depuis Ju le Céfar jufqu'au milieu de l'Empire de Tibère, & qui renferme environ cent ans, a toujours été regardé, par raport aux Belles Lettres, comme le fiécle d'or, pendant lequel une foule de beaux efprits en tout genre, Poétes, Hiftoriens, Orateurs, ont porté la gloire de Rome au plus haut comble. Jufques-là, la Litérature avoit fait de grands efforts, & l'on peut dire même de grands progrès: mais elle n'étoit point encore parvenue à ce jufte dégré de maturité qui fait la perfection des Arts. Il y avoit dans les Ecrits du bon fens, du jugement, de la folidité, de la force, mais peu d'art, encore moins d'ornement, nulle délicateffe. Un petit nombre d'heureux génies, réunis dans un espace de tems affez court, tout d'un coup & comme infpirés, ajoutant aux excellentes qualités de leurs prédéceffeurs, celles qui leur avoient manqué, fixerent en tout genre le bon goût pour toujours, & d'une maniére irrévocable; de forte que dès qu'on commença à perdre de vûe ces parfaits modèles, tout commença auffitôt à dégénérer.

Les heureux commencemens qui

ont

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ont été expofés, préparoient aux merveilles qui fuivirent: & de même que la premiére notion des Belles-Lettres dans Rome étoit venue de la Gréce, auffi fut-çe en étudiant de plus en plus les Ecrivains Grecs, que les Romains parvinrent à la perfection. Les premiers Poétes, Tragiques & Comiques particuliérement, s'étoient contentés de traduire les piéces Grecques.

Horat.

Tentavit quoque rem, fi dignè vertere poffet, Epift. 14 Et placuit fibi.

Ils firent enfuite un pas de plus. Ils oférent voler de leurs ailes, & firent des piéces toutes Romaines.

Nil intentatum noftri liquere poëtæ :

lib. 2.

Id. Re

Art.

Nec minimum meruere decus, veftigia Poët
Græca,

Aufi deferere, & celebrare domeftica facta;
Vel qui Prætextas, vel qui docuere Togatas.

Ce qui n'avoit pas tout-à-fait réuf-
fi aux Poétes Dramatiques, réuffit par-
faitement à Horace dans la Poéfie Ly-
rique.

Rome, animée d'une noble émulation, qui fut le fruit de la lecture des Ouvrages Grecs, & de l'eftime qu'on en avoit conçue, fe propofa de les éga

ler,

ler, & même, s'il fe pouvoit, de les furpaffer: difpute bien louable & bien utile entre des nations, & qui leur fait également honneur !

Ajoutez à ce premier motif le caractere admirable des perfonnes qui pour lors avoient l'autorité fouveraine à Rome; l'eftime qu'on y faifoit des gens de Lettres, les marques de diftinction dont ils étoient honorés, les folides récompenfes qu'on leur accordoit, & le refpect général pour ceux qui fe diftinguoient par un mérite fingulier, refpect qui alloit prefque jufqu'à les égaler aux premiers & aux plus puiffans de la République. On l'a dit dans tous les tems, & l'on ne peut trop le répéter: c'eft a l'émulation qui anime les efprits. La vûe du mérite des autres, mélée en même tems d'une juf te admiration pour leurs excellens ouvrages, & d'un fecret dépit de fe sentir inférieur à eux, allume une ardeur pour la gloire qui eft capable de tout. Et ce font ces généreux efforts, excités & foutenus par l'espérance du fuc

cès,

a Alit æmulatio ingenia: & nunc invidia, nunc admiratio, incitationem accendit, naturaque, quod fummo ftudio petitum eft, afcen dic in fummum. Vell. Paterc. lib. 1. cap. 7.

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