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quer hardiment les citoiens les plus confidérables & les plus vertueux, donna lieu à une loi qui défendoit de déchirer ainfi par des vers mordans la réputation de qui que ce fût. A Rome, a parmi les loix des douze tables, qui condannoient rarement à la mort, il y en avoit une qui foumettoit à cette peine quiconque par des vers diffamans auroit décrié un citoien. La raifon que Ciceron en apporte, eft bien fenfée, & bien remarquable.,, Cette loi, dit-il, est fa"gement établie. Il y a des Tribunaux à Rome, où l'on peut nous appeller » pour rendre compte de notre conduite », devant les Magiftrats, mais notre reputation ne doit point être abandonnée à la noire malignité des Poétes, & ,, il ne doit point être permis de former » contre nous des accufations infaman,, tes, fans que nous puiífions y répon,, dre, & nous défendre en forme devant C 2

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a Si mala condiderit in quem quis carmina, jus eft Judiciumque.

Horat. Satyr. 1. lib. 2,' Noftræ contra XII. tabulæ, cùm perpaucas res capite fanx ffent, in his hanc quoque fanciendam putaverunt, fi quis actitaviffet, five carmen condidiffet, quod infamiam affer ret flagitiumve alteri. Cic.de Rep. liv. 4.apud. D. Auguft. lib. 1. cap. 9. Civit.

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les Juges. Præclararè Judiciis enim ac Magiftratuum difceptationibus legitimis propofitam vitam, non Poëtarum ingeniis, habere debemus ; nec probrum audire, nifi ea conditione, ut refpondere liceat, judicio defendere.

La feconde exception, qui regarde la pureté des mœurs, n'eft ni moins importante, ni moins fondée en raison. Notre pente au mal & au vice n'est déja que trop naturelle & trop forte, fans qu'il faille encore l'augmenter par les charmes & les attraits de vers fins & délicats, dont le poifon, caché fous les fleurs d'une poéfie riante, pour " me fervir des termes que Martial applique aux Sirénes, caufe une joie cruelle, & par fa douceur enchantereffe porte la mort dans les ames. Les plus fages Législateurs de l'Antiquité ont toujours regardé ceux qui font un tel abus de l'art des vers, comme des peftes publiques, comme des ennemis & des corrupteurs du genre humain, qu'on devoit abhorrer & réprimer par les notes d'infamie les plus flétriffantes. De fi fages loix n'ont pas eu l'effet qu'on en devoit efpérer, fur tout par raport

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a Sirenas, hilarem navigantium pœnam, Blandafque mortes, gaudiumque crudele.

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à l'Epigramme, qui de toutes les poéfies eft celle qui s'eft le plus livrée à l'obfcénité.

En gardant les deux régles que je viens d'établir, les Epigrammes n'auroient point été dangereufes pour les mœurs, & elles auroient pu être, utiles pour le ftile, en y jettant de tems en tems & avec fobrieté des penfées vives, déliées agréables, telles que font celles qui terminent les bonnes Epigrammes. Mais, ce qui étoit dans fon origine délica teffe, beauté, vivacité d'efprit, (c'est proprement ce que les Latins entendoient par ces mots, acutus, acumen) dégénéra bientôt en une affectation vicieuse, qui paffa dans la profe même, dont on s'étudioit à terminer prefque toutes les phrafes, toutes les périodes, par une pensée brillante qui tenoit de la pointe. Nous, aurons lieu de nous étendre davantage fur ce fujet.

Le Pere Vavaffeur Jéfuite a traité à fond la matiére dont il s'agit, ici, dans une Préface également favante & élégante qu'il a mife à la tête des trois livres d'Epigrammes qu'il a donnés au public. On trou

ve auffi, fur le même fujet, d'utiles réflexions dans le Livre intitulé Epi grammatum Delectus, &c.

Nous avons un recueil d'Epigrammes Grecques, appellé Anthologie. MELEAGRE, natif de Gadare ville de Syrie, qui vivoit fous Sé leucus VI. dernier Roi de Syrie eft le premier qui a fait un recueil d'Epigrammes Grecques, qu'il nomma Anthologie, à caufe qu'aiant choifi ce qu'il trouva de plus brillant & de plus fleuri parmi les Epigrammes de quarante fix Poétes anciens, il regarda fon recueil comme un bouquet de fleurs, & attribua unefleur à chacun de ces Poétes, le lis: à Anytes, la rofe à Sapho &c. Après lai, PHILIPPE de Theffalonique, fit, du tems de l'Empereur Augufte, un fecond recueil tiré feulement de quatorze Poétes. AGATIAS en fit encore un troifiéme environ cinq cent ans après, du tems de l'Empereur Juftinien. Enfin Planude, moine de Conftantinople, qui vivoit en 1380, fit le quatrième, qu'il divifa en fept Livres, dans chacun defquels les Epigrammes font rangées felon les matiéres par ordre alphabetique. C'est l'An

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l'Anthologie telle que nous l'avons aujourd'hui. Il en a retranché beaucoup de fales Epigrammes, de quoi quelques Savans lui ont fû bien mauvais gré.

Il y a dans ce Recueil beaucoup de belles Epigrammes, fort fenfées & fort fpirituelles: mais elles ne font pas le plus grand nombre.

ARTICLE SECOND. DES POETES LATINS.

La POESIE, auffi bien que le refte des beaux Arts, n'a trouvé que fort tard accès ches les Romains occupés uniquement pendant plus de cinq cent ans de vûes & de penfées guerriéres, & fans goût pour tout ce qui s'appelle Litérature. Ce fut la. Grèce vaincue & foumife, qui, par un nouveau genre de victoire, s'affu jettit à fon tour fes vainqueurs, & exerça fur eux un empire d'autant plus glorieux, qu'il étoit volontaire, & fondé fur une fupériorité de lumiéres qui fe fit refpecter dès qu'elle fut connue. Cette nation favante & polie, fe trouvant liée par un commerce étroit avec les Romains, leur fit perdre peu

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