Page images
PDF
EPUB

Son efprit fut brillant, fon ame généreuse,

RACAN. Et jamais fa Maison, illuftre & malheureuse,

N'en a reçû d'ennui

que celui de fa mort.

STANCES.

Plaintes d'un malheureux.

PLAISANT féjour des ames affligées,
Vieilles forêts, de trois fiécles âgées,
Qui recélez la nuit, le filence & l'effroi;
Depuis qu'en ces déferts les amoureux fans crainte
Viennent faire leur plainte,

En a-t'on vû quelqu'un plus malheureux que moi?

Soit que le jour diffipant les étoiles,
Force la nuit à retirer fes voiles,

Et peigne l'Orient de diverfes couleurs;
Qu que l'ombre du foir, du faîte des montagnés
Tombe dans les campagnes,

On ne m'entend jamais que plaindre mes douleurs.

En mon fommeil, quelquefois de vains fonges

Trompent mes fens par de fi doux menfonges, Qu'ils donnent à mes maux un peu de réconfort: O Dieux de quel remede eft ma douleur fuivie, De ne tenir la vie

Que des feules faveurs du frere de la Mort!

Douceurs de la vie champêtre.

TIRCIS, il faut penfer à faire la retraite :
La course de nos jours est plus qu'à demi faite :
L'âge infenfiblement nous conduit à la mort :
Nous avons affez vû fur la mer de ce monde,
Erter au gré des vents notre nef vagabonde;
11 eft tems de jour des délices du port.

Le bien de la fortune eft un bien périffable;
Quand on bâtit fur elle, on bâtit fur le fable:
Plus on eft élevé, plus on court de dangers.
Les grands pins font en bute aux coups de la tem-
pête,

Et la rage des vents brife plûtôt le faîte

Des maifons de nos Rois, que des toits des Ber-
gers.

O bienheureux celui qui peut de fa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire,
Dont l'inutile foin traverfe nos plaifirs;
Et qui loin retiré de la foule importune,
Vivant dans fa maison content de fa fortune,
A felon fon pouvoir mefuré fes défirs!

Il laboure le champ que labouroit fon pere:
Il ne s'informe point de ce qu'on délibere
Dans ces graves Confeils, d'affaires accablez :
Il voit fans interêt la mer groffe d'orages,

RACAN

Et n'observe des vents les finiftres présages, RACAN. Que pour le foin qu'il a du falut de fes bleds.

1 Roi de fes paffions, il a ce qu'il défige:
Son fertile domaine eft fon petit empire;

Sa cabanne eft fon Louvre & fon Fontainebleau ;
Śes champs & fes jardins font autant de Provinces;
Et fans porter envie à la pompe des Princes,
Il est content chez lui de les voir en tableau.

II voit de toutes parts profpérer fa famille,
La javelle à plein poing tomber fous la faucille,
Le vendangeur ployer fous le faix des paniers :
Il femble qu'à l'envi les fertiles montagnes,
Les humides vallons & les graffes campagnes
S'efforcent à remplir fa cave & fes greniers.

Il fuit aucunes 2 fois un cerf par les foulées,
Dans ces vieilles forêts du peuple reculées,
Et qui même du jour ignorent le flambeau:
Aucunes fois des chiens il fuit les voix confuses;
Et voit enfin le liévre après toutes fes rufes,
Du lieu de fa naiffance en faire fon tombeau.

I M. de RACAN excelloit furtout à peindre noblement & avec grace les plus petites chofes, témoin cette Stance & les fuivantes. C'étoit auffi le talent particulier du fameux Defpréaux, comme on le peut voir par l'Epître à fon Jardinier, & quelques autres Pieces de fa façon.

2 Aucunesfois pour quelquefois, ne fe dit plus depuis long tems.

Tantôt il fe promene au long de fes fontaines, De qui les petits flots font luire dans les plaines L'argent de leurs ruiffeaux parmi l'or des moiffons:

Tantôt il fe repofe avecque les Bergeres,

Sur des lits naturels de mouffe & de fougeres,
Qui n'ont d'autres rideaux que l'ombre des buif
fons.

Il coule fans chagrin les jours de fa vieilleffe,
Dans ce même foyer où la tendre jeunesse
A vû dans le berceau fes bras emmaillotez:
Il tient par les moiffons regiftre des années,
Et voit de tems en tems leurs courfes enchaînées,
Faire avec lui vieillir les bois qu'il a plantez.

Il ne va point fouiller aux terres inconnuës
A la merci des vents & des ondes chenues,
Ce que Nature avare a caché de tréfors :
Il ne recherche point, pour honorer la vie,
De plus illuftre mort, ni plus digne d'envie,
Que de mourir au lit où fes peres font morts.

Il contemple du port les infolentes rages
Des vents de la faveur, auteurs de nos orages;
Allumer des mutins les deffeins factieux;

Et voit en un clin d'œil, par un contraire échange,
L'un déchiré du peuple, au milieu de la fange,
Et l'autre en même tems élevé jufqu'aux cicux..

RACAN

S'il ne poffede pas ces maisons magnifiques, RACAN. Ces tours, ces chapitaux, ces fuperbes portiques, Où la richeffe & l'art étalent leurs attraits; Il joüit des beautez qu'ont les faifons nouvelles, Il voit de la verdure & des fleurs naturelles, Qu'en ces riches lambris il ne voit qu'en por traits.

Crois-moi, mon cher TIRCIS, fuyons la multitude;

Et vivons déformais loin de la fervitude

De ces Palais dorez où tout le monde accourt:
Sous un chêne élevé les arbriffeaux s'ennuyent,
Et devant le Soleil tous les aftres s'enfuyent,
De
peur d'être obligez de lui faire la cour.

Après qu'on a fuivi fans aucune affurance,
Cette vaine faveur qui nous paît d'efpérance,
Fatal à nos deffeins, un moment les détruit :
Ce n'eft qu'une fumée, il n'eft rien de fi frêle ;
Sa plus belle moiffon eft fujette à la grêle,
Et fouvent elle n'a que des fleurs pour du fruit.

Agréables déferts, féjour de l'innocence,
Où loin des vanitez, de la magnificence,
Commence mon repos, & finit mon tourment
Vallons, fleuves, rochers, aimable folitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le déformais de mon contentement.

« PreviousContinue »